Brexit ou Frexit? – Par Aymeric Monville
(commentaires sur la sortie de l’UE après le débat télévisé du mardi 4 avril)
(Le débat des onze candidats de mardi dernier ne sera abordé ici qu’en ce qui concerne les "Quatre sorties", qui nous intéressent au premier chef — et peut-être ne parle-t-on pas assez d’une cinquième qui serait celle de la Ve République, à laquelle nous souscrivons pleinement.)
Nous avons donc assisté, atterrés, à un dialogue de sourds entre deux dogmatismes, celui de Mme Arthaud et celui de M. Asselineau. C’est-à-dire entre un unilatéralisme trotskiste (on sort du capitalisme et peu importe comment on s’y prend) et un unilatéralisme néo-gaulliste (on sort de l’UE avec l’article 50 et tout ira bien).
Si la position (plan A/plan B) de M. Mélenchon nous semble encore trop accommodante, la volonté affichée de suspendre les traités européens est encore la seule à pouvoir articuler le mouvement social potentiellement révolutionnaire et la subversion des carcans institutionnels. Ce n’est pas seulement parce que J.-L. Mélenchon a cité judicieusement Karl Marx, mais aussi parce qu’il comprend avec lui que le capitalisme est un rapport social et pas seulement une masse d’argent à se réapproprier et donc doit être pensé aussi dans le cadre juridique et institutionnel de l’exploitation, que notre sympathie, malgré nos réserves déjà formulées et qui restent entières, vont au candidat de "La France insoumise".
M. François Asselineau, on a pu s’en rendre compte, est le candidat du Brexit bis, pas du Frexit. Avec le modèle anglo-saxon et l’exemple de la Suisse en étendard dans sa péroraison, — au passage deux paradis fiscaux.
S’il a concédé, dans le cadre de pensée positiviste et essentialiste qu’il aime emprunter à M. Emmanuel Todd, que "Les Français ne sont pas les Britanniques" et donc auraient droit en vertu de leur propension à l’égalitarisme à plus de services publics qu’Outre-Manche (merci pour eux), on voit parfaitement les limites de cette conception arrêtée de la nation qu’il développe. Ainsi inscrit-il la protection sociale nationale dans l’ADN d’une sorte de France éternelle, reliant la sécurité sociale non à Ambroise Croizat, non à Charles de Gaulle (on lui aurait pardonné cette approximation) mais à… Saint-Louis!
Au lieu de faire confiance à la créativité et à la combattivité du peuple (tout syndicaliste est pour lui un Tsipras en puissance s’il ne vote pas pour lui), il combat le présent au nom du seul passé. Comme Philippe Séguin en 1992, il oppose aux traités européens l’esprit de la constitution de la Ve République, dans un discours d’un formalisme juridique non seulement assommant, qui est loin d’évoquer le panache littéraire du général, mais relevant surtout de la pensée magique. Car enfin, la bourgeoisie française, devenue massivement compradore, s’est moquée des arguments de Séguin et du peu de souveraineté populaire que conservait la Ve. Preuve que le pouvoir n’est pas, en tout cas pas principalement, au bout des arguties juridiques et technocratiques. Depuis, faute de soutien de classe du côté de la grande bourgeoisie, passée massivement à l’euro-germano-atlantisme pour cause de mondialisation des fusions monopolistes, le gaullisme historique s’est étiolé. Charles Pasqua faisait encore 13% aux européennes de 2014, Asselineau n’a fait que 0,41% des voix, même s’il n’est pas exclu que sa référence au frexit, plus formelle que réelle de notre point de vue, puisse lui attirer plus de sympathies le 23 avril.
Il ne s’agit pourtant même pas de comparer, argument par argument, la solution JLM (dénonciation des traités européens) à la solution Asselineau (article 50 et donc deux ans de négociation), mais de les penser dans le cadre actuel des rapports de forces, afin de répondre à la question essentielle qui nous est posée : la destruction imminente de notre pays et le danger de fascisation qui l’accompagne (car comment détruire un pays sans violer sa volonté de vivre ?).
Aujourd’hui, nous sommes en passe d’avoir une Marine Le Pen, présidente, avec le doigt non sur l’article 50 du traité sur l’UE (elle n’en fera rien) mais sur l’article 16 de la Constitution (il serait temps que les gaullistes fassent leur aggiornamento quant à la Ve, qu’ils présentent toujours comme une panacée, alors qu’elle est un carcan non moins contraignant que l’UE) qui serait la clé d’une « France en ordre » mise au pas de conserve par le FN et par la droite des LR.
Les récentes révélations sur les accointances et connivences de Mme Le Pen avec MM. Axel Loustau et Frédéric Chatillon montrent qu’elle n’a rompu avec la vieille garde Algérie française de son père que pour mieux s’acoquiner avec des anciens dirigeants du GUD, entre autres admirateurs du Waffen SS belge Léon Degrelle chez qui ils s’étaient rendus en pèlerinage. La police votant FN à plus de 50% (en 2015, contre 30% en 2012 et où en est-on aujourd’hui?), on est bien en droit de parler d’un risque de fascisation, favorisé par le cadre institutionnel pseudo-démocratique de notre pays.
En l’état actuel des choses, seul Jean-Luc Mélenchon est véritablement en mesure de battre l’extrême droite au second tour, M. François Fillon étant archi-discrédité et M. Emmanuel Macron inconsistant, contradictoire, incertain, malgré sa médiatisation forcenée.
Et en cas de victoire de MLP sur tout autre candidat, c’est à la France populaire qu’il faudra faire confiance pour mener la résistance, non seulement face à la destruction programmée de ce qui reste des libertés, mais pour empêcher le déshonneur du pays de 1789 se suicidant dans la honte de la xénophobie d’Etat.
L’UPR, et M. François Asselineau, qui renvoient constamment dos à dos JLM et MLP, sauront-il prendre position en ce cas-là au lieu de répéter que MLP, au fond, n’est que la soupape de sécurité du système ?
Ou céderont-ils aux sirènes, par exemple, de ceux qui les poussent sans doute à écrire, dans leur programme publié le 24 mars 2017, qu’ils affirment vouloir lancer un référendum sur l’immigration (mesure 198)? Référendum sur l’immigration dont chacun voit aisément qu’il reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore des affrontements communautaires dans notre pays, ce dont aucun patriote conscient ne veut : c’est ensemble que tous les citoyens, que tous les travailleurs doivent défendre du même mouvement la République, les acquis sociaux et l’indépendance nationale.
Nous espérons sincèrement que les gaullistes de l’UPR, c’est-à-dire le noyau dur, sérieux, historique, de leur parti, vont abandonner, entre autres, cette mesure funeste que leur a soufflée leur aile droite, et reprendre la place qui leur convient dans un grand front anti-UE qui ne demande qu’à se reformer et dans lequel ils ont toute leur place, en tant que courant historique bourgeois respectable, mais qui ne saurait prétendre à une quelconque hégémonie aujourd’hui, et surtout pas sur le mouvement des travailleurs, dont les grèves de 1995, la rébellion de 2005 contre la constitution européenne (où 79% des ouvriers ont voté Non alors que la « France d’en haut » votait massivement pour le Oui) et la lutte contre la Loi Travail ont montré qu’ils restent la principale force mobilisable pour défendre notre pays.
Aymeric Monville, 6 avril 2017