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Ci-dessous la lettre ouverte.
Photo tirée de l’article suivant: http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/affaire-renault-lettre-ouverte-d-106876
Madame, Messieurs,
Le 14 décembre, pendant plus de huit minutes, Nicolas Poincaré a interviewé sur Europe 1 Hélène Dingli-Renault sans l’exposer à la contradiction [1]. Les thèses avancées à cette occasion reproduisent celles du mari de l’intéressée, Laurent Dingli, également sur vos ondes et sans contradiction, le 3 août 2011 au cours de l’émission de M. Franck Ferrand, Au cœur de l’histoire, entièrement cautionnées par ce dernier. Constituant des contrevérités, elles sont démenties par les douze textes que vous trouverez ci-joints, envoyés à plusieurs de vos confrères le 12 décembre 2011. J’ajouterai de nouveaux éléments de démonstration dans plusieurs courriers suivants, destinés aux media en général.
Ces documents (copies ou transcriptions), de même que ceux à venir, infirment la thèse soutenue par Hélène Dingli-Renault le 14 décembre que Louis Renault « n’a pas collaboré avec les Allemands […] avec zèle et sans contrainte », a pratiqué une « production au ralenti » et « a moins produit que Citroën et Peugeot ». Les documents 5, 6 et 10 sont à cet égard explicites.
Selon le document 5, évoquant « le risque » de bombardements, le 13 janvier 1942 – soit près de deux mois avant celui du 3 mars -, Renault bénéficiait de privilèges exceptionnels, des surprofits consentis à « une entreprise particulièrement importante à activités multiples », avec le ferme soutien du comité d’organisation de l’industrie automobile (COA) dirigé par son « directeur responsable » François Lehideux, neveu de Louis Renault, alors en outre ministre de la production industrielle : 12%, soit deux fois plus que les plus petites entreprises, et encore 20% de plus que ses rivales puissantes, les « grandes entreprises », gratifiées de 10%.
Document 6 : contribution allemande directe à l’augmentation des capacités de la société anonyme des usines Renault (SAUR).
Document 10 : tableau comparatif par constructeur, attestant les effectifs salariés exceptionnels assurés aux usines Renault. Des textes suivront sur le rôle exceptionnel de la SAUR dans les livraisons à l’Allemagne.
Certains documents présentés ici contredisent simultanément l’affirmation d’Hélène Dingli-Renault que « les usines Renault n’ont jamais fourni de chars pour l’armée allemande, de même que les autres entreprises d’automobiles n’ont fourni de chars pour l’armée allemande ». La deuxième partie de la phrase de votre interlocutrice est obscure : j’ignore si elle a voulu opposer ou unifier tous les constructeurs, mais le document 4 confirme, comme je l’ai écrit dans mon ouvrage Industriels et banquiers français sous l’Occupation : la collaboration économique avec le Reich et Vichy, Paris, Armand Colin, 1999, 661 p., à la fois que Renault était constructeur de chars et qu’il n’était pas le seul.
Quoi qu’il en soit, la dénégation est reprise depuis janvier 2011 dans une foule de media par les héritiers de Louis Renault et leurs représentants, sans réplique faute de contradicteur informé : « jamais Louis Renault n’a accepté de fabriquer ni de réparer des chars pour les Allemands », avait déjà affirmé Laurent Dingli, cité par Thomas Wieder et Pascale Robert-Diard, dans Le Monde Magazine du 8 janvier 2011 (« Renault. La justice révise les années noires »). Elle est aussi erronée que les précédentes, bien que la Cour d’Appel de Limoges, s’érigeant en tribunal historique, l’ait cautionnée : son arrêt du 30 juillet 2010 tronque de nombreuses sources sur la fabrication de chars « pour le 15 juin » 1941 par les usines Renault citées p. 143-146 de l’ouvrage d’Industriels et banquiers français sous l’Occupation en les réduisant à « la reproduction d’une simple note attribuée à une source (R.M. 2 polonais) non identifiée, qui n’a été corroborée par aucun élément objectif. » Or, il s’agit d’un document de renseignement adressé au BCRA (Bureau central de renseignements et d’action) du général de Gaulle, classé comme RM 2 polonais, n° 1847, dossier n° 32, Seine, 30 avril 1941, source : Londres 1939-1945, 300, archives du ministère des Affaires étrangères. Les nombreux envois de ce type à Londres, « non identifié[s] » en clair, puisqu’il s’agit, par définition, de renseignements secrets, concordent tous (op. cit., loc. cit.). Ils ont constitué une source essentielle du choix par les Alliés anglo-américains des cibles de leurs bombardements, tel celui du 3 mars 1942 sur les usines Renault de Boulogne-Billancourt.
