article paru dans le canard enchaîné du 29 juillet 2009
Dispensés depuis leur création de tenir une véritable comptabilité, ils sont menacés par une série de décrets qui les placent sous le contrôle d’un commissaire aux comptes. Les parades sont en préparation…
C’est une véritable révolution qui se prépare ! Dans quelques semaines, la comptabilité des syndicats et des organisations patronales devra ressembler. .. à une véritable comptabilité ! Depuis 1884 et la loi Waldeck-Rousseau, personne n’y a jamais fourré son nez. Mais les décrets visant à assurer la transparence de leur gestion sont prêts à sortir de l’encrier. Selon « La Tribune » du 23 juillet, les textes prévoient de soumettre au contrôle de commissaires aux comptes les structures nationales (confédérations et fédérations), mais aussi locales ou territoriales (unions départementales ou régionales).
Les organisations patronales et syndicales vont donc devoir mettre un peu d’ordre dans leurs factures. Et certaines pratiques, peu orthodoxes, deviendront difficiles à faire passer. Voire impossibles. Il faut dire que les commissaires aux comptes engagent leur responsabilité professionnelle, mais aussi pénale, s’ils certifient des bilans fantaisistes. Ils manquent donc d’humour dès qu’il s’agit de fausses factures, ou d’argent liquide de provenance indéterminée.
Mais qu’on se rassure : tout n’est pas perdu, et quelques techniques de financement occulte pourront perdurer. Petit catalogue des astuces passées… et des adaptations futures.
Little big manne
Côté combines grossières, qu’il faudra bientôt bannir : les tirelires à l’étranger. Certaines confédérations ont en effet ouvert, dans des paradis fiscaux, des comptes offshore destinés à faire face à des dépenses imprévues ou à financer quelques bonnes œuvres. Il leur sera difficile de garder ces trésors cachés.
Les prédécesseurs de Bernard Thibault avaient trouvé un moyen discret pour réintroduire du liquide dans les bilans de la CGT : la collecte à la sortie des usines.
A en croire les anciens dirigeants du syndicat, ces « opérations pièces jaunes » auraient permis de financer la construction d’une bonne partie de l’immense siège de Montreuil. Défense de rire. En fait, ces appels à la générosité des travailleurs ont surtout servi à « habiller » l’argent offert par quelques pays amis, à l’Est ou à l’Ouest. A la même époque, lorsqu’il réglait les coquettes notes des restaurants où venaient se régaler hommes politiques et journalistes, le trésorier de FO fanfaronnait : « Vous savez bien que je paie en dollars. »
Autre terrain sur lequel il faudra jouer plus fin, le sponsoring de quelques syndicats par les organisations patronales, ou par certaines grosses entreprises. On sait, depuis l’affaire de la caisse noire de l’UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie), qu’il est important de « fluidifier les relations sociales ».
Coquin de sponsor
Cette organisation, dont l’ancêtre n’est autre que le puissant Comité des forges, avait trouvé un stratagème pour rendre quelques services : la création d’une entreprise spécialisée » dans la fabrication moteurs électriques qui comptait dans son état-major le gratin du syndicat patronal. Jamais aucun moteur n’est sorti de ses chaînes (fictives, évidemment). Mais cette société avait le mérite de salarier quelques dirigeants syndicaux, dont un ancien responsable de la CGC. Après des décennies de bons et loyaux services, ce joyau de la métallurgie a fermé ses portes. Sans plan social.
La future réglementation et l’œil soupçonneux du commissaire aux comptes n’empêcheront pas complètement de faire tourner la machine. Les méthodes ont gagné en subtilité et passent souvent par les grosses boites. Quand ils veulent donner un coup de main pour s’attirer les bonnes grâces syndicales, les industriels de l’aéronautique ou de l’automobile ainsi que quelques banques et assurances mitonnent des statuts sur mesure au profit de responsables syndicaux (un mi-temps royalement payé, par exemple, puis leur permettent de bénéficier de nombreuses heures de délégation. Moyennant quoi, l’heureux syndicaliste peut vaquer sans souci à ses occupations favorites. Discrétion assurée : ces économies n’apparaissent pas dans les livres le comptes du syndicat.
La CGT, qui n’est guère chouchoutée par les patrons, a trouvé d’autres petites sources de revenus, qu’elle pourra conserver : ses bastions. Les comités d’entreprise d’EDF (la très riche Caisse centrale d’action sociale) et de la SNCF lui ont permis de payer pendant des années nombre de permanents.
Le vice et la vertu
Le patronat risque, lui aussi, de souffrir de la nouvelle réglementation. Car les cotisations des entreprises (comme celles des syndiqués) sont très insuffisantes pour lui permettre de tenir son rang. Quelques vaches à lait sont la propriété exclusive du Medef. Comme « Le Canard » l’a déjà raconté, l’organisation contrôle directement plusieurs organismes de médecine du travail et de logement social. Elle les héberge dans ses « maisons des entreprises » ou sous d’autres enseignes. Four faire remonter un peu d’argent, rien de plus simple : loyers hors de prix, services communs et, parfois, secrétariat assurés par ces gentils associés. Pour le syndicat de la très vertueuse Laurence Parisot, c’est tout bénef. Et, bien sûr, ses grosses fédérations agissent de même.
Mais la meilleure pourvoyeuse de financement occulte est encore la formation professionnelle, avec un budget annuel de 11,4 milliards d’euros destiné à offrir un emploi qualifié à des jeunes ou une seconde chance à des salariés ou à des chômeurs. La contribution des entreprises au financement d’une partie de cette formation est recueillie par une centaine d’organismes paritaires agréés (Opca). Celui de la métallurgie était présidé par Dominique de Calan, mis en examen dans l’affaire des valises de liquide de l’UIMM.
