Entretien avec Orlando Requeijo Gual ambassadeur de Cuba en France
IC :Monsieur l’ambassadeur, les mesures économiques envisagées à Cuba vont-elles orienter Cuba vers “ un socialisme de marché ” à la chinoise ou confirmeront-elles les options traditionnelles de la Révolution ?
Tout d’abord on ne peut pas dire qu’on est en train de faire ni socialisme de marché ni de copier (sic) des expériences des autres pays . Je pense que la singularité de la révolution cubaine c’est d’être un processus autonome en prenant en compte les expériences des autres pays du monde socialiste mais si nous avons fait quelque chose de bon c’est de ne pas imiter, de ne pas copier les autres modèles. De la même nous espérons que personne ne vienne copier les expériences cubaines.
Il n’y a pas de formule prédéterminée. Tous les jours, ils sont en train de changer les règles du jeu. Il y a des choses que même les fondateurs du marxisme n’ont pu prendre en compte comme les contaminations environnementales. Nous avons une base générale. Mais la vie est toujours plus riche…
Nous sommes dans une attitude d’analyse profonde et ouverte mais nous essayons de continuer à partir de nos propres problèmes et d’avancer sur le chemin du développement économique durable.
Celui-ci a trois piliers. Le développement économique, le développement social que personne ne mentionne et le développement environnemental. C’est un concept qu’on ne peut pas diviser.
On continue le développement économique pour maintenir les acquis de la révolution cubaine. Dans les derniers 20 ans, les choses ont incroyablement changé. Notre économie qui était basée sur le sucre est devenue une économie de services. Nous avons pu le faire car nous avions développé la connaissance, la recherche et l’éducation.
Nous maintenons nos acquis en matière d’éducation, de santé, de culture, d’accès au sport, de sécurité sociale, de retraite et d’égalité entre les sexes. Pas de différence de salaires entre les hommes et les femmes à Cuba, par exemple.
ET en même temps on doit prendre en compte la variable environnementale. On ne peut pas bâtir des choses sans respecter l’environnement. La législation cubaine en la matière est vraiment très sévère. Nous avons été félicités pour cela par le W.W.F. il y a deux ans. Très récemment, une étude de l’université Yale, aux Etats-Unis publiée dans la presse a placé la France en 7° position. Ils n’ont pas mentionné Cuba.
A la fin ils ont mis la référence sur la toile. Je suis allé voir. Cette université américaine a situé Cuba après la France mais bien avant les autres pays européens. Je ne sais pas pourquoi le rédacteur de l’article nous a oubliés. Neuvième sur le tableau, Cuba a été tout simplement effacé. Sur la carte, pareil. J’aimerai savoir pourquoi la presse française refuse de mentionner mon pays…
Q: Comment le PCC voit-il le devenir du capitalisme ? Le système peut-il rebondir ou est-il condamner à une chronicisation de la crise ?
Cette crise est une crise systémique. on ne peut pas avoir de solutions. Peut-être pour améliorer un côté et c’est pour cela qu’on fait la guerre et qu’on crée des tensions incroyables comme au Conseil de Sécurité à propos de la menace iranienne. C’est incroyable et honteux : des pays membres du Conseil de Sécurité condamnent un autre qui n’agresse personne et n’a pas attaqué une flottille dans les eaux internationales comme l’a fait Israël. Il ya des morts. Mais cet acte de piraterie internationale n’a pas suscité de sanctions. Même ici en France, j’ai entendu des politiques dire que la menace iranienne… pouvait envoyer une fusée nucléaire sur Paris !!!
Dans le même temps, on accuse la RPD de Corée d’avoir attaqué et détruit un bateau. Ce n’est ni sérieux ni respectable. La torpille utilisée était de fabrication allemande. Ils ont même retrouvé le numéro de série. Or l’Allemagne ne vend pas de torpilles à la RPDC. Son gouvernement garde le silence sur cette affaire. Pourquoi ? Il y a une réflexion de Fidel là-dessus.
Au Japon, le premier ministre avait promis la fermeture de la base militaire américaine d’Okinawa. Et voilà un incident incroyable. C’est la menace de la Corée du Nord, d’où toute la campagne… Il n’y aurait pas de sécurité dans la région et le maintien des bases militaires s’impose avec des débordements constants au détriment notamment des femmes japonaises qui subissent: alcool, viols drogue, prostitution…Je n’invente rien. Ce premier ministre a du démissionner. La base nord américaine, elle, reste en place. Des marins sud-coréens sont morts. Il nous semble qu’il y a un lien entre les deux questions. Cuba est en train de dénoncer ça.
