HIROSHIMA
« Si vous entrez ici, laissez toute espérance »
Dante
« Science sans conscience n’est que ruine de
l’âme »
Rabelais
Le Monstre grandissait dans l’antre du nazisme
Sans y pouvoir atteindre encor son paroxysme.
Il lui manqua le temps d’aboutir au moment
D’exhiber ses pouvoirs d’anéantissement
Et de faire franchir, à la guerre mondiale,
Le seuil d’une Epouvante atrocement finale.
L’Allemagne défaite et son Plan Uranium
Saisi par les Vainqueurs, voilà que l’Imperium
Dont Il rêvait, changeant de mains, devint possible,
Ses savants, enrôlés, servant une autre cible.
D’un nouveau Gott mit Uns les temps étaient venus.
Des Docteurs Folamour, au grand secret tenus,
Finiront par tirer de leurs calculs cyniques
La possibilité des essais atomiques
En temps réel , dont le premier, à ciel ouvert,
Irradia d’un éclair inouï le désert*
Et les observateurs qu’aveuglait sa puissance,
Cobayes inconscients de sa fourbe nuisance
Mais dont bientôt, sans état d’âme, l’on allait
Sur un Japon exsangue approfondir l’effet.
Alors, ce matin-là, traçant un blanc sillage
Dans un paisible azur accueillant son passage,
Un avion apparut comme inopinément
N’attirant des regards qu’un bref étonnement.
L’instant d’après, une soudaine fulgurance
Couvre la ville ; un vent, d’une rare violence,
La dévaste aussitôt. Le jour a disparu.
D’un peuple agonisant on ne distingue plus
Hagards et titubant, tels des spectres en fuite,
Que quelques survivants dont la peau se délite
Qui tentent d’apaiser leur soif en avalant
La pluie qu’ils croient tomber d’un ciel compatissant
Quand ce dernier n’a plus que de la mort à vendre
En gouttes noires qui ne cessent d’en descendre.
Grandiose, hallucinant, superbe, un champignon
Point d’orgue du désastre et de sa finition
S’est levé dan les airs. Mission accomplie !
Sur son croiseur, Truman exulte et glorifie
L’exploit ; le monde entier doit savoir désormais
A quel Maître absolu son destin se soumet.
Si le monde et Moscou restent sourds à l’annonce,
Nagasaki saura redoubler la semonce.
Mais il faut regarder de plus près cet exploit,
In vivo vérifier les effets qu’on lui doit,
Faisant du Mengele, mais pour la bonne cause,
Hiroshima pouvant se prêter à la chose,
Dès lors qu’il vous a mis en somme sous la main
Pour expérimenter, du matériel humain.
De beaux bâtiments blancs en haut d’une colline
Semblent un hôpital, sauf qu’on n’y examine,
Sans leur donner le moindre soin, des irradiés
Qu’aux fins d’en recenser les particularités
Pathologiques, dont ils portent les stigmates,
Séquelles du méfait des bombes scélérates ;
Objets cliniques devenus hibakusha*
Dans leur propre cité qui les refoulera.
Truman et ses alliés peuvent crier Victoire,
Le Japon n’étant plus qu’un grand four crématoire !
Yves Letourneur
23 août 2015
*Dans le Nouveau Mexique
*intouchables