Je réside à La Havane et je prends connaissance avec un certain retard de vos articles et contributions comme celles régulières de Janette Habel que je viens de lire dans l’Humanité Dimanche du 2 au 8 avril 2009.
Pour vivre à Cuba je vous avoue ma consternation entre ce que je vis et ce que je lis de la situation ici tout comme des analyses si conventionnelles que vous faites valoir : celles particulièrement répétitives de Janette Habel que vous semblez considérer comme un avis exclusif et autorisé , au point qu’on peut se poser la question si il n’y a plus de communistes susceptibles de donner une opinion indépendante sur Cuba et sa Révolution. Je parle bien sur de communistes et non de Janette Habel dont le conformisme vis a vis de Cuba socialiste n’est pas nouveau. Ainsi elle conclue son interview par ” Cuba n’est pas un modèle “ ! Mais qui parle de modèle ? Sûrement pas les Cubains ! Par contre pourquoi ne parlerait on pas “d’exemple” et même “d’exemple contagieux” si l’on apprécie l’esprit de résistance qui se développe en Amérique latine ou chacun rend hommage à Cuba et à Fidel sans qui bien des changements ne seraient jamais intervenues ! Ecoutez Lula, Bachelet, Kirchner, Zelaya, Colom, ou Leonel Fernandez, et je ne parle pas de Chavez, d’Ortega, de Evo, de Correa et de bien d’autres. Mais surtout les peuples de cette région du monde. Est-ce si compromettant d’en parler ? D’ailleurs il me semble que Janette Habel gagnerait à expliquer POURQUOI ET COMMENT 50 ans après le triomphe de la Révolution, Cuba, comme elle l’admet bien malgré elle, continue à être “un symbole de la résistance anti impérialiste et de la souveraineté nationale”. Après toutes ces années elle devrait savoir que si cela ne se décrète pas c’est que cela doit reposer sur quelque chose qui s’appelle l’adhésion d’une large majorité du peuple Cubain aux choix faits il y a 50 ans par les révolutionnaires du “Granma” !
J’en viens maintenant à votre façon d’aborder la situation nouvelle, celle de l’après Bush ! Elle me semble caricaturale et politiquement inapproprié pour tous ceux qui lecteurs réguliers de l’Humanité et autres se sentent solidaires de Cuba et attendent des arguments mais surtout des informations leur permettant de comprendre ce qui s’y passe afin d’apprécier les enjeux véritables. Car si l’on s’en tient à la seule lecture de Janette Habel on a plutôt le sentiment que dans un monde qui bouge vite, Cuba serait comme paralysé ou si je vous suis tétanisé par l’esprit d’initiative d’Obama ! Ce qui est pour moi une façon de voir assez surprenante quand dans les faits cette période consacre au contraire la justesse de la stratégie anti impérialiste de Cuba qui aura contribué à modifier sensiblement le rapport des forces politiques de toute cette région. Votre article sur la Conférence de Trinidad et Tobago est de ce point de vue affligeant non seulement par ce qu’il suggère qu’Obama incarnerait l’ouverture mais parce qu’il laisse entendre que la balle serait dorénavant dans le camp de La Havane. Argument que reprennent en cœur les agences de presse occidentales avec le discernement qu’on leur connaît, n’a t’on pas entendu parler” de brèche dans le blocus” et même de ”fin programmée”. Ce qui est surprenant c’est que l’Humanité Dimanche prête sa voix à ce concert.
La réalité est tout autre ! Qu’en est-il ?
Avec la décision du Costa Rica et celle annoncée du Salvador ; Cuba a maintenant des relations diplomatiques avec toutes les républiques d’Amérique Latine et de la Caraïbe. Cuba a été accueilli triomphalement au sein du groupe de Rio et Cuba ne rejoindra pas l’OEA par ce que cette institution représente une époque désormais révolue, celle ou l’Amérique latine était ”l’arrière cour” des USA obéissant a ses diktats et acceptant tous ses coups tordus criminels sur lesquels on attend encore qu’Obama s’explique, ce que d’ailleurs Fidel et Raoul viennent de rappeler opportunément. L’OEA c’est 60 ans de trahison et d’ailleurs les Cubains demandent sa dissolution ! Donc quand l’OEA sur ordre des USA souhaite la réintégration de Cuba ils sont complètement à coté du sujet! En fait ce sont les USA qui sont complètement isolés ! C’est d’ailleurs ce qu’ a souligné avec pertinence la membre du Congrès US Barbara Lee, démocrate l’ors de sa récente visite à la Havane à la tête d’une importante délégation parlementaire du Black Caucus. Faut-il rappeler qu’un récent sondage aux USA montre que 71% des Américains souhaitent des relations diplomatiques normales avec Cuba.
