Par certains aspects de sa trajectoire, M. Chevènement est un homme politique estimable. On se souvient de ses positions courageuses contre la première guerre contre l’Irak, de son engagement constant pour la République et contre le séparatisme régionaliste, de sa position patriotique contre Maastricht et la constitution européenne, de son affrontement avec le social-maastrichtien Jospin, de sa défense de la langue française contre le tout-anglais, etc. Malheureusement, il n’a jamais su couper le cordon ombilical avec le PS, indispensable pour être élu au second tour des élections et sans lequel l’accès aux médias est quasi-interdit aux intellectuels authentiquement républicains…
Un triste exemple en est donné aujourd’hui : en effet, le « Che » a accepté la mission anti-laïque dans laquelle les sociaux-libéraux typiques, super-atlantistes et euro-fédéralistes, Valls et Cazeneuve ont décidé de le compromettre : le voilà bombardé par Cazeneuve président d’une fondation d’Etat dont le but est de transformer l’Islam en France en « Islam de France ». Et cela, en violation de l’article II de la Loi de 1905 séparant l’Etat des Eglises et disposant que « la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte » : ce qui n’est rien d’autre que la formulation juridique du principe formulé par V. Hugo, « L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle ». Ce jour même (29 août 2016), sur France-Inter, Chevènement a avoué que par le canal crypto-clérical de cette « fondation » d’Etat, l’argent public serait utilisé pour former des imams « républicains », s’adresser aux musulmans en tant que tels, instituer des formations et des diplômes à finalité religieuse dans les universités, etc. Il faut être de la dernière mauvaise foi pour ne pas voir l’énormité de la dérive qui consiste à placer l’Etat, qui plus… au nom de la « laïcité » – au centre de la réorganisation d’une religion. On n’est plus dans la République laïque, on dérive vers le Concordat par lequel Napoléon a jadis réorganisé le culte juif en France tout en reconstituant l’alliance du Trône et de l’Autel. Mais si l’Etat organise la religion, qui ne voit que la religion (laquelle ? ça promet…) organisera tôt ou tard l’Etat ? Qui ne voit qu’on se rapproche ainsi des exigences cléricales de feue la constitution européenne qui prétendait institutionnaliser le « dialogue de l’Etat avec les Eglises ». Qui ne voit qu’à terme, l’Eglise catholique revendiquera, au nom de l’égalité de traitement, que l’Etat fasse pour la religion majoritaire (75% des Français sont baptisés, même si très peu pratiquent) ce qu’il fait pour un culte minoritaire ? Rappelons qu’il y a peu, la droite catholique revendiquait la mise en place de crèches de Noël dans les mairies, ce qui ne peut que heurter les musulmans, les athées, les juifs et tous ceux qui, catholiques de base inclus, veulent surtout qu’on cesse d’empoisonner le climat politique avec ce débat ultra-régressif !
Si Chevènement voulait vraiment servir la République, et non élever une ultime statue à sa personne vieillissante, il dénoncerait plutôt les incroyables entorses à la loi de 1905 – donc à la Constitution, car cette loi fait partie du « bloc de constitutionnalité » – qu’ont commises ces dernières années Sarkozy, Hollande, Fillon et Valls : quand Hollande va se faire adouber par le Pape François à une encablure des présidentielles, quand Sarkozy, intrônisé « chanoine du Latran » par Benoît XVI, déclare que les prêtres sont mieux armés que les instits pour enseigner le civisme, quand le même « président de la République laïque » se rend à Riyad pour célébrer « Dieu transcendant, présent au cœur de tout homme », quand Valls représente ès qualités la France à la canonisation de Jean Paul II, quand le même individu, accompagné de Hollande, porte ostensiblement la kippa dans une synagogue, quand Cazeneuve se rend en Alsace – non pour y abolir le statut concordataire (dans ces départements jadis annexés par l’Allemagne, l’argent public finance les cultes luthérien, catholique et juif, et l’instruction religieuse reste théoriquement obligatoire dans les lycées publics d’Alsace-Moselle !) mais pour déclarer qu’il veut généraliser à l’Hexagone le dispositif clérical hérité de Bismarck !– cela viole grossièrement le pacte républicain, le « deux poids deux mesures » est flagrant aux dépens des musulmans et des athées et la laïcité est ravalée par nos gouvernants au rôle de discours hypocrite et tendanciellement discriminatoire. Que la République ne reconnaisse AUCUN culte, qu’elle n’en subventionne directement ou indirectement AUCUN, que l’argent public soit dévolu à l’école publique qui en manque cruellement, et l’égalité respirera mieux dans ce pays !
En réalité, si l’Etat veut faire reculer l’intégrisme fanatique au lieu de l’alimenter à son insu, il dispose de très importants leviers constitutionnels laïques :
· l’Education nationale, qui doit enseigner le fait IRRELIGIEUX au moins à égalité avec le « fait religieux » (cf l’article de Floréal en bande défilante du site d’IC) puisque l’athéisme est désormais majoritaire en France et qu’il progresse partout dans le monde (l’arbre du salafisme ne doit pas cacher la forêt de la sécularisation rapide des sociétés),
· la loi républicaine bien entendu, qui, sur tout le territoire, doit protéger les jeunes filles victimes de pression intolérables pour porter le voile ou pire,
· la réorientation de la politique étrangère française (assez d’ingérences néocoloniales à haut risque en Syrie, Irak, Afghanistan, Libye…)
· l’utilisation des leviers économiques et sociaux d’Etat (nationalisations, relance planifiée du « produire en France », reconstitution des acquis sociaux du CNR et des services publics, politique fiscale de redistribution égalitaire entre les territoires et les territoires riches, etc.) ;
Mais pour cela, il faudrait affronter l’UE, le MEDEF, le grand capital et les pétromonarchies du Golfe au lieu de prétexter de la lutte antiterroriste pour procéder en douce à l’euro-normalisation de feue la République laïque, dont d’autres contre-réformes ciblent le caractère souverain (Traité de Lisbonne, réintégration plénière de l’OTAN), la nature francophone (Charte européenne des langues, loi Fioraso institutionnalisant l’anglais à l’Université), l’orientation sociale (loi Travail, etc.), le caractère « un et indivisible » (création de 13 grandes régions de plus en plus autonomes), etc.
Il est triste que Chevènement, victime du même syndrome que Jacques Toubon (qui a abandonné la difficile résistance au tout-anglais pour accepter un poste officiel nettement plus valorisant) dévoie, en fin de parcours politique, les principes républicains qu’il a toujours proclamés, et que, pis encore, il les trahisse en les invoquant la main sur le cœur.
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