Par Fructidor
J’ai la chance – car c’est de plus en plus une chance – de ne plus avoir de télévision depuis près de onze ans et, ainsi, d’échapper à l’embrigadement belliciste permanent de la part des médias bourgeois dominants. Rares sont les moments pendant lesquels je me retrouve confronté à la petite (de plus en plus grande, comme les écrans de cinéma : il paraît que cela renforce les « sensations » – ou plutôt : l’embrigadement) lucarne, essentiellement pendant les vacances d’été et par toutes petites doses. En ce début d’août 2022, une petite dose a confirmé le poids hors-du-commun de la propagande bourgeoise abêtissante, qui décline de plus en plus la doctrine reagano-hollywoodienne du « combat du Bien contre le Mal ».
Acte 1 : La « menace » chinoise envers la « démocratie » taïwanaise
Cela débute le vendredi 5 août sur Arte, dans l’émission « 28 Minutes » que mon père aime bien regarder – heureusement, avec le recul critique nécessaire pour ne pas sombrer dans les méandres de l’abrutissement euro-atlantique. Alors que Nancy Pelosi vient de lancer une véritable provocation belliciste à l’encontre de la Chine populaire en se rendant à Taïwan, l’émission évoque les manœuvres militaires (légitimes) de Pékin autour de l’île présentée comme un modèle de « démocratie ». Et tant pis si les « experts » ignares présents ne rappellent pas que Taïwan, inondée de financements par les Etats-Unis, fait partie de la longue liste des régimes autoritaires réactionnaires issus de la guerre froide, alors sous la coupe du nationaliste Tchang Kaï-chek qui préférait combattre davantage les communistes chinois que les militaristes fascistes japonais entre 1931 (année d’invasion de la Mandchourie) et 1945… Autour de la table s’établit aussitôt une belle unanimité : la Chine est une menace pour la paix et la « démocratie », elle veut établir son hégémonie sur la mer bordant ses côtes et, pire, elle construit des bases militaires pour, forcément, « envahir » l’île. On aura bien compris le fond de l’affaire : si la troisième guerre mondiale doit éclater, ce sera la faut de la Chine… tout comme ce sera la faute de la Russie en Ukraine.
Et les Etats-Unis dans tout cela ? Soyons rassurés : les médias aux ordres baignant dans l’atlantisme n’évoqueront ni la Destinée Manifeste, ni les milliers de bases militaires états-uniennes dans le monde – avec pour objectif l’encerclement de la Russie et de la Chine et la liquidation des « pays ennemis » –, ni bien entendu les interventions en cascade de la part de l’impérialisme états-unien ayant semé le chaos dans le monde depuis des décennies. Ni même la doctrine internationale selon laquelle il n’y a qu’un seul gouvernement légitime, celui de la Chine populaire. Mais les « experts » Anthony Bellanger, « journaliste » chargé du secteur international de France Inter, et Valérie Niquet, membre de la Fondation pour la recherche stratégique, n’en piperont mot, fustigeant l’« agressivité » de la Chine ; inutile de préciser que jamais ne fut organisée une émission à l’été 2016 lorsque les troupes de l’OTAN se déployèrent et paradèrent en Pologne et dans les pays baltes, soit aux portes de la Russie…
Acte 2 : L’Ukraine en pointe du combat pour la « liberté de la presse »
La Russie, il en est justement question le lendemain (avec l’Ukraine), samedi 6 août, à la même heure sur la même chaîne, avec l’invité Christophe Deloire, ancien journaliste au Point et désormais secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) – dont, faut-il le rappeler, l’un des anciens secrétaires généraux, Robert Ménard, fustigeait déjà la Chine lors des Jeux olympiques de Pékin en 2008 et est à présent une figure de proue de l’extrême droite (en l’occurrence, comme maire de Béziers). L’objet de l’émission : le recul, réel, de la liberté de la presse dans le monde. Et quel plus bel « exemple » que cette guerre en Ukraine qui permit à Deloire d’éculer tous les clichés les plus grossiers de la propagande hollywoodienne « du Bien contre le Mal ». Grâce à ce dernier, je découvris que la guerre en Ukraine avait débuté bien avant février 2022, non pas dans le Donbass dont Deloire ignore l’existence (au meme titre d’ailleurs que les 14.000 morts, majoritairement russophones, depuis février 2014) mais parce que la Russie menait déjà une « guerre de propagande ». Ainsi, la Russie serait responsable de la guerre avant l’intervention militaire du 24 février 2022 (mais sans évoquer une seule seconde la guerre menée par Kiev dans le Donbass depuis février 2014) et, bien entendu, ne cesserait de manipuler l’information en temps de paix comme de guerre.