L’affirmation que la production était « contrainte » parce que Renault avait des « commissaires allemands » sera contestée dans un prochain courrier, pièces à l’appui.
Quoi qu’il en soit, les textes 2, 4, et 8 sont formels :
1° sur la réparation des chars français acceptée par écrit par Louis Renault le 1er août 1940, après « trois semaines » de négociations avec les Allemands, acceptation muée le 4 août en réquisition d’ateliers à « direction allemande » à la demande de Lehideux, au nom de Louis Renault : le texte 2 du 4 août 1940, présent dans plusieurs cotes du fonds Lehideux-COA de la Haute-Cour, constitua un élément d’accusation majeur de collaboration contre Lehideux, porte-parole officiel de Louis Renault.
2° sur la fabrication de chars et pièces de chars par les usines Renault. Sous l’Occupation, l’industrie automobile française ne fabriqua pas seulement des éléments finis ou complets (voitures, camions, chars, tracteurs militaires, etc.), mais des pièces de ces mêmes ensembles, d’un tonnage équivalent ou supérieur (par exemple en 1943). Une partie des éléments fabriqués étaient montés soit en France dans d’autres entreprises, soit en Allemagne : les constructeurs automobiles allemands, y compris les plus grandes marques, ne fabriquaient pas alors des véhicules complets, comme leurs homologues français, contrôlant la chaîne de fabrication entière, mais assuraient leur montage final. Les fonds Lehideux-COA sont extrêmement riches en la matière.
Hélène Dingli-Renault et Laurent Dingli ont la chance de n’avoir pas à commenter les bombardements alliés qui visèrent particulièrement les usines Renault, depuis celui du 3 mars 1942, « le plus dur pour » Louis Renault – formule de M. Dingli, le 3 août 2011, où Franck Ferrand n’a pas fait souffrir son interlocuteur à ce sujet ; Nicolas Poincaré n’a pas même posé la question à Hélène Dingli-Renault le 14 décembre 2011. Il convient pourtant d’expliquer au peuple français – que cette héritière de Louis Renault et son conjoint s’efforcent de mettre en condition pour le neutraliser ou obtenir son agrément à l’indemnisation que sept héritiers ont requise de l’État par leur assignation du 9 mai 2011 – pourquoi les usines Renault ont été particulièrement pilonnées par l’aviation anglo-américaine : par erreur, ou dans le but de commettre de purs « crimes de guerre » ou « contre l’humanité » ? Le document 9 ci-joint (réunion franco-allemande du 26 août 1943), dans lequel « M. Louis [Jean Louis, directeur des fabrications aux usines Renault] revient sur le désir exprimé par M. Louis Renault de voir le montage exécuté en dehors des usines, afin d’éviter les risques de bombardements », atteste la pleine conscience de l’industriel des motifs de l’exposition particulière de ses établissements aux bombardements alliés, au moment même où il acceptait d’augmenter la cadence de production « journalière » des camions (les 3,5 t du « front de l’Est ») « de 33 camions à 50 camions » – soit de 52%, en « un mois environ ».
Selon ce même document, « le Dr Wiskott demande à M. Louis si M. Schaaf ne pourrait pas rencontrer M. Louis Renault lors de son prochain passage à Paris. Ces messieurs s’entendent pour qu’en principe une entrevue entre eux ait lieu le lundi 30 août 1943, dans l’après-midi, le lieu et l’heure exacts devant être fixés ultérieurement. » Ce rendez-vous entre l’industriel et un dirigeant allemand de l’armement – pratique courante prouvée par d’autres documents de 1942 et 1943 qui seront envoyés plus tard – infirme la thèse, soutenue en chœur par MM. Dingli et Ferrand le 3 août 2011, d’un Louis Renault, déjà « aphasique » avant le 3 mars 1942, et dont le bombardement de ce jour aurait terriblement aggravé l’aphasie.
J’aborderai dans un autre courrier la question de l’indemnisation par l’État, c’est à dire par le contribuable français, de 1942 à 1944, des pertes occasionnées par ces bombardements.