Le problème c’est que les mesures annoncées par Obama conformes a ce qu’il avait déclaré pendant sa campagne électorale ne modifient pas le fond des choses et en aucun cas ne seraient être interprétés comme une ouverture. Elles assouplissent certaines dispositions pour les Cubanos-Américains mais pas pour les Américains et par ailleurs elles s’accompagnent d’exigences totalement déplacées et mêmes provocatrices vis a vis d’un gouvernement et d’un peuple qui résistent depuis presque 50 ans contre un embargo criminel et dont une partie du territoire est occupée illégalement par un camp de concentration et une base militaire US : Guantanamo. En fait à Port of Spain Obama a été très clair, il n’y aura pas de levée de l’embargo. C’est d’ailleurs ce qu’avait annoncé trois semaines auparavant le vice président Joe Biden à la Conférence de Vina del Mar le 29 mars dernier au Chili. Il n’y a donc aucune ambiguïté. Maintenant évidemment si les Etats Unis veulent parler, les Cubains sont d’accord, mais cela ce n’est pas nouveau ! Et comme l’a fait comprendre Raoul, ” Cuba ne demande pas la charité , mais des relations normales”, il n’ y a pas de sujets tabous et on peut aussi discuter par exemple de la libération des 5 héros cubains prisonniers politiques en faveur desquels une douzaine de prix Nobel viennent à nouveau de se mobiliser, ou encore on peut parler du terroriste Cubano-Américain , agent de la CIA: Posada Cariles dont le Panama et le Venezuela demandent en vain l’extradition depuis plusieurs années.
Comme l’a souligné Christina Kirchner la politique des Etats Unis est dans ces conditions totalement “anachronique”. C’est donc à Washington de faire la démonstration de sa volonté de voir changer ses relations avec Cuba et non l’inverse ! Ce qui passe par le respect de l’intégrité de Cuba, de sa souveraineté, de son indépendance, de ses choix politiques comme c’est un principe reconnu pour chaque pays du monde. Que dirait on si Cuba exigeait comme préalable à toutes discussions que Washington modifie la situation des droits de l’homme aux USA, ou encore qu’ils renoncent au marché, voir au capitalisme . Au nom de qui et de quoi Washington et Obama s’arrogent ils le droit de décider et juger de ce qui est bon pour les Cubains. Tout cela venant d’un pays ou le Président vient de reconnaître qu’on se livrait à la torture tout en ajoutant qu’en aucun cas on ne pourrait engager d’actions contre leurs auteurs et leurs inspirateurs. Quelle scandaleuse hypocrisie !
C’est ce double langage, cette position rétrograde et réactionnaire qui est condamnée internationalement et est à l’ origine de l’isolement des USA au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies et bien sur en Amérique Latine. C’est aussi pourquoi et visiblement au regard des premiers échos qui viennent de Trinidad la montagne semble avoir accouché d’une souris. Si vous avez le temps et la volonté relisez les déclarations de Celso Amorim le Ministre des affaires étrangères du Brésil faites là bas.”Obama doit comprendre que la région veut la fin de l’embargo ! L’exclusion de Cuba est une anomalie qui doit être corrigée !”Ce n’est donc pas à Cuba de donner des gages ! Il faut ajouter encore une chose : A ce jour les USA n’ont pas renoncé à leurs tentatives de déstabilisation dans plusieurs pays comme l’Equateur, le Venezuela, la Bolivie, Evo Morales vient d’ailleurs de le rappeler ! Qu’en pense et que fait Obama?
En fait l’état des choses a décidément bien changé et avec leurs différences les peuples d’Amérique latine ont fait des choix qui devront s’imposer à Obama et son équipe au risque de voir ceux ci louper le train de l’histoire ! Un important Think Tank américain ”the Inter American Dialogue Research Center” soulignait ces derniers jours :” le meeting de Trinidad et Tobago sera peut être la seule opportunité pour Obama si il veut prendre en compte la nouvelle réalité latino américaine”. Pour beaucoup d’observateurs qui commentent sur l’impressionnant ballet diplomatique qui se déroule depuis des mois à La Havane, Cuba est devenu une plaque tournante ou encore “une porte ouverte” sur l’Amérique Latine et par ces temps de crise une sorte “de passage obligé”. Même Sarkozy l’a compris à sa manière, alors pourquoi pas vous ! Ne pas saisir cela et ne pas expliquer le pourquoi de cette situation radicalement nouvelle que l’on doit à Cuba et non à Obama ne peut que constituer un handicap pour les luttes et les nécessaires solidarités internationalistes.
Voila pourquoi la crédibilité de l’Humanité Dimanche gagnerait à parler de la situation réelle à Cuba, parce que c’est justement cette situation réelle, les progrès, les résultats acquis, qui donnent cette force et cette crédibilité à Cuba ce que d’ailleurs vient de reconnaître le commissaire européen Louis Michel à l’issue de sa troisième visite cette année à La Havane. Sur ce point il y a tant de choses à dire que de publier et republier les mêmes arguments, les mêmes dénigrements et les mêmes expressions dans l’HD d’avril, dans le numéro spécial de l’HD sur Cuba , dans le Monde Diplomatique de décembre 2008 comme le fait Janette Habel et qui m’ont fait penser à ce révolutionnaire bien connu qui fort justement faisait remarquer :” l’histoire ne se répète pas elle bégaye”.