Pour en revenir à la crise, le chômage est en train de monter partout. le déficit est tel que le président, ici en France a proposé d’inscrire dans la Constitution l’interdiction de préparer un budget déficitaire. Il y a 37 ans que la France vit avec des déficits budgétaires. Qui fait le budget? Le gardien de la Tour Eiffel?
Les plus grandes ouvertures de crédit, c’est pour payer le déficit hérité de ces 37 ans. Après ça viennent la santé, l’éducation, les autres choses auquel l’Etat doit faire face. Faut-il le mettre dans la Constitution? Moi je pense qu’il faut d’abord avoir la responsabilité d’amener le pays à la santé budgétaire et financière. On doit réduire les coûts et le luxe.
La crise systémique, c’est pas seulement la Grèce; Auparavant, c’était l’Irlande. Aujourd’hui, c’est la situation en Espagne, c’est le Portugal. auparavant il y a eu le Royaume-Uni avec une crise incroyable. Le Gouvernement travailliste est tombé. Aux Etats-Unis aussi, ils se remettent à peine. Mais qu’est-ce qu’on a fait? On a redonné le pouvoir aux banques qui sont en train de prêter au Gouvernement, avec des taux plus élevés, ce même argent public qui les a sauvées. Et qui paye? La majorité de la population.
C’est une situation commune aux pays européens. C’est la même situation en Amérique Latine. C’est une crise systémique et peut-être qu’il y aura des rebondissements partiels dans tel pays ou dans tel autre mais ça tombera dans le même sac. Comme Rémy Herrera l’écrit: « Un autre capitalisme n’est pas possible! ». Les solutions possibles ne sont pas conciliables avec l’exploitation et l’enrichissement de minorités qui sont en train de devenir encore plus riches. Parce que c’est l’abîme qui existe entre les différentes couches sociales qui est à la base de tout. A l’image des vieux penseurs, il faut prendre en compte ça et le fait que les acquis sociaux dont les européens bénéficiaient après la seconde guerre mondiale sont systématiquement détruits. Il faut prendre en compte cela et cesser d’écouter les discours grandiloquents pour se mettre à agir sur les sujets les plus chauds. C’est mon avis personnel.
Q: Est-il possible de dissocier la défense des “ Cinq ” de la défense de Cuba socialiste ?
Tout d’abord, L’ingérence dans nos affaires est totalement inacceptable. Imaginez-vous si du côté cubain nous étions en train de dénoncer les monarchies en Europe. Ou que ces monarques soient dépouillés de leurs bijoux et de leur couronne en or lorsqu’ils présentent le programme du Gouvernement et disent à la population qu’ils doivent réduire les coûts, économiser et éviter le luxe. Les images récentes étaient choquantes. Au moment où elle demandit des sacrifices à la population, la souveraine de Grande Bretagne était couverte de perles. La position de Cuba pourrait être d’éliminer tout ça et de répartir ces richesses parmi la population ou de l’investir pour le développement durable. Mais nous ne le faisons pas, nous respectons les choix des pays européens.
C’est la mentalité colonialiste, impérialiste qui reste en place. hier, une dame du ministère des affaires étrangères a dit que Cuba devait faire des gestes dans le cadre du dialogue politique. Il faut lui dire que Cuba n’est pas une marionnette et ne fera jamais de gestes….
Ce sont les mots que l’on dit tous les jours à Washington. c’est très difficile d’avoir un dialogue sur la base du respect mutuel. Nous ne nous ingérons pas dans les affaires françaises. nous demandons seulement un minimum de respect. Parfois ils dépassent la ligne. Quand on parle de Cuba, on doit aussi parler des 5. Quel est le geste du côté français? demandent-ils la libération des cinq? Depuis douze ans, ils ne l’ont pas fait. Ils n’ont même pas demandé que leurs conditions de détention soient améliorées. Que par exemple leurs femmes puissent leur rendre visite. Depuis douze ans, ils ne l’ont pas fait. Ils sont séparés depuis douze ans sans explications. Respecter les droits de l’homme implique aussi de respecter ceux des femmes et des enfants. La fille d’un des cinq n’a pu voir son père pendant près de onze ans. C’est le silence complet des gouvernements européens. Le jour où l’Europe parlera indépendamment de Washington, elle pourra être un partenaire pour parler sérieusement Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Plus de la moitié des pays d’Europe veulent rompre avec la position commune. D’autres ne veulent pas énerver l’ami Obama. Quelques pays veulent même renforcer la position commune. C’est la désunion européenne!!!! Il n’y a pas de consensus.