Et l’Ukraine ? Heureusement, RSF est à ses côtés pour promouvoir la « liberté de la presse » dans un pays qui, structurellement, en a bien besoin. C’est que la corruption endémique (supérieure à celle sévissant au sein de la « dictature » bélarusse), le maccarthysme débouchant sur l’interdiction des partis de gauche (et avant tout communiste), l’influence états-unienne dans les intérêts économiques du pays – rappelons qu’Hunter Biden, fils de l’actuel élu de la Maison Blanche, était administrateur de l’entreprise gazière ukrainienne Burisma au moins jusqu’en 2019 – et la fascisation décomplexée et structurelle (Stepan Bandera est un « héros national ») symbolisée par les groupes politiques et/ou militaires Svoboda, Pravyi Sektor ou les bataillons Azov et Aïdar, sont partie intégrante du pays. Ces derniers, ayant intégré l’armée régulière, sont d’ailleurs accusés, à raison, de mener une stratégie exposant délibérément les civils ukrainiens, qui ne sont nullement la cible de l’intervention russe – contrairement aux dires des « experts » reprenant la propagande réelle du pantin Zelensky d’une pseudo guerre d’« extermination » que mènerait Moscou contre les Ukrainiens. L’émission a même l’audace de signaler qu’Amnesty International, peu suspecte de sympathie envers Moscou, dénonce cette stratégie délibérée de la part du gouvernement de Kiev. « Propagande russe » répond le clown Zelensky à l’ONG pourtant financée par les Etats-Unis (bien entendu, toujours absents des analyses) … et relayée par l’émission sans aucune analyse critique, naturellement. Car au « pays de la liberté de la presse », la moindre voix un tant soit peu dissidente, déjà peu audible, est condamnée à l’anathème permanent.
Acte 3 : Jean-Luc Mélenchon, « l’ami des tyrans »
Il faut être sacrément courageux pour suivre C-News un dimanche matin à 8h, ce que je fis exceptionnellement le 7 août 2022. Je ne fus pas déçu d’écouter une demi-heure, qui suffit à voir la ligne éditoriale de la chaîne de Vincent Bolloré, caisse de résonance de la propagande zémmourienne depuis plus de 15 ans. Après une longue série de reportages consacrés à des scènes de délinquance dramatique (permettant de relayer les messages d’Eric Ciotti), voici que C-News pose la question suivante à la suite de la visite provocatrice de Pelosi à Taïwan : « Jean-Luc Mélenchon, « l’ami des tyrans » ? » C’est que le chef de la France insoumise a eu l’audace de rappeler que la position de la France depuis 1964, tout comme celle des chancelleries dans le monde, est de ne reconnaître qu’un seul gouvernement officiel, celui de la Chine populaire. Mais les Etats-Unis, jamais avares en provocations bellicistes, ont franchi la ligne rouge et ouvert un nouveau front, ceux de Hong-Kong, du Tibet ou du Xinjiang (au sujet duquel, « curieusement », les médias aux ordres n’évoquent plus le prétendu « génocide » à l’encontre des Ouïgours… du moins pour le moment) ne faisant plus recette. Qu’importe : pour C-News, la preuve est donnée que Mélenchon est « l’ami des tyrans », quand bien même l’un des invités souligne que le leader de la France insoumise ne fait que rappeler une évidence diplomatique (mais tout en cherchant à tout prix à répondre par l’affirmative à la « question » posée). Et pour convaincre l’auditeur récalcitrant, de rappeler que Mélenchon a rendu hommage à Hugo Chavez et à Fidel Castro après la mort de ces derniers, tout en « soutenant » Vladimir Poutine – chose dont le principal intéressé s’est toujours défendu en rappelant son soutien à des opposants jetés en prison par le maître du Kremlin ; avec la Chine, la boucle est bouclée…