Hélène Dingli-Renault et Laurent Dingli se taisent – les media, votre station comprise, s’abstenant de les interroger – sur les « usines souterraines » qui fonctionnèrent jusqu’en juillet 1944. Or, Louis Renault en personne, fortement demandeur auprès des Allemands, fut au minimum un de leurs initiateurs français, sinon leur initiateur. Ce même document 9 (réunion franco-allemande du 26 août 1943) le laisse entendre, se référant à la réunion franco-allemande précédente, du 24 août 1943, qui prouve l’initiative personnelle de Louis Renault en la matière : le compte rendu en sera envoyé par un prochain courrier, relatif aux « usines souterraines ». M. Dingli, disert contre mon article « Louis Renault et “la fabrication de chars pour la Wehrmacht” » (http://blogs.mediapart.fr/edition/usages-et-mesusages-de-lhistoire/article/160211/louis-renault-et-la-fabrication-de-char) au point de lui avoir consacré une rubrique de son site (« Réponse à l’historienne Annie Lacroix-Riz […] » : http://www.louisrenault.com/index.php/reponse-a-annie-lacroix-riz), n’aborde pas ce point, pourtant fort éclairant.
Sur ces « usines souterraines » ayant permis de servir la guerre allemande jusqu’en juillet-août 1944, époque où l’industrie allemande était éprouvée par les bombardements alliés, l’interrogatoire du chef SS Helmuth Knochen par le commissaire principal des Renseignements généraux, Marc Bergé, le 4 janvier 1947 (3 W, 358, interrogatoires d’Allemands, AN), recoupe strictement les fonds de 1944, dont de nombreux extraits sont cités dans Industriels et banquiers, p. 196-198.
Les archives démentent aussi formellement les affirmations relatives aux conditions :
1° d’arrestation de Louis Renault. Le sujet sera traité, pièces à l’appui, par le prochain courrier ;
2° d’incarcération de Louis Renault. Je cite Hélène Dingli-Renault sur vos ondes : « […] il a été incarcéré à la prison de Fresnes où il a été maltraité, il a été victime de maltraitance, il est resté sans soins, c’est un homme très malade, il est donc décédé des suites de maltraitance et du manque de soins ».
D’une part, le document 11 ci-joint atteste que Louis Renault passa l’essentiel de son séjour présumé « à la prison de Fresnes » dans une « maison spéciale de santé de Neuilly-sur-Marne » du 5 au 16 octobre inclus ; puis « dans un [autre] centre approprié à son état », où il mourut le 24 octobre suivant : le seul bulletin de santé du médecin de Neuilly-sur-Marne infirme la thèse à nouveau énoncée le 14 décembre 2011, après que, le 3 août, sur Europe 1, Franck Ferrand et Laurent Dingli eurent en outre imputé ces « mauvais traitements » à des ennemis de l’industriel, communistes ou assimilés ivres de vengeance. Les médecins, qui examinèrent et soignèrent Louis Renault, au minimum du 5 au 24 octobre 1944, sont ainsi accusés par une héritière et son mari – accusation relayée systématiquement sur les ondes d’Europe 1 – d’avoir cautionné son éventuelle « maltraitance » et de l’avoir laissé mourir par « manque de soins ». La seule source fournie érige le propos en diffamation.
D’autre part, le 12e document ci-joint montre que Me Isorni, avocat de la veuve de Renault – un des avocats de Pétain dont la pugnacité avait été démontrée au procès de juillet 1945 -, ne décela sur le cadavre, comme les autres témoins, « aucune trace de violences » à « l’ouverture du cercueil » (en vue de nouvelle autopsie) en février 1945, Le fonds BA 2135 des APP, source de ce document 12, établit que l’enquête de février 1956, rouverte à la suite de la plainte de Mme Veuve Renault, renouvela, après nouvelle autopsie, le constat de février 1945. Je puis mettre les pièces correspondantes à votre disposition.