Des efforts sont faits pour la connaissance de Cuba et de la révolution cubaine depuis plus de cinquante ans. des étudiants ont été formés. malheureusement, les média sont dressés contre Cuba. Les propriétaires de journaux et magazines imposent cette ligne. Des groupes internationaux sont présents avec des liens très clairs avec les créateurs de ligne d’opinion parmi les plus négatifs au niveau international, les moins rationnels. On est en train de répéter la même chose dans différents journaux du monde. Il y a des gourous qui sont payés….Pas seulement en Europe. J’ai rencontré le rédacteur en chef d’un journal d’Amérique centrale, un bon journal mais qui publiait un éditorialiste basé à Miami et relayé en Espagne et en Amérique Latine. « Pourquoi mets-tu ces éditos dans ton journal? Ce n’est pas crédible! ». Il m’a répondu: « il faut vivre de la publicité, aussi ».
Parce que parfois, il y a la pub des cosmétiques et des voitures à droite et la page internationale à gauche. Mais en fait, il y a erreur sur la page. Certains articles ne sont peut-être pas au même endroit que les cosmétiques. mais c’est aussi de la publicité. Comme pour les cosmétiques, c’est la même image dans le Monde entier. C’est la même image si vous allez à New-York, vous verrez les mêmes supports qu’on voit à Dubaï, à Buenos-Aires…Eh bien, pour ce type d’articles, c’est pareil! ils sont publiés en 18 langues différentes.
Q: Les peuples d’Europe occidentale qu’on voit parfois comme des nantis dans certains secteurs de l’hémisphère sud, sont victimes d’une très grave offensive réactionnaire qui menace leurs acquis sociaux et leur dignité nationale. Les peuples de l’ALBA explorent une voie différente de développement. Y a t il des leçons générales, valant pour tous les peuples dans cette expérience de l’ALBA.
Je pense que l’ALBA a été créée par le besoin des pays de se mettre d’accord pour partager des bonnes pratiques et pour faire des choses ensemble qu’on ne peut pas faire seul. C’est d’abord l’intégration mais une intégration avec un sens social et un souci environnemental. Ce n’est pas un cadre politique général, ce n’est pas une fédération comme on vient le dire sur l’axe du mal La Havane-Caracas et toutes ces conneries quotidiennes dans la presse. Ce sont des expériences que parfois on peut faire. Par exemple, dans le cadre de l’ALBA. A Cuba nous avions fait il y a quelques années une étude de toute la population cubaine sur le plan génétique. notamment pour améliorer les conditions de vie des gens handicapés et comment éviter les accidents de la nature lorsque les problèmes sont d’origine génétique,.
Aujourd’hui on est en train de reproduire ça dans le cadre de l’ALBA dans les autres pays. Pour améliorer quoi? pour améliorer les conditions de vie des gens qui sont les plus oubliés de toutes les sociétés du monde. Des gens qui habitent seuls sans prise en charge médicale ni attention sociale même abandonnés par les familles… On est en train de faire ça en Bolivie, au Nicaragua, en Equateur, au Venezuela. A Cuba, c’était déjà compliqué mais il y avait un contrôle, un système de santé déjà établi. il faut mettre le focus sur les gens avec des incapacités, des handicapés avec les problèmes les plus grands. Les médecins et spécialistes cubains se sont trouvés dans des sociétés complètement différentes comme au Nicaragua ou en Bolivie avec des valeurs et des raisonnements, même du point de vue religieux.. Et c’est une chose du point de vue social… Mais ce sont des choses que parfois, quand on parle de droits de l’homme, il faut commencer à agir pour que les droits de l’homme soient universels, indivisibles et en même temps atteignables pour toute la population, pas seulement pour les plus aisés. C’est l’égalité, ce sont les principes de la Révolution Française dont on s’est inspiré dans le processus d’indépendance de l’Amérique Latine. Mais parfois, ce sont des principes qui sont vraiment bafoués, oubliés.
Du point de vue économique on doit faire des choses aussi dans le cadre de l’ALBA. Des programmes conjoints de développement. Car pour maintenir tous ces programmes sociaux, il faut avoir aussi des progrès économiques. S’il y a des ressources minérales, s’il y a de l’intelligence, de la capacité humaine pour faire des réalisations et s’il y a la capacité dans les autres pays de faire une compagnie, une entreprise conjointe par exemple, pour faire l’exploitation et produire. Est-ce qu’il faut attendre le Fonds Monétaire International, DSK pour nous donner une solution et nous expliquer comment faire les choses et la Banque Mondiale ou une entreprise étrangère? Non, nous avons la capacité de faire les choses nous mêmes. Peut-on avoir des participations des entreprises étrangères? Mais oui parce qu’il y a toujours besoin de la technologie de méthodes, de quelque chose. Ce type de participation est donc possible. Mais le fond , l’objectif final, le but, c’est une approche de développement durable du point de vue social, économique et bien sûr environnemental.
