18 mars 2022 – par Georges Gastaud – En ce soixantième anniversaire de la fin de l’atroce Guerre coloniale d’Algérie, si longtemps travestie en « opérations de police menées dans trois départements d’outremer », il est de bon ton de minimiser le rôle émancipateur spécifique des communistes algériens et français.
Evoquant le PCF d’alors, l’actuelle bonne bourgeoisie « de gauche » – celle-là même qui depuis lors s’est spécialisée dans le soutien aux ingérences néocoloniales à grande échelle du bloc atlantique – lui reproche de n’avoir pas d’emblée fait campagne sous le mot d’ordre de l’indépendance algérienne… C’est un comble alors que tous les partis établis, de l’extrême droite coloniale néo-pétainiste type Tixier-Vignancour à la SFIO, ancêtre du PS, en passant par les « centristes » du MRP, sans oublier le tranchant Mitterrand (si prompt à alimenter la guillotine quand il était ministre de la Justice!), appuyaient à mort l’entêtement colonial des gouvernants français alignés sur les exigences anachroniques des gros colons d’Alger. Sans souci pour le malheur des peuples, cultivant un faux patriotisme qui faisait fi du droit des Algériens à disposer d’eux-mêmes, s’obstinant de manière irréaliste à maintenir la domination française dans un pays qui la rejetait majoritairement, cet ultra-colonialisme que combattait déjà vaillamment le PCF de Thorez avant la Seconde Guerre Mondiale ne pouvait apporter que l’exacerbation des haines, avec son cortège de tortures pratiquées par l’armée coloniale, d’attentats aveugles pratiqués par une partie du FLN, avec à la clé la répression massive exercée contre les combattants indépendantistes « musulmans » et « européens ». Résultat final, les attentats sans fin de l’OAS, la répression anticommuniste du pouvoir gaulliste (et du sinistre préfet de police Papon, instigateur du massacre de Charonne où neuf militants communistes appelant à la paix en Algérie furent massacrés par la police « républicaine » dans une bouche de métro!); et pour finir, quand enfin l’évidence de l’indépendance se fut imposée, l’expulsion massive d’Algérie de la population dite européenne et les exactions contre ces harkis demeurés en Algérie que notre pays n’acceptait pas ou peu de convoyer et d’accueillir dignement… Bref, même si cette date des accords d’Evian reste, à l’échelle de l’histoire universelle, une grande date de l’émancipation anticoloniale, il est clair qu’un énorme cortège de deuils, de souffrances et de carnages aurait pu être évité si l’on avait écouté, dès l’avant-guerre, le PCF, seul parti de masse réellement anticolonialiste qui, parce qu’il était l’émanation de ce prolétariat qui n’exploitait personne, se portera à l’avant-garde de la résistance patriotique sous l’Occupation, et désirait donc très logiquement les mêmes droits à la souveraineté nationale pour le peuple algérien.
Car dès avant la guerre, le PCF parlait de l’Algérie, par la bouche de Thorez ou de Politzer, comme d’une « nation en formation » qui devait marcher vers la pleine souveraineté, pourquoi pas en association librement et égalitairement consentie avec une nouvelle France métropolitaine et progressiste. Une nation en mouvement qui, en liquidant les privilèges coloniaux, la grande propriété coloniale, le pouvoir des trusts métropolitains et le racisme systémique, en fusionnant peu à peu les populations algériennes de toutes origines, arabe, berbère principalement, mais aussi française, espagnole, juive, etc. Dans les années 56/62, selon ce que m’on raconté les « anciens » du PCF qui payèrent le prix fort – attentats de l’OAS perpétrés contre eux et ciblant aussi les permanences du Parti notamment! -, le climat d’hystérie colonialiste était alors tel qu’on risquait parfois sa peau à coller une affiche communiste libellée « paix en Algérie! » dans telle ou telle ville de notre doux pays… Que ceux qui alors n’ont rien fait, et dont les parents ont applaudi l’oppression coloniale, ceux qui ont baissé la tête devant l’OAS, puis qui laissé tomber les petites gens d’Alger rappliquant en France sans rien devant eux, aient du moins la pudeur de ne pas critiquer les communistes qui prirent tous les risques en essayant de trouver la voie la plus juste et la plus féconde pour l’avenir des deux pays.
