Mesdames, messieurs, très chers amis.
Il est arrivé que l’on me reproche, parfois gentiment, parfois moins gentiment, que dans mes discours je parle trop de politique.
Cela m’a surpris, car comme vous allez pouvoir le constater, les discours que je fais en ce lieu, correspondent parfaitement à la pensée d’un grand nombre de résistants.
J’en veux pour preuve l’appel lancé il y a déjà, quelques années, par de grandes personnalités de la résistance, parmi lesquelles : Lucie et Raymond Aubrac, Daniel Cordier, Maurice Kriegel-Valrimont, Georges Seguy, Germaine Tillion, ect…
Leur appel disait ceci:
« Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, les vétérans des mouvements de Résistance, appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la Résistance, ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle ….
* Sécurité Sociale, Retraite Généralisées et contrôle des « féodalités économiques ».
* Droit à la culture et à l’éducation pour tous.
* Une presse délivrée de l’argent et de la corruption.
Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, … Mais cette menace n’a pas disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte.
Et cet appel continuait par les phrases suivantes !
Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la libération, période où l’Europe était ruinée ?
Depuis cet appel, la colère des anciens résistants n’a pu qu’augmenter devant la disparition de presque tout ce que nous avait apporté la Résistance et le Programme du CNR.
Je tiens à rappeler et à mettre en évidence, que le programme du Conseil National de la Résistance, fut adopté à l’unanimité par 16 organisations. C’est-à-dire par :
* Huit mouvements de résistance intérieure.
* Deux grandes confédérations syndicales.
* Et six représentants de Partis Politiques.
Le CNR représentait alors le large prisme politique de la résistance: gaullistes, communistes, socialistes, droite chrétienne etc. … et tous les représentants des différents courants étaient engagés politiquement, ce qui signifie que la politique faisait partie intégrante du CNR.
D’ailleurs, à cette époque là, le seul fait d’entrer en Résistance n’était-il pas déjà un choix politique ?
Malgré ce que je viens de dire, les reproches que l’on m’a adressé, m’ont tout de même amené à me poser des questions et à me demander si effectivement dans mes discours je ne parlais pas trop de politique.
D’abord on m’a dit, que parler de politique le 8 mai devant un monument aux morts, ça ne se faisait pas.
Excusez-moi, mais où donc est le lieu où un résistant pourrait le mieux évoquer les raisons qui le motivèrent lui et ses frères de combat, si ce n’est précisément le 8 mai et devant le monument aux morts qui a été spécialement érigé pour leur rendre hommage ?
Ce qui serait intolérable, c’est que les commémorations du 8 mai 1945, ne se résument qu’à un simple dépôt de gerbes et à quelques phrases banales, creuses et sans consistance.
Pourtant, quand on parle de Résistance de tous côtés et à longueur d’année, on nous rabâche: devoir de mémoire ! Devoir de mémoire ! Mais ces quelques mots répétés à satiété, sont précisément utilisés pour restreindre ce devoir de mémoire.
Mais dès, que l’on met en évidence les raisons fondamentales pour lesquelles des hommes et des femmes ont fait le sacrifice de leurs vies et que nous nous opposons à la destruction des acquis qu’ils nous ont légués, nous sommes immédiatement accusés de faire de la politique.
Si lorsque je défends les acquis du programme du CNR contre les multiples attaques dont ils sont l’objet quotidiennement par nos gouvernants, c’est parler de politique ?
Alors oui ! Je parle de politique.
Si lorsque je démontre que ce programme, qui prévoyait entre-autres la nationalisation de tous les grands moyens de production et d’échange, est antinomique du traité de Lisbonne, qui lui préconise « La concurrence libre et non faussée » c’est parler de politique.
Alors oui ! Je parle de politique.
Si rester fidèle à l’idéal de mes compagnons morts sous la torture, convaincus que leurs sacrifices allaient permettre une vie meilleure à ceux qui survivraient, c’est parler de politique ?
Alors oui ! Je parle de politique dans mes discours.
L’année dernière, au Plateau des Glières en Haute Savoie, au cours d’une manifestation, qui porte comme nom : « Résistants d’hier et d’aujourd’hui ».
J’ai au cours de cette manifestation, destinée à honorer et à défendre le programme du CNR, prononcé une allocution, devant plus de 3000 personnes.
Ce jour là, dans mon discours, j’ai utilisé exactement les mêmes arguments que ceux je développe régulièrement à Bagneux et, personne ne m’a reproché quoi que ce soit, bien au contraire, j’ai été très chaleureusement applaudi lorsque je m’en suis pris à nos gouvernants qui pratique la destruction des acquis du CNR à la vitesse grand V.
Les organisateurs de cette manifestation, espère cette année la présence de plus de 6000 personnes, ils viennent de me demander que samedi et dimanche prochains, je sois à nouveau présent à leurs côtés.
Mes chers amis, à 86 ans, bien que je sache, qu’il ne me reste plus beaucoup de temps pour continuer à défendre les acquis du programme du CNR.
Mais : « Avant que j’ai bouclé mes valises et que l’on m’ait poussé dans le dernier train », comme dit une chanson de Jean Ferrat, je m’efforce encore de pérenniser la mémoire et les idéaux de mes compagnons disparus au cours de la longue nuit de l’occupation.
Pour conclure, je vous dirai que si je devais cesser de me battre pour défendre leur idéal, j’aurais l’impression de trahir tous ceux et toutes celles qui ont fait le sacrifice de leurs vies, pour que nous puissions vivre dans un monde meilleur.
Tous ceux et toutes celles qui n’auront pas eu l’immense joie de connaître le jour de la Victoire et de la Libération.
Tous ceux et toutes celles qui tombés à 20 ans n’aurons jamais eu le plaisir de devenir grand père ou grand mère.
Non ! Mesdames et Messieurs, je ne suis pas croyant, mais si dans un hypothétique au-delà je devais rencontrer un de mes camarades mort sous la torture, c’est avec fierté que je voudrais pouvoir lui dire, en le regardant droit dans les yeux :
< Oui ! Jusqu’à mon dernier souffle je me suis battu pour préserver les acquis, qu’avec le programme du CNR, toi et tes camarades vous nous avez légué. >