Servi par la conjoncture historique néolibérale, néoconservatrice (Reagan, Thatcher) et contre-révolutionnaire des années 80/90, Helmut Kohl, qui vient de mourir, fut un grand homme d’État : précisons : un grand homme de, et pour l’impérialisme allemand.
Ce dirigeant du parti réactionnaire CDU fut aux avant-postes guerriers de la crise des euromissiles en 1984 quand, pour « faire face » à une Union soviétique qui ne menaçait personne, il accueillit sur le territoire allemand les euromissiles Pershing II. Ceux-ci étaient destinés, très officiellement, à lancer contre l’URSS le « first strike » (première frappe) américain, ce premier « coup désarmant », « massif » et « désarçonnant » que le Pentagone voulait alors, très ouvertement porter à la force de dissuasion soviétique pour pouvoir engager la guerre sans encourir la riposte nucléaire soviétique. Des millions de jeunes Allemands, honneur de l’Europe véritable, défilèrent en vain à Bonn pendant que la social-démocratie française se chargeait de neutraliser la jeunesse française. La Sainte-Alliance antisoviétique de Reagan, Thatcher, Kohl et Mitterrand – cet anticommuniste de choc – fonctionna sous les applaudissements indécents du renégat Yves Montand et des « nouveaux philosophes » français comme Glucksmann ou BHL. Certes, la guerre antisoviétique directe n’eut pas lieu, mais les effets politiques furent énormes, historiques, puisque cette énorme pression politico-militaire sur la direction soviétique fit évidemment le jeu, au sein même du PCUS, du courant social-capitulard incarné par Gorbatchev et Chevarnadzé. Sitôt en place, ces deux liquidateurs flamboyants de l’URSS engagèrent le désarmement unilatéral du camp socialiste en prétendant que leur politique d’apaisement typiquement munichoise calmerait l’impérialisme en mal de revanche mondiale sur les innombrables défaites subies par l’Ouest pendant la décennie précédente (Vietnam, Révolution portugaise des Œillets et émancipation des colonies portugaises, Iran, Nicaragua, guérilla rouge au Salvador, Ethiopie, etc.).
Pire, la clique gorbatchévienne mit en avant la très anti-léniniste « nouvelle pensée politique » qui sommait le PCUS de « préférer les valeurs universelles de l’humanité aux intérêts de classe du prolétariat », en clair de sacrifier le socialisme pour obtenir les impossibles faveurs de l’impérialisme US. Le résultat, chacun le voit aujourd’hui : l’URSS n’existe plus, le vaincu allemand de 1945 est redevenu l’ « hégémon » de l’Europe et le camp impérialiste campe aujourd’hui, non plus aux frontières Ouest de la RDA, mais aux frontières Est de l’Ukraine…
La contre-révolution à l’Est fut la chance historique de Kohl : il en profita pour rendre à l’impérialisme germanique, discrédité en 45, sa place centrale en Europe. Pour cela,
<![ Il avala la RDA en dupant grossièrement les « Ossies » : il échangea un mark est contre un mark ouest, et ce miroir aux alouettes permit surtout, une fois la RDA annexée, de liquider la puissante industrie est-allemande tout en récupérant un immense marché pour l’industrie de l’Ouest s’appropriant des combinats entiers pour un DM symbolique. Violant aussitôt les accords dits de réunification, Kohl impulsa une chasse aux sorcières géante contre les communistes est-allemands dont des centaines de milliers de membres réels ou supposés furent persécutés de mille façons dans l’indifférence des pseudo-défenseurs occidentaux des droits de l’homme type « Amnesty International » ;
<![ L’appétit venant en mangeant, Kohl joua un rôle majeur dans le déclenchement de la sanglante guerre de Yougoslavie : il reconnut en effet de manière unilatérale la Croatie, vite suivi par le Vatican de Saint Jean-Paul II. Ce qui coupa court à toutes les négociations entre les diverses parties de ladite Yougoslavie, enclencha la guerre civile et permit l’intervention ravageuse de l’OTAN. Aujourd’hui, certaines micro-Républiques de l’ex-Yougoslavie ont encore le mark pour monnaie et, pour la 1ère fois depuis 1945, la deutsche Wehr a pu se déployer sur l’ancien théâtre sanglant de ses « exploits » ;
<![ Fortement aidé par le PS français, Mitterrand en tête, Kohl devint le leader effectif de la « construction » européenne en imposant le mark comme base du futur euro, ce qui signifiait obligatoirement une énorme politique continentale de rigueur puisque le mark, monnaie forte, imposait aux pays à monnaie faible, France incluse, de serrer à mort la ceinture et de renchérir leurs exportations pour « mériter » le cadeau empoisonné qu’était l’arrimage au DM. Avec sa politique du franc fort et de fin de l’échelle mobile des salaires (1984), Delors fut, pour la France, l’artisan de cette vassalisation à l’Allemagne qu’on nous présente comme « l’Europe unie ».
Aujourd’hui, la bourgeoisie allemande a bien raison de célébrer son grand homme. Mais il n’y a pas les mêmes raisons de le faire pour les travailleurs allemands qui, ayant perdu le contrepoids que la RDA représentait face aux capitalistes tout-puissants de l’Ouest, ont largement perdu leur protection sociale héritée des années 50/60, pour les Yougoslaves, dont le pays a été ravagé par l’OTAN, pour la Tchécoslovaquie, dont les forces de marée de l’Empire allemand reconstitué ont divisé le pays, pour toute l’Europe de l’Est satellisée par l’Allemagne, et pour le peuple français qui a largement perdu dans cette aventure son industrie, ses services publics, sa protection sociale, en un mot, les acquis de la Résistance à Hitler.
Et l’on n’a encore rien vu puisque Macron propose de soumettre la force de frappe française au co-pilotage de Berlin (sous le nom codé de « défense européenne »).
Quant à nous, ce sont d’autres Allemands que nous célébrons : Karl Marx et Friedrich Engels, Karl Liebknecht, qui refusa les crédits de guerre en 1914 et qui fut assassiné sur l’ordre du social-démocrate Noske en 1919 (avec Rosa Luxemburg), Clara Zetkin, qui aida à fonder le PCF en 1920, sans oublier les fondateurs antifascistes de la RDA qui, dans des conditions très difficiles, ont fait vivre une première expérience de construction du socialisme sur le sol allemand. C’est avec leurs successeurs rouges, et non avec ceux de Kohl et de Mitterrand, qu’il faut faire vivre une nouvelle solidarité franco-allemande pacifique, antifasciste et anticapitaliste.
Georges Gastaud.