Dans un billet d’humeur le médecin urgentiste Christophe Prudhomme, figure de la défense de l’hôpital public et de la sécurité sociale, illustre comment le développement de la télémédecine est utilisé comme levier pour accélérer la privatisation de la médecine et la marchandisation de la santé. De façon dialectique, il montre tout à la fois comment le progrès technologique pourrait être précieux pour améliorer le soin de nombres de maladies et d’affections, et comment l’orientation politique actuellement suivie par le régime Macron conduit à ce que cela ne serve qu’à une logique de rentabilité et de profit privé. On complétera ce panorama également par le parallèle de la privatisation en cours de la gestion de la santé avec la logique assurantielle privée imposée par les directives européennes en remplacement de la sécurité sociale et des mutuelles de travailleurs : pourtant les frais de gestion de l’assurance maladie (la sécu : 4%), sont considérablement moins couteux – et c’est logique puisqu’il n’y a pas d’actionnaires et de patrons à servir – que ceux des assurances privées (20%).
De fait il faut aussi pour une perspective complète ajouter aux propos très éclairés du docteur Prudhomme un point de contexte essentiel pour unir les forces populaires dans une proposition politique concrète et mobilisatrice : si la politique d’austérité appliquée à la santé (mais aussi à d’autres services publics en particulier l’éducation nationale) explique bien comment une innovation qui devrait être au service de la collectivité se retrouve dévoyée dans un but de réduction du budget de la sécurité sociale, il faut mettre cette politique suivie de façon constante par Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron en perspective des ordres passée via l’Union Européenne à ces même gouvernants. À 63 reprises la Commission européenne sous la coercition de l’Euro, des critères de Maastricht puis du traité TSCG lui donnant total contrôle du budget, a ordonné que les dépenses de l’hôpital public soient réduites. Sans remise en cause de ce verrou, impossible de changer de cap et ce alors même que l’opinion est unanimement et radicalement opposée à la privatisation de l’école et des hôpitaux ou à la disparition de la sécurité sociale, l’UE et l’euro ont justement été faits pour surmonter ce difficile blocage résultant de la souveraineté populaire. De fait pour remettre les besoins de l’humanité au centre, au premier rang desquels la santé ou l’éducation par exemple, il y a lieu de sortir des superstructures imposant la marchandisation pour organiser la prédation de nos vies par le Capital : sortir de l’Union Européenne et de l’Euro du capital, et sortir du capitalisme.
Le business de la télémédecine
Les progrès techniques nous permettent aujourd’hui de mieux prendre en charge les patients. La télémédecine fait partie de ces nouveaux outils qui, grâce notamment à la transmission de données comme c’est le cas en cas d’accident vasculaire cérébral, assurent un gain de temps et donc d’efficacité en raccourcissant les délais de mise en œuvre du traitement. Délai qui est essentiel pour éviter des séquelles invalidantes définitives. Il en va de même pour la surveillance à distance des patients diabétiques ou encore du traitement des ulcères chroniques par des infirmiers à domicile. Il s’agit là de véritables avancées mais la crise de notre système de santé avec des difficultés de plus en plus importantes pour avoir accès à un médecin ouvre grand la porte à des dérives à visée strictement commerciale. Ainsi la société Qare créée au sein de l’incubateur de stat-ups de l’assureur AXA, a profité de la crise COVID et de la prise en charge par l’Assurance maladie des téléconsultations pour augmenter de manière très conséquente son chiffre d’affaires. Elle propose dit-elle un complément d’activité flexible pour les médecins avec même une prime de bienvenue pour assurer des consultations réservées normalement aux médecins traitants pour les patients, notamment chroniques, qu’ils suivent régulièrement afin de faciliter leur suivi en évitant un déplacement ou une visite à domicile quand cela n’est pas absolument nécessaire. Ce nouveau marché aiguise les appétits des grands groupes technologiques mondiaux. Nous avons ainsi appris il y a quelques jours qu’Amazon a racheté pour 3,8 milliards de dollars la société One Medical, avec comme ambition affichée de « réinventer le secteur du soin ». La dirigeante de cette branche dit vouloir développer une offre de santé plus moderne, qui s’adapte davantage aux modes de vie actuels, plus personnalisées et moins chronophage. Elle déclare : « nous voyons de nombreuses opportunités d’améliorer la qualité du service et de faire gagner aux gens du temps ». Ces deux exemples montrent que les failles de notre système sont utilisées par des investisseurs qui y voient un marché très lucratif, qui plus est financé par la Sécurité Sociale. Si nous laissons faire, nous allons glisser très rapidement vers une médecine qui deviendra un service marchand comme un autre dans le fameux cadre concurrentiel cher aux libéraux. Cette évolution est déjà à l’œuvre aux États-Unis avec un système de santé très inégalitaire dont l’accès est limité en fonction des capacités financières des patients et le plus coûteux de la planète. Il faut comprendre que quand notre gouvernement demande de faire des économies sur le budget de la Sécurité sociale, ce n’est pas pour dépenser moins mais pour faire basculer vers le secteur marchand tout ce qui peut être rentable et dégager de juteux bénéfices. Deux chiffres éclairent crûment cette réalité : les dépenses de santé en France représente 12% du PIB et près de 17% aux États-Unis. Les 5% de différence sont captés par les actionnaires.
Dr Christophe Prudhomme
Billet d'humeur de la semaine sur la télémédecine. pic.twitter.com/7wTvk2BfOl
— Prudhomme Christophe (@PrudhommeChri10) July 25, 2022