Je sens qu’il va nous être difficile de nous comprendre dans le cadre de politiques économiques qui concentrent le capital en quelques mains. Les données prouvent que 1% de la population mondiale concentre 50% des richesses. Avec de si profonds clivages, comment peut liquider la pauvreté ? Et si nous ne liquidons pas la pauvreté, comme pourra-t-on garantir une paix durable ?
Quand j’étais enfant, je me rappelle parfaitement que, quand les peuples se soulevaient contre le système capitaliste, contre les modèles économiques de pillage permanent de nos ressources naturelles, on accusait les dirigeants syndicaux, les dirigeants politiques de gauche d’être des communistes et qu’on les arrêtait ; qu’on réprimait militairement les forces sociales à coups de confinements, d’exils, de massacres, de persécutions, d’incarcérations, d’accusations d’être des communistes, des socialistes, des maoïstes, des marxistes-léninistes. Je constate que ce n’est plus le cas maintenant : on ne nous accuse plus de marxistes-léninistes, on nous accuse de narcotrafiquants ou de terroristes…
…des interventions se préparent contre les présidents, contre les gouvernements, contre les peuples qui ne sont pas en faveur du capitalisme et de l’impérialisme.
…on nous parle d’une paix durable. Mais quelle paix durable peut-elle exister avec tant de bases militaires étasuniennes ? Quelle paix durable peut-elle exister devant tant d’interventions militaires ?
À quoi servent donc ces Nations Unies si un petit groupe de pays y décide d’interventions, de massacres ? Si nous voulons que cette organisation-ci, les Nations Unies, ait assez d’autorité pour faire respecter ses résolutions, eh bien, nous devons commencer par penser à la refonder…
Tous les ans, la quasi-totalité des membres des Nations Unies – exception faite des USA et d’Israël – vote la levée du blocus économique imposé à Cuba. Et pourtant, qui fait respecter cette résolution ? Bien entendu, le Conseil de sécurité ne va jamais faire respecter cette résolution de l’Assemblée générale ! […] J’ai du mal à comprendre comment une organisation de tous les pays du monde ne respecte même pas ses propres résolutions. Qu’est-ce donc que les Nations Unies ?
Je tiens à dire que la Bolivie n’ignore pas la reconnaissance de la Palestine par les Nations Unies : au contraire, la Bolivie donne la bienvenue à la Palestine aux Nations Unies.
Vous savez que je proviens du mouvement paysan indigène et que nos familles, quand on parle d’une entreprise, pensent qu’elle a toujours beaucoup d’argent, que ses patrons sont des millionnaires, et elles ne comprenaient pas qu’une entreprise demande de l’argent à l’État pour faire un investissement.
Voilà pourquoi je dis que ces organisations financières internationales font des affaires à travers les entreprises privées, mais qui paie tout ça ? Tout simplement les peuples, les Etats.
…la Bolivie a une demande historique envers le Chili pour recouvrer un accès souverain au Pacifique. Et elle a donc pris la décision de recourir aux cours internationales pour réclamer un accès utile et souverain à l’océan Pacifique.
La résolution 37/10 de l’Assemblée générale de l’ONU, en date du 15 novembre 1982, stipule que « le recours à un tribunal international de justice pour régler des différends entre États ne saurait être considéré comme un acte inamical ».
La Bolivie se prévaut du droit et de la raison pour recourir à une cour internationale, parce que son enfermement est le fruit d’une guerre injuste, d’une invasion. Demander un règlement dans un cadre international représente pour la Bolivie la réparation d’une injustice historique.
La Bolivie est un État pacifiste qui privilégie le dialogue avec ses voisins, et c’est pourquoi elle maintient ouvertes les voies de négociation bilatérale avec le Chili, sans pour autant renoncer à son droit de recourir à une cour internationale…
Les peuples ne sont pas responsables de l’enfermement maritime de la Bolivie. Les fautifs, ce sont les oligarchies, les transnationales qui s’emparent comme toujours de leurs ressources naturelles. Le Traité de 1904 n’a pas apporté la paix ni l’amitié ; il a fait que la Bolivie n’ait pas pu accéder pendant plus d’un siècle à un port souverain.
…en Amérique, un autre mouvement des pays latino-américains et caribéens est en gestation, une nouvelle OEA sans les États-Unis, pour nous libérer de certains diktats. Heureusement, grâce à la petite expérience que nous avons à l’UNASUR […] nous n’avons plus besoin, en cas de différends entre pays […] que quelqu’un vienne d’en-haut et du dehors y mettre bon ordre.
Je veux aussi saisir l’occasion pour aborder un point clef : la lutte contre le trafic de drogues, que l’impérialisme étasunien utilise à des fins foncièrement politiques. En Bolivie, la DEA étasunienne ne luttait pas contre le trafic de drogues ; elle contrôlait le trafic de drogues à des fins politiques. S’il existait un dirigeant syndical ou un dirigeant politique anti-impérialiste, eh bien la DEA était là pour l’impliquer. Nous avons été de nombreux dirigeants, de nombreux hommes politiques à échapper à ces manigances de l’Empire pour nous impliquer dans le trafic de drogues. Et les tentatives se poursuivent.
