Bagneux le 20 avril 2010.
De Léon Landini / 8, rue du Clos La Paume / 92220 Bagneux
Pour Monsieur Michel Delugin / « Notre Musée » Musée de la Résistance / 94501 Champigny
Cher Michel,
J’ai bien reçu le N° 194 de mars de « Notre Musée » et t’en remercie.
Toutefois, au moment où la banalisation des crimes nazis et la criminalisation du communisme sont l’objet quotidien de campagnes effrénées de la part de la totalité de nos médias et d’un grand nombre de nos élus.
Au moment où le MEDEF et nos gouvernants font tout, pour détruire tous les acquis du programme du Conseil National de la Résistance, il apparaît plus que jamais indispensable que « nos écrits » soient d’une clarté absolue, reflétant avec rigueur la vérité historique sans aucune concession ni complaisance.
Pas d’oublis, pas de phrases sibyllines qui permettent aux falsificateurs de l’histoire contemporaine de continuer leur campagne de dénigrements envers l’Union Soviétique, envers les communistes et en conclusion tout simplement contre la Résistance.
Sur « Notre Musée » plusieurs phrases ont particulièrement attiré mon attention. Par exemple page 4 : il est écrit : « La libération est à la fois le fruit des combats des troupes alliées débarquées en Normandie puis en Provence en août, des troupes françaises qui les accompagnent et des résistants qui constituent les Forces Françaises de l’Intérieur ».
Pourquoi avoir « oublié » la contribution essentielle de l’Armée Rouge ? N’a-t-elle en rien contribué à la libération de la France ?
« Oublier » de mettre en exergue la part primordiale prise par l’Union Soviétique dans la libération de notre pays, contribue à relativiser les sacrifices immenses (environ 25 millions de morts) consentis par ce pays pour débarrasser l’Europe de l’emprise du nazisme et du fascisme.
Pour avoir, depuis le début de la guerre vécu toute cette période en combattant souvent les armes à la main, je peux t’affirmer, que fin 1941 et début 1942, dans les moments les plus sombres, les plus noirs de la guerre, mes camarades communistes et moi-même étions tous convaincus de notre victoire, car malgré les avancées allemande à l’Est, il y avait toujours, l’Union Soviétique toute entière et sa glorieuse Armée Rouge qui leur faisaient face.
Mais notre conviction ne s’est transformée en certitude qu’au printemps 1943, lorsque nous avons appris dans une explosion de joie, la terrible « déculottée » prise par les nazis à Stalingrad. Il en était fini des victoires à répétition de l’armée hitlérienne, l’heure de la défaite et des reculs venait de sonner pour eux. Après Stalingrad, le vent avait tourné et la Résistance toute entière s’en trouva renforcée et en France les coups portés contre l’occupant et ses alliés de Vichy redoublèrent.
C’est d’ailleurs à partir de ce moment là, qu’un grand nombre de collaborateurs notoires prenant conscience qu’ils étaient dans le mauvais camp s’empressèrent de rejoindre, pour les uns une soi-disant résistance intérieure, et d’autres se précipitèrent à Londres afin de blanchir un passé drôlement noir.
Plus loin, dans les pages 16 / 17 / 18 : Celles qui évoquent la vie de Jacques Decour, il est écrit : « Insoumis-orthodoxes » que sont Jacques Decour, Georges Politzer et jacques Solomon, que le pacte germano-soviétique n’a aucunement empêché de s’engager ».
Que signifie « Insoumis-orthodoxes » ? Pourquoi le pacte germano-soviétique devait-il les empêcher de s’engager ?
Cela signifierait-il qu’un communiste pour s’engager en Résistance, « avant l’invasion de l’URSS » il fallait qu’il soit « Insoumis et orthodoxe » ? Cette phrase est offensante pour tous les communistes qui dès 1940 entrèrent en résistance.
En ce qui concerne l’entrée en Résistance des communistes et cela bien avant l’attaque contre l’Union Soviétique, je souhaite démontrer avec des arguments irréfutables, que les communistes ce sont engagés les premiers et sans avoir attendu juin 1941.
Comme preuve voici quelques phrases (difficilement contestables) prélevées sur une lettre adressée au Général de Gaulle, par Jean Brüller (dit Vercors) qui n’était pas communiste.
« Pourquoi a-t-il fallu que je retrouve sous votre plume les calomnies ordinaires que l’on porte contre les communistes … car mon général, je mentirais par omission en ne témoignant pas pour eux.
La première lettre que j’ai reçue, en aout 1940, qui m’appelait à la résistance était signée du communiste Jean-Richard Bloch.