Bien sûr il y a des problèmes à Cuba et comment n’y en auraient-ils pas. Cuba est un petit pays du 1/3 monde soumis de surcroît à un embargo génocidaire et qui a subis fin 2008 : 3 ouragans particulièrement dévastateurs équivalents à 1/3 de son PIB.. Cela ne donne que plus de mérites et de valeurs aux avancées économiques, sociales et culturelles de la Grande Ile comme cela donne aussi du sens aux exigences critiques qui s’expriment au sein du peuple a commencer de la part de ses propres dirigeants en particulier Fidel et Raoul. Tout cela est à l’ordre du jour et se discute, avec en perspective le prochain congrès du Parti Communiste Cubain ! Par conséquent réduire la vie politique et sociale à Cuba à cette présentation caricaturale, conformiste et politicienne à laquelle se livre Janette Habel devient pour le moins lassant.
Par exemple, celle-ci parle des réformes de structure en panne mais outre le débat ouvert sur les reformes de nombreuses institutions. le dernier et important remaniement ministériel qui vient d’avoir lieu a justement à voir avec tout cela comme c’est le cas avec le rôle clef joué dorénavant par le Ministère des sciences technologies, et de l’environnement qui prendra totalement en charge tous les domaines de la recherche en particulier bio technologiques et qui est placé maintenant sous la responsabilité du populaire “Chomi” Barruecos, ancien guérillero et longtemps secrétaire personnel de Fidel Castro.
C’est le cas également de la fusion d’autres ministères Agriculture et pèche par exemple ou encore du Commerce extérieure avec le ministère de l’investissement. D’autres changements se préparent c’est pourquoi” la bombe” dont parle Janette Habel en évoquant le départ de Carlos Lage et de Felipe Roque ,ressemble a un pétard mouillé, les explications ont été donnés et franchement on est bien loin du roman qu’elle évoque sur la lutte souterraine entre Raulistes et Fidelistes .
Quant a imaginer l’expression d’une gauche alternative faite de “courants d’inspiration marxiste” , il ne faut pas voir le NPA partout et prendre ses désirs pour des réalités! Tout cela est bien dérisoire. Reprendre aussi dans cette interview toutes ces fables sur les portables témoigne d’une méconnaissance totale, il suffit de se promener dans les rues de La havane pour voir ce qu’il en est réellement ! Idem en ce qui concerne internet ! A Cuba pour une population de 11 millions d’habitants on compte près 700 000 ordinateurs, 15 000 étudiants se spécialisent dans ce secteur. Faut il rappeler qu’en 1959 Cuba comptait 3 universités et en 2007, 66 avec 600 000 étudiants. Pourquoi ne pas parler de tout cela comme par exemple de la récente découverte cubaine d’un traitement contre le cancer du poumon, les progrès spectaculaires faits dans la lutte conte le SIDA et reconnu par la communauté internationale ou encore du vaccin contre la méningite B qui est le seul au monde ou de celui contre l’hépatite B exporté dans plus de 60 pays.
En février dernier la Foire internationale du livre a connu 6 millions de visiteurs, 9000 nouveaux titres y étaient présentés, plus de 50 pays y participaient. Pourquoi ne pas évoquer également février début mars la “Conférence internationale des économistes” à laquelle ont participé cette année 1500 économistes de près de 60 pays, dont 3 prix Nobel Américains, 2 Présidents et 75 parlementaires et ministres de nombreux pays. Actuellement La Havane est envahie par l’Art Contemporain : la 10ème Biennale 300 artistes de 54 pays représentant toutes les tendances de l’Art Contemporain, et enfin parler de la formidable restauration de la vieille Havane dont la réussite a conduit l’UNESCO à la classer au patrimoine de l’Humanité…Pourquoi ne pas parler de tout cela et bien sur aussi des problèmes!
Par conséquent les lecteurs de l’Humanité méritent aussi ces informations, et autre chose que les propos habituels de Janette Habel ! Je ne sais pas si vous publierez ce courrier mais peut être allez vous y répondre, je le souhaite pour ma part ! Tout comme je souhaite voir l’Humanité retrouver la place qui était la sienne dans la défense d’une Révolution qui par delà ses victoires et ses échecs continue à faire rêver et inspirer bien des peuples à travers le Monde.
Comme je doute que vous vous en soyez fait l’écho, je veux me saisir de l’opportunité de ce courrier en soulevant une question qui ne concerne pas directement l’Humanité mais l’activité du PCF à laquelle l’Humanité n’est pas indifférente. Pourquoi fin 2008 au Conseil régional d’Ile de France et en réunion de sous commission le groupe communiste avec le groupe socialiste a voté contre une motion proposant l’attribution d’une importante subvention de solidarité à Cuba après les dévastations sans précédents des 3 ouragans?
Bien cordialement à vous, Hasta la vitoria siempre!
Jean-Pierre Page
ancien membre du Comité Central du PCF (1982-2000)