Sur l’avant-guerre et le prétendu rejet du fascisme par Louis Renault, question dont je traiterai également dans un prochain envoi, Hélène Dingli-Renault a réitéré les contrevérités couramment exposées, notamment le 3 août 2011, par Laurent Dingli en déclarant à M. Poincaré : « la production avant guerre pour la mobilisation industrielle a été très importante au point, que, l’on ne le dit pas, peut-être pour des raisons idéologiques, mais les usines Renault ont été décorées de l’ordre de l’armement pour une production massive pour l’armée française. Donc, on se rend compte que, là produire insuffisamment pour la défense nationale, cela ne repose sur rien et en plus on peut constater que les usines Renault ont été, une nouvelle fois, je le répète, décorées de l’ordre de l’armement. »
Le texte 1 ci-joint – note des Renseignements généraux de la Préfecture de police du 25 novembre 1939 (BA 2136, Renault, APP) rédigée, selon l’habitude, à partir de données transmises par le commissariat de police de Boulogne-Billancourt -, décrit l’attitude de Louis Renault envers la défense nationale, près de trois mois après la déclaration de guerre. Ce sabotage public, en pleine guerre théorique contre l’Allemagne, infirme la thèse d’« une production très importante » avant l’Occupation. Constant, de la part de Renault, avant et pendant la « Drôle de guerre », ce sabotage de l’armement, qu’Emmanuel Chadeau, autre biographe de Renault, imputait à la conversion pacifiste de l’industriel, devenu « briandiste » après son allant guerrier de Grande Guerre (Louis Renault, biographie, Paris, Plon, 1998, passim), était fin 1939 si notoire qu’il contraignit le reste du conseil d’administration de la Société anonyme des usines Renault (SAUR) à inventer la double thèse, décrite dans ce document 1 :
1° d’un allant patriotique du lieutenant de Louis Renault, son neveu François Lehideux, pourtant en parfait accord avec son oncle, comme l’atteste l’énorme documentation française environnante de toutes origines ; à commencer par son mandat formel pour négocier avec les Allemands le 4 août 1940, énoncé au présent document 2,
et,
2° de la folie de Louis Renault, seule susceptible, en pleine guerre officielle, de le soustraire à l’accusation de « trahison » ou « intelligence avec l’ennemi » ou « complot » ou « crime contre la sûreté » ou « la sécurité de l’État » – avec ou sans précision « sûreté intérieure » ou « extérieure ». C’est ce dernier « crime contre la sûreté extérieure de l’État », défini par les articles 75 et suivants du Code pénal, puni de la peine de mort, qui figure dans le mandat d’arrêt de Louis Renault du 16 septembre 1944. On trouvera copie de celui-ci dans le prochain envoi.
D’autres documents, à venir, confirmeront le veto de Louis Renault contre la production pour la défense nationale, avant-guerre et pendant la « Drôle de guerre ».
Sur l’avant-guerre et la guerre, une question n’est jamais posée aux héritiers de Louis Renault – Europe 1 n’ayant pas failli à cette récente tradition fixée dès l’ouverture de leur campagne médiatique par l’article de Thomas Wieder et Pascale Robert-Diard dans Le Monde Magazine du 8 janvier 2011, intitulé « Renault. La justice révise les années noires » : celle de la violence répressive légendaire de l’industriel, relayée dans les usines Renault par ses délégués directs. Sa collaboration avec la police française, assumée en particulier par Lehideux, sera documentée par des sources d’avant-guerre et de la Drôle de guerre. Sera démontrée par la même voie archivistique la collaboration, sous l’Occupation, des usines Renault avec le tandem police française-police allemande. Cette activité participe non seulement de la collaboration économique (volonté d’accroître à tout prix le rendement, complaisance pour la « relève », etc.), mais de la collaboration politique stricto sensu. Ces dossiers montrent que les héritiers de Louis Renault ont été, avant-guerre, pendant la guerre et sous l’Occupation allemande, précédés dans la « souffrance » par les salariés de la SAUR : la question des terribles souffrances morales qui les accablent depuis leur naissance est régulièrement posée depuis janvier 2011 dans les media à Hélène Dingli-Renault et aux autres héritiers en mal de « réhabilitation » de leur grand-père ; celle des souffrances matérielles et morales infligées aux salariés ne l’a jusqu’ici pas été.
Je vous remercie de noter que M. Patrick Fridenson, systématiquement consulté ces temps-ci par les media et à nouveau cité le 14 décembre 2014 par Nicolas Poincaré, a consacré à Louis Renault et à la SAUR d’importants travaux s’arrêtant à septembre 1939, c’est à dire à la déclaration de guerre officielle, en particulier son Histoire des Usines Renault 1. Naissance de la grande entreprise, 1898-1939, Paris, Seuil, 1972. Spécialiste reconnu du Renault d’avant-guerre, M. Fridenson ne l’est pas du Renault de la Deuxième Guerre mondiale et de l’Occupation, comme l’atteste la liste de ses travaux (http://crh.ehess.fr/index.php?/membres/membres-statutaires/fridenson-patrick/1850-bibliographie-1968-2002file=1 ; http://crh.ehess.fr/index.php?/membres/341 Bibliographie 2003-2011).