La première réunion à laquelle j’ai assisté en octobre, chez le poète Arcos, s’était faite à l’initiative du même, accompagné du communiste Joliot-Curie, du communiste Wallon, du communiste Maublanc, du communiste Francis Jourdain ……
La première revue clandestine fondée en décembre 1940 LA PENSE LIBRE était une revue communiste.
Le premier organe clandestin des intellectuels résistants fut fondé en avril 1941 par le communiste Jacques Decour.
L’un des tout premiers résistants que j’ai « pratiqué » fut arrêté presque sous mes yeux, puis torturé à mort, c’était le communiste Holweg » (…)
(…..) Je ne parlais que du court passage (quelques lignes) où vous reprenez contre les communistes français l’accusation courante de s’être abstenus de la Résistance jusqu’à l’entrée en guerre de l’URSS (…)
Cependant quel autre « Parti » a édité clandestinement une revue résistante dès 1940 ? Les radicaux, les socialistes, les modérés ? Quel « réseaux » issu d’un « Parti » a fonctionné avant les réseaux communistes ?
Je tiens à ajouter à cela, que dès août 1940, un groupe de communistes du Nord composée entre autre des frères Martel, des frères Camphin, d’Eusébio Ferrari, de Debarge … incendient plusieurs véhicules Allemands, ils font dérailler un train, en décembre 1940 ils dynamitent la génératrice et la sous-station de Benory-Cumichy.
En mai 1941, ils abattent des soldats hitlériens à Lambersac.
En décembre 1940 dans le Var, mon frère Roger fit en pleine gare de triage de Fréjus-plage dérailler des wagons de marchandise en partance pour l’Allemagne.
Après cela comment peut-on continuer à prétendre ou à laisser entendre ou même supposer, que tous ces gens là étaient des Insoumis et orthodoxes ?
Je dirais simplement qu’ils étaient des militants communistes accomplissant en temps de guerre les gestes que leur conscience de communiste leur commandait de faire.
Par ailleurs, sur les trois pages réservées à Decour et à ses deux compagnons, les noms de Maïe Politzer, de Danielle Casanova, de Marie Claude Vaillant-Couturier sont cités, sans qu’une demi-ligne seulement ne soit consacrée afin de rappeler qu’il s’agit de responsables nationaux du Parti communiste Français. Pourquoi ?
Pour terminer ce texte, « Cerise sur le gâteau ».
Les quelques lignes en forme de conclusion, ajoutées après le nom de l’auteur de l’article, les voici :
« Après tout, est-il sûr que l’acte de sabotage d’une ligne de chemin de fer ait fait plus avancer la cause de la Résistance que Le Silence de la Mer.
Cette manière de mettre en dualité la Résistance politique de la Résistance militaire me révulse.
Ce n’est pas la première fois que je m’oppose, même et y compris parfois à des « historiens » bénéficiant d’une certaine aura, à cette façon de diviser la Résistance et d’opposer la Résistance politique à la Résistance militaire.
Au cours de dizaines et de dizaines de conférences que j’ai effectué, j’ai eu à de multiples reprises l’occasion de répondre à cette question.
Voici en résumé ce que j’ai maintes fois déclaré :
« Il est incontestable que tous ceux et toutes celles qui peu ou prou ont participé à la Résistance, mérite hommage et respect.
Quelles que soient les diverses formes de Résistance pratiquées, chacune avait une valeur irremplaçable et toutes sans exceptions ont contribué à la libération de notre pays. Chaque action dirigée contre l’occupant, aussi petite soit-elle a contribué à rendre à la France sa liberté ». Toutefois, d’origine provençale j’ai toujours aimé utiliser des images pour exprimer ce que je pense ou ressent.
Je définirais la Résistance comme un arbre, dont le but est de donner des fruits.
La Résistance politique était cet arbre et son but était bien de donner des fruits, ces fruits c’était la Résistance armée. Sans arbre, pas de fruits, mais sans fruits à quoi aurait servi l’arbre ?
Si la Résistance armée à permis à la France de prendre une place aux côtés des alliés le 8 mai 1945 à Berlin lors de la capitulation sans condition des armées allemandes, c’est parce que l’arbre avait donné beaucoup de bons et beaux fruits.
Alors pourquoi vouloir mettre ces deux choses en opposition, puisqu’elles ne sont que complémentaires ? L’une sans l’autre n’était rien !
Je comprends qu’il n’est pas facile de censurer les textes que tu reçois, mais je pense qu’il te sera possible d’apporter une autre lumière en publiant au moins en partie la présente lettre.
Merci d’avance et fraternellement à toi.
LANDINI.