En Equateur, il y a une expérience très intéressante dont on parlera en France prochainement, d’aménagement du point de vue environnemental, politique et social. Pour l’ALBA, nous sommes encore en train de bâtir les principes. On peut pas dire que l’ALBA c’est une chose déjà fixe. On est en marche et il y a des perspectives et des possibilités de continuer. C’est la première fois que nous, les pays de l’Amérique Latine, quelques pays de l’Amérique Latine nous avons décidé par nous-mêmes de faire quelque chose ensemble.
C’est pourquoi certains récriminent contre l’ALBA parce que ce n’est pas dans le cadre du F.M.I., de la Banque Mondiale, sans la participation de l’Europe, de la Chine…C’est une expérience selon nos conditions, selon nos besoins, nos possibilités et capacités de le faire. L ‘ALBA a commencé entre Cuba et le Venezuela. L’année suivante, la Bolivie nous a rejoints. Et après ça, le Nicaragua, l’Equateur, le Honduras pendant une période courte mais c’est une expérience… Un président d’origine extrêmement bourgeoise qui s’est rendu compte que la solution n’était pas dans des systèmes classiques traditionnels, qu’ils faut donner quelques pouvoirs aux masses… paysans, ouvriers et les plus oubliés.
Bon. Un président qui était démocratiquement élu. Qui avait représenté les intérêts de la grande bourgeoisie. Dans un moment où il s’est rendu compte que le pays ne pouvait pas continuer selon le même schéma et il a décidé de faire quelques variations, quelques modifications très légères de la manière de le conduire et même il a proposé de faire un référendum pour connaître l’état de l’opinion, pour voir si ce référendum et c’était optionnel, ce n’est pas un référendum constitutionnel. J’y reviendrais
Que dit-elle et où était-elle au moment où la flottille de Gaza a été attaquée? Où sont ses condoléances ? C’est une double morale qui équivaut à un manque de morale. Et pour servir des intérêts qui ne sont pas les intérêts de la France.
Q: Pensez-vous que suite à ce coup d’Etat au Honduras, il y ait un risque que dans l’Amérique Latine l’époque des coups d’Etat revienne, celle qu’on avait connu dans les années 70
Ce n’est pas une menace, c’est une réalité. L’époque des coups d’Etat a repris depuis l’année 2002 où il y a eu un coup d’Etat au Venezuela. Ils ont fait un coup d’Etat contre le président Chavez. Il a été détenu et amené dans une base militaire. Sous la guide des experts militaires américains qui étaient alors dans le palais. S’il est encore vivant aujourd’hui c’est parce qu’un militaire a refuser d’accomplir l’ordre de le tuer. Qui a donné les ordres? Qui était le premier pays à reconnaître le gouvernement putschiste? Les Etats-unis suivis de l’Espagne d’Aznar et de l’O.E.A. qui tenait au même moment une réunion au Costa Rica qui a officiellement regretté l’interruption du processus constitutionnel. Ils n’ont pas mentionné le coup d’Etat. C’est la phraséologie hypocrite. Ce coup d’Etat a échoué parce que la population est descendue dans la rue et a remis le président en place. Au Honduras, ils ont mieux organisé tout ça. Parce qu’ils avaient l’appui et toute la logistique de l’ambassade américaine sur place.
Ils sont allés à la maison du président qu’ils ont capturé en pyjama et ils l’ont mis dans un avion dont la première escale était une base militaire américaine. Est-ce qu’on peut aterrir sur une base militaire américaine sans avoir l’accord des autorités.. Si je m’approche en avion de la base militaire de Villacoublay, là où j’habite… ou même en parapente. On va tirer sur moi…
La base de Palmarolla au Honduras est américaine. Comment un avion militaire hondurien peut-il y atterrir? Les Etats-Unis étaient derrière. Les Etats-Unis du président Obama. Le lauréat du prix Nobel de la paix. Et il y a en France des gens pour défendre ce coup d’Etat militaire.
Ils sont en train de réécrire l’histoire la plus récente que nous avons pu voir en direct grâce aux satellites . mais il n’y a pas un mot à propos de la répression, des assassinats sélectifs et massifs, la torture, les détentions, pas un mot de la porte-parole du ministère des AE.
IC: C’est Kouchner, on n’est pas surpris…
Je ne suis pas surpris non plus mais c’est quand même honteux…Il y avait une grève des étudiants qui a duré deux mois dans toutes les universités de Porto Rico. Quelle répercussion ici dans la presse française? Qu’en dit la porte-parole du MAE? Une étudiante a été tuée. La répression a été brutale.