Le pitoyable concours de l’eurovision, qui depuis Gainsbourg et France Gall n’a pas produit une chanson qui « coure encore dans les rues » (selon l’expression de Charles Trenet), ne mériterait pas une minute d’attention si, de nouveau, la question de la langue française et de la haine que lui porte l’oligarchie « française » n’était pas au cœur de ce non-évènement musical.
Déjà en 2008 Madame Mézerette, la « sélectionneuse » du service dit public de télévision, avait choisi de faire chanter la France en anglais. On allait voir ce qu’on allait voir puisque notre langue étant considérée comme un « handicap », le simple fait de chanter dans l’idiome des maîtres de la mondialisation capitaliste permettrait à la « France » de gagner haut la « hand » ! Bien entendu, le sieur Tellier a pris une pile et est rapidement retourné à sa médiocrité conformiste, camouflée sous son « look underground »…
Eh bien cette année ce n’est pas en français mais en corse que chantera le représentant du service « public » de télévision. Bien entendu, l’auteur de ces lignes, qui s’honore d’avoir une ascendance corse, n’a rien contre cette langue régionale, ni a fortiori contre les compatriotes de l’Ile de Beauté qui démontrèrent leur patriotisme français et républicain en se libérant par eux-mêmes du joud fasciste sous la conduite des glorieux Francs-Tireurs et Partisans de France. Si le service « public » de télévision avait eu l’idée de faire chanter la France en basque, en corse, en breton ou en occitan il y a dix ou vingt ans, on n’aurait pu qu’applaudir devant cette audace tout en se félicitant que les langues régionales soient de la sorte reconnues comme faisant partie du patrimoine de toute la nation.
Mais aujourd’hui il faut y regarder de plus près. Ecoutant par hasard France-Info vers 17 h, j’ai entendu de mes propres oreilles un journaliste « bien informé » vendre la mêche : « la France ne gagne pas parce qu’elle chante en français »…
Donc, tantôt l’anglais, tantôt le corse, tantôt l’américain et tantôt le « globiche », pourvu que la langue de Molière, cette pelée, cette galeuse d’où nous vient tout le mal, ne soit pas de la partie !
Et ce journaliste d’ajouter que le chanteur sélectionné cette année avait choisi le corse parce qu’il est « musical ». Sous-entendu, le français, langue de Rameau, de Berlioz, de Bizet, de Satie et de quelques autres, -sans parler de Brassens, Brel, Gilles Vigneault, Barbara, Ferrat, Ferré, Greco, etc.-, n’est pas « musical ». Ni l’allemand, langue de Bach et de Beethoven, ni le russe, langue de Moussorgski et de Prokofiev, ni… toute autre langue que l’anglais puisque cette année comme d’ordinaire, la « grande diversité » des nations et de la musique européenne va de nouveau quasi-exclusivement s’exprimer en anglais sur le plateau strass et paillettes de l’Eurovision : que voulez-vous, c’est ainsi que la belle Europe maastrichtienne et atlantique aime la « diversité » : comme Ford aimait les voitures de couleur « pourvu qu’elles soient noires »…
De deux choses l’une: ou il est vrai qu’une chanson française en français ne peut pas gagner à l’Eurovision et dans ces conditions, il faut claquer la porte immédiatement de ce concours ouvertement DISCRIMINATOIRE et porteur de totalitarisme linguistique inavoué. Ou c’est une ânerie que de penser cela, et dans ce cas, pourquoi ce complexe répugnant à l’égard de notre langue nationale qui, que l’on sache est la langue courante parlée chaque jour de Dunkerque à Ajaccio, et qui est encore un tout petit peu parlée à Bruxelles, Lausanne, et dans quelques pays où l’on enseigne encore la langue de ces « minus » que sont Racine, Hugo ou Arthur Rimbaud.
Mais la réalité est tout autre : le service « public » de la télévision remplit bien sa mission : celle que lui a confié en sous-mains le MEDEF, l’UE et le gouvernement Sarkozy et qui est d’habituer jour après jour notre pays à avoir honte de sa langue, à n’y voir qu’un parler ringard en voie de disparition, à la sacrifier au tout-anglais au niveau international… Monsieur Copé, le chef de l’UMP ne vient-il pas de proposer que désormais toutes les émissions du service « public » après 20 h soient en anglais sous-titré ? Chatel ne veut-il pas instituer le « bain linguistique » anglais dès la maternelle ? Sciences po Reims ne dispense-t-il pas intégralement son enseignement en anglais, sans doute pour rapprocher les « élites » de la nation ?
Bref, l’entreprise d’arrachage linguistique va bon train et, de manière plus insidieuse qu’il y a trois ans, les autorités de ce pays ont décidé de frapper un coup supplémentaire pour faire avancer dans les consciences l’idée que la France ne peut pas gagner… en français.
Mais que serait une « France » qui gagne en reniant sa langue, sa protection sociale, ses acquis laïques, sa souveraineté nationale, sa production industrielle… sinon un « couteau sans manche dont on a jeté la lame » ???
C’est pourquoi quel que soit le résultat du candidat français à l’Eurovision, les personnes encore capables d’un peu de civisme critique se doivent de saisir cette occasion pour dénoncer l’entreprise sans précédent d’arrachage et de substitution linguistique qui frappe notre pays sur tous les plans, commerce, enseignes, publicité, recherche, université, lycées (les élèves de la filière L perdront deux heures de littérature française l’an prochain au profit d’un « enseignement de la littérature étrangère en langue étrangère » : devinez laquelle ?). Celui qui écrit ces lignes a passé sa vie à combattre le racisme, le colonialisme français et en ce moment même, à dénoncer les frappes de l’OTAN et de l’armée de Sarkozy sur la Libye. Ce n’est pas pour supporter cette autophobie linguistique qui n’est que l’envers de la xénophobie d’Etat pratiquée par le régime en place, imitateur doué de la famille Le Pen.
Progressistes, gens de gauche, syndicalistes, quand cesserons-nous d’assister muets à l’arrachage insidieux de notre langue maternelle ?
Vive la langue corse et toutes les langues régionales de France, patrimoine de la nation !
Mais vive la langue française « langue de la République » au titre de l’article II de la constitution !
On attend que les défenseurs attitrés de la chanson française sortent de leur réserve et de leur ghetto où trop d’entre eux se complaisent pour faire entendre ce qu’ils ont de plus précieux : leur VOIX, leur LANGUE et leur PAROLE.
Georges Gastaud, auteur de « Lettre ouverte aux ‘bon Français’ qui assassinent la France, militant communiste et fils de résistant.