La thèse, qu’il répète dans divers media depuis son interview du 23 novembre 2011 sur France Info, qu’« on ne sait pas » ce que Louis Renault a fait sous l’Occupation, notamment parce que « les archives allemandes ne sont pas ouvertes », ne reflète que sa propre ignorance ou sa négligence d’un dossier solidement étayé, au contraire, par les sources françaises et par des fonds allemands présents en France même.
Ainsi y dispose-t-on de la série AJ 40 des Archives nationale, dite « archives du Majestic », qui a constitué l’une des bases d’Industriels et banquiers français sous l’Occupation. M. Fridenson, à défaut de d’avoir lu ce livre, en connaît l’existence, de même que celle de tous mes travaux sur l’économie de l’Occupation parus depuis 1986 (« Les grandes banques françaises de la collaboration à l’épuration, 1940-1950 », revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale, 1986 : « I. La collaboration bancaire », n° 141, p. 3-44 ; « II. La non-épuration bancaire 1944-1950 », n° 142, p. 81-101) : son intervention depuis 1994, soit contre leur publication, soit pour les (faire) critiquer à l’occasion de leur parution, l’atteste.
Certains des textes qui vous sont ici présentés sont extraits des fonds de la Haute Cour de Justice (instruction des procès des ministres et secrétaires généraux de Vichy) relatifs à Lehideux et au COA, dont le neveu de Louis Renault fut le « directeur responsable » du 30 septembre-1er octobre 1940 à son arrestation, le 25 août 1944, 3 W 217-234, série que j’ai intégralement dépouillée. Parmi eux figurent les documents 2, 5, 6, 8, comptes rendus de services allemands, traduits en français, explicites sur la réparation puis sur la fabrication des chars Renault au service de la Wehrmacht (voir également mon article déjà cité « Louis Renault et “la fabrication de chars pour la Wehrmacht” »).
Vous recevrez d’autres documents, classés par thème de justification des héritiers Renault. Je vous remercie, cependant, Madame, Messieurs, de noter d’ores et déjà que je conteste l’exclusivité que votre station accorde aux falsifications historiques répandues par ceux-ci, démontrées par les sources d’archives originales qui forment l’étai de mes propres travaux. M. Ferrand a, le 3 août 2011, laissé M. Dingli me mettre nommément en cause sur Europe 1, avant de le féliciter pour son rôle dans la croisade contre les historiens acharnés à « salir la mémoire de Louis Renault ». Les erreurs et contrevérités multipliées au cours de cette émission, l’agression de M. Dingli et les félicitations de M. Ferrand ont motivé mon courrier, fort courtois (copie ci-jointe [2]), adressé à ce dernier le 4 août, auquel je n’ai, à cette date, pas reçu réponse.
Je vous demande à nouveau, Madame, Messieurs, d’être invitée à informer vos auditeurs des faits historiques qui leur ont été ainsi celés, et ce, dans un premier temps, dans les mêmes conditions que vos interlocuteurs uniques les 3 août et 14 décembre 2011. Pour le reste, je suis naturellement ouverte au débat ou à la discussion, à l’encontre de ce qu’a affirmé M. Dingli le 3 août 2011. Dans la phase finale de l’interview du 14 décembre, M. Poincaré a évoqué l’énorme indemnisation qui résulterait d’un succès juridique des héritiers Renault, pesant sur le contribuable et jugée légitime par l’héritière Renault. Ce sujet intéresse les Français plus que mes opinions politiques, stigmatisées par M. Dingli sur vos ondes, et ailleurs : pareille méthode relève de la délation, pas du débat historique, qu’elle aide d’ailleurs à proscrire. Je conteste pour ma part les déclarations de M. Dingli démenties par les sources originales, non ses options politiques, qui m’indiffèrent.
Je m’étonne que les media qui, légitimement, ne signalent pas les orientations politiques de mes collègues, échelonnées de l’extrême droite à la gauche non-communiste, dénoncent les miennes. Je m’étonne plus encore qu’ils n’aient pas, votre station comprise, mentionné le grave conflit d’intérêts qui entache les interventions réitérées de Laurent Dingli : cet historien, spécialiste d’histoire moderne passé à l’histoire contemporaine en raison de ses liens avec une héritière qui assigne l’État en indemnisation, verrait son sort financier considérablement amélioré par le succès de l’entreprise. Je suis moi-même, dans cette affaire, indépendante, désintéressée et exempte de tout conflit d’intérêts.
Bien cordialement,
Annie LACROIX-RIZ, le 23 décembre 2011.
Professeur émérite d’histoire contemporaine
Université Paris 7-Denis Diderot
http://www.historiographie.info/