Jules Molina, qui fut longtemps un militant actif du Parti communiste algérien, est mort, et il nous manque déjà. Militant de la libération nationale, plusieurs fois emprisonné et torturé, persécuté par les colonialistes et les réactionnaires de « son Algérie », il a été jusqu’au dernier jour un exemple de fidélité à son idéal communiste. Le Collectif Polex est fier de l’avoir compté parmi ses adhérents et publie, avec l’accord de l’auteur, l’hommage que lui a rendu son ami Henri Alleg.
A la mémoire de Jules Molina Cimetière des Ulis, 10 mars 2009
Il nous est, il nous sera toujours difficile de penser que Jules Molina, notre Julot, car nous tous, ses parents, ses camarades et ses amis, nous l’appelions ainsi, comme pour lui dire simplement notre amical respect et notre affection, il nous sera toujours difficile de penser et d’accepter que Julot n’est plus, ne sera plus jamais parmi nous.
Il était si présent, si indispensable à notre vie, que nous avons, que nous aurons toujours le sentiment qu’un terrible vide s’est creusé pour nous tous. Pour Sylvie, sa femme, sa compagne, qui durant tant d’années a partagé ses combats et ses épreuves. Pour ses enfants, Danielle et Paul, pour tous les siens, si fiers de lui.
Bien au-delà du cercle familial et de tous ses proches, son souvenir restera également vivant chez tous ceux qui ont eu la chance, en Algérie et en France, de pouvoir le connaître de près, de travailler et de militer avec lui car Jules Molina était avant tout un homme d’action et de conviction, tourné vers l’espérance d’un monde débarrassé de toutes les tares du présent, de l’exploitation, de l’oppression, du racisme, des guerres et de tous les maux qu’engendre la société capitaliste.
C’est justement parce que son souci était en premier lieu dans la vie des autres, qu’aussitôt après la fin de la deuxième guerre mondiale -qu’il fit du débarquement en Sicile jusqu’à Monte-Cassino et des batailles de France à celles, ultimes, d’Allemagne- il rejoignit dès son retour en Oranie, les rangs des communistes algériens et le combat qu’ils menaient pour la libération de l’Algérie du joug colonial.
Rien n’était plus important pour lui que de servir cette cause et c’est pourquoi, un peu plus tard, il n’hésita pas un instant, à accepter la proposition qui lui était faite de quitter son poste très bien rémunéré d’ingénieur pour devenir permanent responsable de la Région d’Alger du Parti Communiste Algérien, puis directeur de l’imprimerie d’Alger républicain. Un travail épuisant et un salaire misérable que sa femme Sylvie accepta elle aussi, avec le même courage que lui même. C’est à cette époque, qu’entre Jules et moi, naquirent une affection, une amitié, une entente de pensée qui, depuis soixante ans n’ont cessé de s’approfondir jusqu’à ce jour tragique où il dut nous quitter.
Jusqu’à son dernier souffle, il resta fidèle à son engagement, apprécié par tous pour ses capacités, son courage, son esprit fraternel, le respect et la solidarité qu’il témoignait, quelle que soit leur origine, à tous ceux avec lesquels il était amené à travailler dans un pays où le racisme et le mépris de la majorité des Européens à l’égard des Algériens, arabes et kabyles, étaient quasiment la règle, une des règles les plus odieuses du régime colonial. Sa modestie, sa capacité de travail, sa constante disponibilité à aider quiconque demandait son appui, aussi bien pour régler une question pratique que pour donner un avis politique, avaient fait de lui un ami estimé par tous ceux qui avaient eu la chance de le connaître. Ceux-ci étaient aussi bien parmi ses camarades de parti qui appréciaient sa clairvoyance et sa solidité politique que parmi les responsables nationalistes qui trouvaient toujours en lui un appui précieux pour sortir leurs journaux et tracts édités dans l’imprimerie qu’il dirigeait et pour faire échapper ceux-ci aux constantes saisies policières.
Il paya très chèrement le prix de cette résistance active aux autorités coloniales. Arrêté quelques mois après l’interdiction d’Alger républicain, en 1955, sommé d’indiquer dans quelles conditions des tracts clandestins du PCA avaient été imprimés, il se refusa à en dire un seul mot et, malgré les tortures, persista dans son silence. Cela lui valut d’être condamné à un an de prison qu’il accomplit à la prison d’Alger. A sa sortie, il échappa à l’internement dans un camp de concentration et durant toutes les années qui séparaient encore le pays de la fin de la guerre, il continua de militer pour l’indépendance dans les rangs du PCA et du FLN.
Jules, apporta ensuite son concours à l’Algérie nouvelle en remplissant des fonctions de direction dans diverses usines où ses talents et son travail lui valurent les éloges des dirigeants algériens qui, désormais, étaient à la tête des entreprises où il travaillait.
Mais, en juin1965, un coup d’Etat aboutit une nouvelle fois à la mise hors la loi effective des communistes et à l’arrestation de dirigeants qui s’étaient dressés contre le putsch. Jules ne fut absent d’aucun des nouveaux combats, d’abord clandestins et enfin légaux menés par le PCA, renommé Parti de l’Avant-garde Socialiste (PAGS) puis Parti Algérien de la Démocratie et du Socialisme (PADS).
Contrairement à leur désir le plus profond de demeurer en Algérie, les aléas de la situation mirent enfin Jules et Sylvie, le cœur déchiré, dans l’obligation de quitter un pays et un peuple qui étaient les leurs et dont, depuis toujours ils n’avaient songé qu’à partager le destin. Ils arrivèrent en France en 1989 et s’installèrent à Palaiseau où habitait déjà leur fille Danielle.
D’autres que Jules, déjà à l’âge de la retraite, auraient seulement songé à vivre tranquillement les dernières années d’une vie déjà si bien remplie mais c’était là une décision que Julot rejetait d’emblée.
En dépit d’amères épreuves, en dépit du fait qu’il n’était plus dans le pays qui l’avait vu naître, il considérait que son devoir était de poursuivre en France le combat contre le colonialisme et pour monde nouveau à naître, un monde socialiste, ce combat qu’il avait commencé si longtemps auparavant en Algérie.
C’est pourquoi il rejoignit les rangs de l’ACCA – Agir contre le Colonialisme Aujourd’hui- que dirige Alban Liechti et y travailla avec passion. Pour des raisons identiques et malgré les divergences qui pouvaient l’opposer à la ligne politique de la direction du Parti Communiste Français et qu’il ne cacha jamais, il n’hésita pas non plus à militer activement au PCF.
Ainsi vécut Jules Molina, notre camarade, notre ami, celui dont la femme, les enfants, les petits enfants et tous ceux qui viendront après lui, pourront dire avec fierté qu’il leur a laissé un inestimable héritage : celui d’un homme inoubliable et pour toujours exemplaire.
Henri Alleg