A l’attention de Mme Françoise de Thier,
Médiateur – RTBF
Concerne: l’instrumentation politique des faits historiques
Madame de Thier,
Je m’adresse à vous après avoir regardé, ce jeudi 20, à la télévision le programme « Apocalypse » traitant de la Seconde guerre mondiale et dont la présentation et certains passages ont attiré mon attention puisque chargés, me semble t-il, d’une intentionnalité politique douteuse.
Je vous précise tout d’abord que je ne suis pas spécialiste du sujet, encore moins historien. Simplement un citoyen, intéressé certes par les questions de l’histoire moderne mais, surtout, par le phénomène si visible et croisant dernièrement, du « modelage » des opinions publiques avec le concours des médias.
Ainsi, voilà comment la RTBF présente le programme ci-dessus mentionné:
« Après avoir pris le pouvoir et installé le système nazi en Allemagne, Hitler décide de faire main basse sur l’Europe. Il s’allie avec Staline (1) puis envahit la Pologne, le 1er septembre 1939. La France et l’Angleterre n’ont plus le choix (2) : elles déclarent la guerre à l’Allemagne. Mais les Allemands et les Soviétiques dépècent tranquillement la Pologne (3). Les persécutions des Juifs et des tziganes commencent. …(…)…. »
(Les soulignés et les numéros sont à moi).
A ce propos (et suivant la numérotation ci-dessus) :
(1) Pouvez-vous m’expliquer ce qu’autorise à utiliser l’expression selon laquelle « (Hitler) s’allie avec Staline » ?
Vous me répondrez, (c’est dans l’air du temps), « la signature du Pacte germano-soviétique de non-agression entre Molotov et Ribbentrop ».
Questions:
– Est-ce que la signature d’un Pacte de non-agression vaut « alliance » ?
– Est-ce que l’on peut parler d’alliance et du « Pacte » sans mentionner que ce
Pacte fut signé après que la France et l’Angleterre eurent signé, avec Hitler à Munich, le Traité du même nom facilitant, dans les faits, l’annexion de la Tchécoslovaquie par les allemands ?
– Est-ce que cette annexion n’allait pas dans le sens des vœux d’Hitler, à savoir, de sa marche vers l’Est, et donc vers les frontières soviétiques ?
– Est-ce que ce Pacte ne fut pas postérieur au Pacte, également de non-agression, signé par Bonnet (ministre des Affaires étrangères de la France) et le même Ribbentrop ? Pourquoi alors traiter si distinctement ces 2 Pactes et oublier l’un d’entre eux ?
(2) Pourquoi dire : « La France et l’Angleterre n’ont plus le choix » ?
N’était donc pas un «choix», selon votre présentation :
– celui de refuser de signer la capitulation, c’est à dire le Traité de Munich ?
– ou celui de soutenir, au lieu de l’ignorer, la proposition de l’URSS d’envoyer ses troupes en Tchécoslovaquie pour faire face aux appétits hitlériens ?
– N’était pas un choix donner suite aux demandes, bien anciennes, de l’URSS de constituer une alliance pour faire face au danger nazi ?
(3) « Les Allemands et Soviétiques dépècent tranquillement la Pologne » dit, à manière de conclusion, votre présentation laissant sous-entendre que, puisque «alliés», ils s’invitent ensemble à un « festin » au détriment de la Pologne.
Oubliant de dire:
– que suite à son isolement (cf. points 1 et 2 ci-dessus) et suite au fait que la Wehrmacht venait d’occuper toute la partie occidentale de la Pologne, si l’URSS ne bougeait pas, les troupes nazies se trouveraient exactement à sa frontière.
– que l’URSS n’a pas agi «ensemble» avec l’Allemagne, comme pourrait le laisser entendre cette douteuse formulation, mais attendu que la Pologne capitule officiellement pour, plus de 2 semaines après, occuper la Galicie occidentale (donc assurer ses frontières).
– oubliant également de mentionner que Winston Churchill peu suspect, à ma connaissance, d’accointances communistes ou pro-soviétiques, avait reconnu que cette opération soviétique (à propos de laquelle il se congratulait) constituait une mesure de nature à bloquer l’agressivité des plans du Reich ? (1)
Finalement, ledit programme, sans citer la moindre source, sans donner la moindre référence affirme que, lorsque les troupes nazies occupèrent Paris, « Staline envoya un télégramme de félicitations » (sic) à Hitler. Ne croyez-vous pas, chère Madame, qu’une telle affirmation si grave, si importante, mérite un minimum de sérieux dans son traitement ?
Si je me permets ces observations, ce n’est pas, absolument pas, pour faire l’allégeance du stalinisme dont la nécessaire critique n’est pas le sujet de ce courrier; c’est parce que je crois que ce genre de présentations fait partie d’une entreprise politique très peu honnête consistant en façonner les opinions publiques et qu’un Média comme la votre se doit d’être attentif à ce genre de risques. C’est en croyant au droit des spectateurs à une information équitable et donc au respect, que je me permets de vous demander si, au cas où vous estimiez que mes remarques ont de la pertinence, vous pourriez envisager de faire le nécessaire pour que votre public puisse avoir l’opportunité de connaître un regard moins partisan à propos de ces importants événements historiques.
Avec mes respectueuses salutations,
Vladimir Caller
PS: J’ai tardé de vous écrire ce courrier en cherchant, infructueusement, toute trace du « télégramme » et parce qu’il me fut impossible de contacter les responsables du programme par le site Internet même. Consultés, vos collègues de la rédaction m’ont alors conseillé de m’adresser à vous directement. Ils ont fait la remarque également que le programme questionné est un programme « français ». Français ou chinois, peu importe, le spectateur est belge et le problème planétaire.
(1) Voici ce qu’écrivait Churchill dans ses mémoires sur la deuxième guerre mondiale en faisant référence notamment aux atermoiements des occidentaux vis-à-vis des propositions soviétiques d’alliance : « l’offre des Soviétiques fut ignorée dans les faits.. Ils ne furent pas consultés face à la menace hitlérienne et furent traités avec une indifférence, pour ne pas dire un dédain, qui marqua l’esprit de Staline. Les évènements se déroulèrent comme si la Russie soviétique n’existait pas. Nous avons après-coup terriblement payé pour cela. » (W. Churchill, The Second World War, volume 1, p. 104)