Alors oui, le PCF a sans doute eu tort, pour donner sa chance à un gouvernement de gauche qui pouvait peut-être émerger des élections législatives de 1956 (le PCF et la SFIO étaient sortis majoritaires des urnes), de voter les « pouvoirs spéciaux » à Guy Mollet. Le secrétaire de la SFIO devenu président du Conseil allait aussitôt s’en servir pour attiser la guerre coloniale et ensuite, pour appeler au pouvoir le général de Gaulle à l’issue d’un premier putsch d’Alger torpillant la république parlementaire. Dans ces conditions, le PCF n’a alors commis qu’une ERREUR de jugement, alors que la SFIO – comme ne le rappelait même pas un récent article venimeux du Monde consacré à la mort d’Alain Krivine – commettait, lui, une FELONIE et un CRIME en se faisant élire sur des promesses de paix et de changement social tout en apportant, une fois en place, un surcroît de guerre, de répression anticommuniste et antinationaliste, avec in fine le retour au pouvoir de la droite dure et la mise à mort de la IVème République. Bref, la paille dans l’oeil du PCF thorézien compte plus pour « le Monde » que la poutre dans celui de la social-démocratie molletiste et mitterrandiste…
Mais surtout, moi qui ne suis en rien historien de cette période, je me permets de signaler à tous nos visiteurs l’épopée du journal communiste « Alger républicain », que, avec l’aide du PCF, les communistes algériens firent longtemps vivre malgré la répression incessante à leur encontre. Tout jeune communiste doit se procurer les grands livres que notre camarade Henri Alleg, d’abord membre de la Coordination communiste du PCF, président d’honneur du Comité Honecker de Solidarité Internationaliste et par la suite, membre du comité de parrainage du jeune PRCF, a écrits pour relater cette aventure journalistique et militante terriblement risquée qui permettait chaque jour au petit peuple des dockers algériens, des petits vendeurs de rue, des paysans et des chômeurs, d’être au courant des exactions du colonialisme, des succès de la lutte, des grèves ouvrières, de la répression de type fasciste qui frappait les militants (Alleg fut lui-même torturé par les paras et son témoignage bouleversant, consigné dans le livre-choc La Question et courageusement préfacé par Sartre, joua un rôle certain en forçant les Français à regarder en face les méthodes dignes du nazisme qu’on employait en leur nom en Algérie. Mais surtout les communistes algériens, fraternellement soutenus par le PCF français constamment réprimé en France même, et par l’Humanité alors fréquemment saisie, eurent le mérite de dessiner une perspective réellement progressiste pour une future Algérie indépendante dans laquelle le nationalisme étroit de la petite bourgeoisie aurait cédé le pas à la fraternité prolétarienne des travailleurs de toutes religions et de toutes origines. Cette voie ne triompha pas, même si l’Algérie de Houari Boumediene, que soutinrent néanmoins le PCF et l’URSS, eut par la suite bien des traits progressistes en nationalisant le pétrole et en se portant à la tête du Mouvement des Non-Alignés. Il est cependant indéniable que les nationalistes parvenus au pouvoir réprimèrent aussi durement les communistes algériens que l’avait fait avant eux le colonialisme français.
Il n’en est pas moins nécessaire de se remémorer les sacrifices surhumains que le PC algérien, que le journal « Alger républicain », que le Parti de l’Avant-Garde Socialiste Algérienne qui succéda au PCA interdit (d’abord par le pouvoir français, puis par la petite bourgeoisie nationaliste victorieuse in fine), puis le PADS, consentirent avec en tête, non seulement la libération du peuple algérien, non seulement la dignité du peuple français (car « un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre », comme l’avait dit Engels), mais la solidarité internationale et la fraternité profonde des travailleurs des deux rives de la Méditerranée et, en Algérie même, celle des travailleurs de toutes origines unis pour construire une Algérie fraternelle, moderne et socialiste.