Initiative-communiste.fr se fait le relaie d’un article fort intéressant publié par l’économiste Jacques Sapir sur le blog: http://russeurope.hypotheses.org/2850
Où l’on constate que l’argument neolibéral de l’efficacité supérieure des systèmes privatisés ne résistent pas à une analyse un peu sérieuse.
1 octobre 2014Par Jacques Sapir
Les dépenses de santé ont été l’occasion d’une intéressante discussion ce lundi matin dans l’émission de Nicolas Doze Les Experts, sur BFM Business, ou je me trouvais avec Olivier Berruyer. On a beaucoup parlé d’un « excès » de ces dépenses. Olivier Berruyer a, assez justement, insisté sur le vieillissement de la population qui entraine une hausse mécanique de ces dépenses. C’est exact. Mais, la manière dont l’argent est dépensé influe aussi tant sur la qualité du service (la santé) que sur le niveau des dépenses. De ce point de vue, une comparaison entre les Etats-Unis et Cuba est intéressante. Car le système de santé cubain, quoique ne dépensant par habitant qu’une petite fraction de ce que dépensent les Etats-Unis, obtient des résultats qui sont comparables. Alors, bien entendu, il faut insister sur les structures différentes des populations. La population de Cuba est plus jeune que celle des Etats-Unis. Mais, cependant, l’ampleur des écarts, dans un sens ou dans l’autre, ne peut qu’attirer notre attention.
Le montant des dépenses publiques :
Si l’on compare tant la part des dépenses dans le PIB (en %) que la dépense par habitant (calculée en Dollars US à la Parité de Pouvoir d’Achat pour minimiser les problèmes de comparaison), on obtient les résultats suivants :
Dépenses de santé % du PIB
Dépenses par habitants
(en USD et PPA) pour 2012
Etats-Unis 17,9
8895
France 11,7
4260
Paraguay 10,3
633
Costa Rica 10,1
1311
Brésil 9,3
1109
Uruguay 8,9
1427
Cuba 8,6
405
Honduras 8,6
354
Argentine 8,5
1551
Nicaragua 8,2
335
Panama 7,6
1,26
Chili 7,2
1606
Colombie 6,8
723
Salvador 6,7
475
Guatemala 6,7
346
Guyana 6,6
223
Equateur 6,4
652
Haiti 6,4
84
Barbados 6,3
1307
Mexique 6,1
1,062
Dominique 5,9
740
Jamaica 5,9
461
Surinam 5,9
521
Belize 5,8
458
Bolivie 5,8
305
Dominican Republic 5,4
553
Trinidad and Tobago 5,4
1145
Perou 5,1
555
Venezuela, RB 4,6
628
MONDE 10,2
1121
Source : OMS et Banque Mondiale
On a rassemblé, outre deux pays développés, les Etats-Unis et la France, les pays d’Amérique Latine et des Caraïbes sur lesquels on a des données. On constate que la dépense par habitant à Cuba est faible (même en tenant compte de la non-convertibilité de la monnaie cubaine), et que la part des dépenses de santé dans le PIB, tout en étant élevée est dépassée par certains pays de la régions comme le Paraguay, le Costa-Rica, le Brésil ou l’Uruguay.
Si l’on regarde comment cet argent est dépensé, on constate qu’il peut être dépensé directement par le secteur public, par le patient, par des mutuelles privées (alimentées par les patients et des entreprises) et enfin par l’aide internationale.
Dont publiques en % du total
Dont financées directement par le malade
Dont mutuelles
Dont ressources extérieures
Année
2012
2012
2012
2012
Argentine 69,2
20,1
10,0
0,7
Barbade 65,6
34,4
-2,3
2,3
Belize 64,9
24,5
9,4
1,2
Bolivie 71,8
23,2
1,2
3,8
Brésil 46,4
31
22,5
0,1
Chili 48,6
32,1
19,3
0
Colombie 75,8
14,8
8,8
0,6
Costa Rica 74,6
23,1
2,2
0,1
Cuba 94,2
5,8
-0,2
0,2
Dominique 72
23,7
0,3
4
République Dominicaine 50,9
38,7
5,7
4,7
Equateur 44,8
51,4
3,4
0,4
Salvador 62,8
32,4
3,4
1,4
France 76,9
7,4
15,7
0
Guatemala 35,6
53,3
8,5
2,6
Guyana 66,1
31,3
-8,3
10,9
Haiti 22,8
3,5
6,8
66,9
Honduras 50,3
45,6
0,5
3,6
Jamaique 54,9
28,9
14,5
1,7
Mexique 51,8
44,1
3,5
0,6
Nicaragua 54,3
34,5
0,0
11,2
Panama 68,6
24,8
6,3
0,3
Paraguay 42
53,3
2,1
2,6
Pérou 58,9
35,7
4,9
0,5
Surinam 57
10,1
28,4
4,5
Trinidad and Tobago 50,4
42
6,6
1
Etats-Unis 46,4
11,1
42,5
0
Uruguay 66,6
16,5
16,8
0,1
Venezuela, RB 33,7
63,7
2,6
0
World 59,8
17,9
21,1
1,2
Cette aide est majoritaire pour un pays comme Haïti. Elle est non négligeable au Guyana et au Nicaragua. La part de l’Etat est largement dominante à Cuba (94%) suivi par la France et la Colombie dont le gouvernement est classé très à droite. Au Venezuela, cette part de l’Etat est seulement de 33,7%. Au total on voit de grandes disparités entre les pays.
Les résultats.
Il est alors frappant de constater qu’en dépit de l’argent dépensé (deux fois le montant des dépenses par habitant en France) les résultats des Etats-Unis sont relativement médiocres. Par contre, pour le montant de dépenses consentis, ceux de Cuba peuvent être considérés comme excellents.
Que l’on regarde l’espérance de vie, la mortalité infantile, la mortalité néo-natale, ou celle des enfants de moins de 5 ans, Cuba obtient de bons résultats, parfois meilleurs que ceux des Etats-Unis, avec une dépense réelle par habitant qui est entre 10 et 20 fois plus faible. Bien entendu, la structure de la population pèse dans ce résultat. Mais, ceci étant dit et admis, le système américain, basé sur une concurrence effrénée entre les différents acteurs du secteur de santé, et sur un recours massifs aux assurances privées, apparaît comme particulièrement inefficient. Il n’en est que plus tragique de voire la France s’engager dans cette voie, poussée par une pure logique comptable, alors qu’il n’y a AUCUNE garantie de meilleure utilisation des fonds par une logique de concurrence. Ceci peut s’expliquer par l’importance des facteurs de complémentarité dans une logique de santé, tout comme par les facteurs psychologiques qui rendent le “choix rationnel” en réalité inopérant. Le problème n’est donc nullement celui d’une “responsabilisation de l’usager” mais bien plutôt celui de la conception GLOBALE de la logique de santé.