Malheureusement pour Mélenchon qui a fait le choix de la stratégie électoraliste de la NUPES, le voici attaqué par ses « alliés » du PS et d’EELV qui, après avoir approuvé par voie parlementaire le principe de l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, reprennent la grossière propagande euro-atlantique de la « menace chinoise ». Et C-News de le signaler abondamment le lendemain matin en évoquant « les propos qui dérangent », relayant ainsi le message de Julien Bayou qui dénonce le « cynisme » de Mélenchon et se pose en défenseur du « peuple taïwanais » en voyant dans l’attitude états-unienne une « soi-disant ‘provocation’ ». Mais comment pourrait-il en être autrement pour un euro-atlantiste illuminé hostile à « un comportement non-aligné. Mais c’est en 1955 en fait la conférence de Bandung sur le non-alignement, en pleine Guerre froide. On en est très loin je crois ». En effet, on est surtout tout proche de l’apocalypse nucléaire…
En tout cas, l’occasion est trop belle pour C-News et l’ensemble des médias aux ordres de démolir dès que possible l’incohérente NUPES, déjà accusée d’antisémitisme après que Mathilde Panot a rappelé lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv le 17 juillet dernier que le Tartuffe de la République, qui fustigeait Éric Zemmour pour l’occasion, jouait un jeu trouble en rendant hommage à Pétain à l’occasion du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale et, plus généralement, réhabilitait de fait le chef de l’Etat français – oubliant seulement de citer l’antisémite Charles Maurras auquel Macron aime également faire référence. Le plus ironique est que l’extrême droite, consubstantiellement antisémite à l’image de La Libre parole d’Edouard Drumont (le « père de l’antisémitisme en France ») fondé en 1892, en vint à accuser Mélenchon d’« extrémiste », s’engouffrant dans la brèche ouverte par Macron, les LR et une partie du PS et d’EELV taxant Mélenchon de tous les maux de la Terre. Belle unanimité pour des groupes qui ont approuvé la résolution du Parlement européen du 19 septembre 2019 érigeant le communisme en équivalent du nazisme et faisant du pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939 l’unique facteur déclencheur de la Seconde Guerre mondiale en Europe (et tant pis si l’Espagne croupissait déjà sous les bombes fascistes). A trop renoncer à la cohérence politique pour des visées purement électoralistes, on en vient toujours à se faire poignarder dans le dos par ses « alliés » …
Acte 4 : Impérialisme belliciste et colonisation sioniste, les mots tabous
Lundi 8 août, déjà bien entamé avec C-News le matin, fut le clou du spectacle. D’abord sur TV5 Monde (que mon père regarde régulièrement), lorsque l’« expert » Jean-Jacques Kourliandsky dut évoquer la « vague rose » en Amérique latine après l’arrivée au pouvoir de Gustavo Petro en Colombie. Et l’« analyse » d’opposer cette gauche arrivée au pouvoir au Chili, au Pérou, au Honduras, en Colombie ou en Mexique à celle des Maduro, Ortega, Diaz Canel et Morales, cette dernière n’ayant, apparemment, pas exprimé de préoccupations écologiques ou envers les peuples indigènes… Mais le plus frappant fut l’absence d’un mot nom, jamais évoqué par les « experts » : « Etats-Unis ». Sans même espérer entendre le mot « impérialisme », en 10 minutes d’analyse, un véritable exploit fut ainsi réalisé de ne jamais évoquer le rôle des Etats-Unis en Amérique latine, pourtant érigée en véritable « chasse gardée » depuis le XIXe siècle. C’est qu’inconsciemment ou non (la « diplomatie du dollar » fait après tout le bonheur de nombre de centre de recherche « indépendants » ou rattachés à de grande écoles comme Sciences Po Paris…), l’allégeance totale à la propagande états-unienne a gagné les « experts » choyés et adoubés par des journalistes déjà complètement euro-atlantisés.