Ces dernières semaines, des médias étasuniens affirmaient que l’avion de la présidence était arraisonné aux USA à cause de traces de cocaïne. Quel mensonge ! Mais c’est bien ainsi qu’on tente de duper la population en orchestrant une sale campagne contre le gouvernement, voire contre l’Etat. Or, que font les Etats-Unis ? Ils « décertifient » la Bolivie et le Venezuela. De quelle autorité morale peuvent se prévaloir les États-Unis pour certifier ou « décertifier » les pays d’Amérique du Sud ou d’Amérique latine ? Alors qu’ils sont le premier consommateur de drogues au monde, alors qu’ils sont les plus gros producteurs de marihuana au monde ! […] Au nom de quelle autorité morale peuvent-ils donc certifier ou « décertifier » ? C’est là une autre manière de faire peur à nos pays ou de les intimider. N’empêche que la Bolivie lutte contre le trafic de drogues d’une manière absolument responsable.
Ce même rapport des États-Unis, ou plutôt de leur département d’État, reconnaît que la culture de la coca a nettement diminué, que la prohibition s’est améliorée.
Mais où est donc le marché ? Car c’est le marché qui est à l’origine du trafic de drogues. Eh bien, le marché est ici. Et qui donc « décertifie » les États-Unis pour n’avoir pas réduit leur marché ?
Ce matin, le président mexicain, Calderón, a dit que le marché de la drogue continuait de croître, mais que personne ne prenait la responsabilité de le réduire. […] Luttons donc en partageant les responsabilités. […] En Bolivie, nous n’avons pas peur. Finissons-en avec le secret bancaire si nous voulons vraiment lutter contre le trafic de drogues.
L’une des crises, découlant de la crise du capitalisme, est la crise alimentaire. […] Nous avons une petite expérience en Bolivie : on offre des crédits aux producteurs de riz, de maïs, de blé et de soja, sans aucun intérêt, et ils peuvent même éponger leur dette avec leurs produits. Ce sont des crédits dans des conditions de faveur pour stimuler la production. Et pourtant les banques internationales ne prennent jamais en considération les petits producteurs, ou les associations, les coopératives, qui peuvent très bien contribuer si on leur en donne la possibilité. […] Il faut en finir avec le marché dit compétitif.
Dans une compétition, qui donc gagne? Le plus puissant, celui qui a le plus d’avantages. Les transnationales, et toujours elles. Et qu’arrive-t-il alors au petit producteur ? Qu’arrive-t-il alors à la famille qui veut s’en sortir par ses propres efforts? […] Avec cette politique de concurrence, nous n’allons jamais pouvoir régler la question de la pauvreté.
Je dirai, pour conclure mon intervention, que la crise du capitalisme est désormais irréversible. […] La crise économique du capitalisme n’est pas conjoncturelle, elle est structurelle. Et pourtant, que font les pays capitalistes ou les pays impérialistes ? Ils cherchent le moindre prétexte pour intervenir dans un pays et pour en récupérer les ressources naturelles.
Le président étasunien a dit ce matin que l’Iraq était désormais libre, que c’étaient les Iraquiens qui allaient maintenant gouverner. Il se peut bien que les Iraquiens gouvernent, mais leur pétrole, aux mains de qui est-il maintenant ?
Il s’est félicité : fini l’autocratie en Libye, maintenant c’est la démocratie. Peut-être bien, mais le pétrole libyen, aux mains de qui restera-t-il maintenant ? […] Les bombardements n’avaient rien à voir avec Kadhafi ou avec quelques rebelles : l’intérêt, c’était la conquête du pétrole libyen.
…Ils veulent donc régler leur crise, la crise du capitalisme, en récupérant nos ressources naturelles, à partir de notre pétrole, de notre gaz, de nos ressources naturelles.
…nous avons une énorme responsabilité : défendre les droits de la Terre nourricière.
…la meilleure façon de défendre les droits humains, maintenant, c’est de défendre les droits de la Terre nourricière. […] Nous avons ici une énorme responsabilité : approuver les droits de la Terre nourricière. Voilà soixante ans, on a approuvé la Déclaration universelle des droits de l’homme. Voilà à peine soixante ans qu’on s’est rendu compte aux Nations Unies que l’être humain avait aussi des droits ! Après les droits politiques, après les droits économiques, après les droits des peuples indigènes, nous avons maintenant une énorme responsabilité : défendre les droits de la Terre nourricière.
Nous sommes aussi convaincus que la croissance infinie sur une planète finie est insoutenable, impossible. La limite de la croissance est la capacité de génération des écosystèmes de la Terre. […] Lançons un appel à […] un nouveau décalogue de revendications sociales au sujet des systèmes financiers, des ressources naturelles, des services de base, de la production, de la dignité et de la souveraineté, et, sur ces bases, commençons à refonder les Nations Unies, pour qu’elles soient vraiment la plus grande instance où régler les questions de la paix, de la pauvreté, de la dignité et de la souveraineté des peuples du monde.
Nous espérons que l’expérience que j’ai vécue comme président puisse servir à quelque chose, de même que je viens apprendre de beaucoup d’entre vous, afin de continuer de travailler à l’égalité et à la dignité du peuple bolivien.