Ces Opca sont autorisés à prélever entre 9,9 et 11,9 % de leur collecte pour leurs frais de gestion. Certains ne s’en privent pas et embauchent gaillardement des salariés, aussitôt affectés dans un organisme patronal ou, moins souvent, dans un syndicat.
Les uns et les autres vont devoir créer d’urgence des organismes de formation à la comptabilité astucieuse…
Alain Guédé
Les organisations patronales et syndicales vont donc devoir mettre un peu d’ordre dans leurs factures. Et certaines pratiques, peu orthodoxes, deviendront difficiles à faire passer. Voire impossibles. Il faut dire que les commissaires aux comptes engagent leur responsabilité professionnelle, mais aussi pénale, s’ils certifient des bilans fantaisistes. Ils manquent donc d’humour dès qu’il s’agit de fausses factures, ou d’argent liquide de provenance indéterminée.
Mais qu’on se rassure : tout n’est pas perdu, et quelques techniques de financement occulte pourront perdurer. Petit catalogue des astuces passées… et des adaptations futures.
Little big manne
Côté combines grossières, qu’il faudra bientôt bannir : les tirelires à l’étranger. Certaines confédérations ont en effet ouvert, dans des paradis fiscaux, des comptes offshore destinés à faire face à des dépenses imprévues ou à financer quelques bonnes œuvres. Il leur sera difficile de garder ces trésors cachés.
Les prédécesseurs de Bernard Thibault avaient trouvé un moyen discret pour réintroduire du liquide dans les bilans de la CGT : la collecte à la sortie des usines.
A en croire les anciens dirigeants du syndicat, ces « opérations pièces jaunes » auraient permis de financer la construction d’une bonne partie de l’immense siège de Montreuil. Défense de rire. En fait, ces appels à la générosité des travailleurs ont surtout servi à « habiller » l’argent offert par quelques pays amis, à l’Est ou à l’Ouest. A la même époque, lorsqu’il réglait les coquettes notes des restaurants où venaient se régaler hommes politiques et journalistes, le trésorier de FO fanfaronnait : « Vous savez bien que je paie en dollars. »
Autre terrain sur lequel il faudra jouer plus fin, le sponsoring de quelques syndicats par les organisations patronales, ou par certaines grosses entreprises. On sait, depuis l’affaire de la caisse noire de l’UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie), qu’il est important de « fluidifier les relations sociales ».
Coquin de sponsor
Cette organisation, dont l’ancêtre n’est autre que le puissant Comité des forges, avait trouvé un stratagème pour rendre quelques services : la création d’une entreprise spécialisée » dans la fabrication moteurs électriques qui comptait dans son état-major le gratin du syndicat patronal. Jamais aucun moteur n’est sorti de ses chaînes (fictives, évidemment). Mais cette société avait le mérite de salarier quelques dirigeants syndicaux, dont un ancien responsable de la CGC. Après des décennies de bons et loyaux services, ce joyau de la métallurgie a fermé ses portes. Sans plan social.
La future réglementation et l’œil soupçonneux du commissaire aux comptes n’empêcheront pas complètement de faire tourner la machine. Les méthodes ont gagné en subtilité et passent souvent par les grosses boites. Quand ils veulent donner un coup de main pour s’attirer les bonnes grâces syndicales, les industriels de l’aéronautique ou de l’automobile ainsi que quelques banques et assurances mitonnent des statuts sur mesure au profit de responsables syndicaux (un mi-temps royalement payé, par exemple, puis leur permettent de bénéficier de nombreuses heures de délégation. Moyennant quoi, l’heureux syndicaliste peut vaquer sans souci à ses occupations favorites. Discrétion assurée : ces économies n’apparaissent pas dans les livres le comptes du syndicat.
La CGT, qui n’est guère chouchoutée par les patrons, a trouvé d’autres petites sources de revenus, qu’elle pourra conserver : ses bastions. Les comités d’entreprise d’EDF (la très riche Caisse centrale d’action sociale) et de la SNCF lui ont permis de payer pendant des années nombre de permanents.
Le vice et la vertu
Le patronat risque, lui aussi, de souffrir de la nouvelle réglementation. Car les cotisations des entreprises (comme celles des syndiqués) sont très insuffisantes pour lui permettre de tenir son rang. Quelques vaches à lait sont la propriété exclusive du Medef. Comme « Le Canard » l’a déjà raconté, l’organisation contrôle directement plusieurs organismes de médecine du travail et de logement social. Elle les héberge dans ses « maisons des entreprises » ou sous d’autres enseignes. Four faire remonter un peu d’argent, rien de plus simple : loyers hors de prix, services communs et, parfois, secrétariat assurés par ces gentils associés. Pour le syndicat de la très vertueuse Laurence Parisot, c’est tout bénef. Et, bien sûr, ses grosses fédérations agissent de même.
Mais la meilleure pourvoyeuse de financement occulte est encore la formation professionnelle, avec un budget annuel de 11,4 milliards d’euros destiné à offrir un emploi qualifié à des jeunes ou une seconde chance à des salariés ou à des chômeurs. La contribution des entreprises au financement d’une partie de cette formation est recueillie par une centaine d’organismes paritaires agréés (Opca). Celui de la métallurgie était présidé par Dominique de Calan, mis en examen dans l’affaire des valises de liquide de l’UIMM.
Ces Opca sont autorisés à prélever entre 9,9 et 11,9 % de leur collecte pour leurs frais de gestion. Certains ne s’en privent pas et embauchent gaillardement des salariés, aussitôt affectés dans un organisme patronal ou, moins souvent, dans un syndicat.
Les uns et les autres vont devoir créer d’urgence des organismes de formation à la comptabilité astucieuse…
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