Et pour en avoir une confirmation définitive, il fallait suivre de nouveau « 28 Minutes » ce lundi 8 août 2022, qui consacra le débat à la nouvelle agression israélienne à Gaza. Pas de chance pour les chiens de garde Jean-Matthieu Pernin et Xavier de la Porte, ils tombèrent sur de gros clients comme Jean-Paul Chagnollaud et Leila Seurat : le premier, dépité et résigné par ce nouvel acte de guerre de l’Etat sioniste colonisateur, ne cessa d’affirmer que l’armée israélienne est une armée d’occupation confrontée à des résistants se battant pour leur liberté – soit la matrice même du conflit depuis 75 ans ; la seconde, approuvant les propos de son voisin, fustigea la propagande israélienne dénonçant le « terrorisme » palestinien et imposant son récit du conflit aux médias aux ordres. Les deux présentateurs eurent beau chercher à couper la parole à plusieurs reprises, ils ne purent empêcher l’énoncé des faits, comme le rétorqua de manière cinglante Leila Seurat à Jean-Matthieu Pernin. Car pour ce dernier comme pour tous les médias aux ordres, le récit euro-atlantique du monde ne saurait être contredit par la réalité des faits, pourtant toujours têtus.
Mener le combat pour l’hégémonie culturelle et médiatique
« Ce qui compte, ce n’est pas ce qui s’est passé. Ce qui compte, c’est comment ça passe sur CNN. » Prononcée par un directeur du service de presse israélien commentant les offensives belliqueuses des Etats-Unis au Moyen-Orient, cette phrase résume bien la pensée américaine sur le rôle et l’influence des médias… et plus que jamais celle adoptée par les médias aux ordres ayant fait de l’euro-atlantisme et de l’occidentalisme leur unique boussole de non-« analyse ». Deux heures de visionnage de télévision en quatre jours ont suffi pour s’en apercevoir et pour mesurer l’ampleur de la propagande avilissante servie à des millions de téléspectateurs chaque jour, dont le « libre arbitre » n’est pas forcément aussi développé que celui de mon père. Il suffit de se promener dans les rues de mon lieu de villégiature estivale pour voir la banderole de soutien au peuple ukrainien, initiative jamais prise pour les Palestiniens, les Yéménites écrasés par les Saoudiens, les Irakiens, les Yougoslaves, les Libyens, etc. La propagande présentée par les illuminés euro-atlantiques comme le « combat pour la défense des libertés » accomplit son œuvre de démolition des consciences, véhiculant les plus grosses inepties : après tout, Macron n’a-t-il pas reçu le prince Ben Salmane sans être qualifié d’« ami des tyrans » ? On ne sera pas surpris par le quasi silence des médias aux ordres de la bonne entente du Tartuffe de la République avec le wahhabite réactionnaire, financeur de l’islamisme en France et au Proche-Orient ; tout comme sur le silence de la bonne entente de Macron avec son « ami » « Bibi », Netanyahou, qui espère retrouver la tête du gouvernement israélien et poursuivre son « œuvre » de destruction du peuple palestinien.
En novembre 1917, deux jours après la prise du pouvoir par les bolcheviques, fut publié le « décret sur la presse » afin de combattre la presse bourgeoise et ses mensonges proférés à longueur de temps, après avoir démontré que « dans notre société, ce qui se cache en fait derrière cet écran libéral [la liberté de la presse], c’est la liberté pour les classes possédantes, qui se sont accaparé la part du lion dans la presse, d’empoisonner impunément les esprits et d’introduire la confusion dans la conscience des masses » ; et après avoir rappelé que la presse constitue « une des armes les plus puissantes de la bourgeoisie, […] pas moins dangereuse que les bombes et les mitrailleuses ». 105 ans après, le constat, implacable, n’a pas changé et nécessite une nationalisation intégrale des médias aux ordres et le renforcement d’une instruction véritablement humaniste et émancipatrice pour ne pas sombrer dans les méandres du crétinisme belliciste dans lequel se sont engouffrés tant de pseudo « journalistes » et « experts » Une propagande à laquelle croient toutefois de moins en moins de travailleurs : après tout, C-News ne s’inquiétait-elle pas début mars que près de la moitié des Français, selon un sondage, était sensible aux arguments factuels du Kremlin ? Et l’abstention sans cesse croissante sur laquelle pleurent (hypocritement) les médias aux ordres ne marque-t-elle pas une sécession inéluctable entre l’oligarchie euro-atlantique et un nombre croissant de travailleurs prêt à en découdre avec cette dernière ? Le calvaire s’achève après quatre jours et le temps de rédiger ce billet. Pendant ce temps, la télé bourgeoise commande, difficilement… mais jusqu’à quand ?