La conjoncture est difficile : entre flambée de la crise systémique du capitalisme alimentant sa fascisation et sa fuite en avant exterminisme dans la guerre et le ravage de notre écosystème d’une part, offre politique alternative dans l’impasse verrouillée par une social-démocratie agenouillée au nom de l’UE sous la domination capitaliste d’autre part. Certains, notamment parmi les jeunes pourraient désespérer. Il y a pourtant tout lieu d’espérer et de lutter. C’est le sens de cette réponse en lettre ouverte à un étudiant, partagée par notre camarade Gilda Landini
Cher camarade,
Tu m’écris que « Pour reprendre cette magnifique phrase de François Furet dans « Le passé d’une illusion » : « L’idée d’une autre société est devenue presque impossible à penser » et que nous sommes donc « condamnés à vivre dans le monde où nous vivons ». Tu penses bien que je ne suis pas du tout d’accord avec ce « présentisme » réducteur, sans espoir qui est en fait le résultat d’une rupture de la dialectique de l’histoire. Tu imagines bien que si mon père Léon Landini avait, avec ses camarades, pensé la même chose au moment de la Deuxième Guerre mondiale, nous ne serions pas là pour en discuter. S’ils n’avaient pas vraiment désiré ardemment un monde de paix, de justice et de liberté, crois-tu que ces jeunes résistants auraient donné leur vie de 20 ans ? Ils avaient compris qu’il ne fallait pas attendre le » Grand soir », et ils étaient prêts au sacrifice suprême pour que le monde change. Ils savaient que le terrain de luttes ne pouvait pas être circonscrit par leurs désirs, mais par la réalité de ce « monde dans lequel nous vivons ». Il serait absurde aujourd’hui aussi de croire qu’un beau matin la situation va devenir tout d’un coup clairement révolutionnaire. Comment la conscience de masse, dominée, écrasée, broyée par l’idéologie dominante pourrait-elle être spontanément favorable au communisme ? On lui a trop rebattu les oreilles avec une intense propagande anticommuniste menée à grande échelle avec tous les canaux à sa disposition. Mais nombreux sont ceux qui désirent – sans savoir certes comment faire – changer ce monde pourrissant.
Et il est bien évident que, comme disait Lénine, « pas un seul pays capitaliste ne s’est constitué sur une base plus ou moins libre, démocratique, sans qu’une lutte à mort n’ait mis aux prises les différentes classes de la société capitaliste ». Cette « condamnation à vivre dans le monde où nous vivons » de Furet voudrait sonner le glas funèbre de toute tentative de révolution. Ça ne fonctionnera pas ainsi. On ne peut tuer ni l’espoir ni la volonté de se battre de tous ceux qui souffrent. Et la défense de leur droits légitimes ne naîtra pas de la bonté de nos oligarques mais par une légitime contre-violence révolutionnaire car ces gens-là n’auront aucune hésitation à faire tirer sur un peuple révolté comme ils l’ont déjà fait contre les Gilets Jaunes. Et ils auront pour eux ces milliers de hauts cadres des services financiers, assurance, com, pub, luxe : Bref tous ceux qui se gavent dans « l’abondance » pendant que les infirmiers, les enseignants, les techniciens, les petits artisans, et paysans, les « auto-entrepreneurs » triment et « galèrent » chaque jour.
Il est bien évident aussi que depuis des années maintenant la société capitaliste a renforcé ses dispositifs policiers, a pratiqué sans vergogne l’ingérence dans les affaires des pays les plus faibles, a surarmé le monde (2113 milliards d’euros de dépenses militaires mondiales en 2021) dans le but se préparer à des « conflits de haute intensité » comme le clame sans crainte le général Burckhard contre la Russie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran et j’en passe… nous menant ainsi tout droit à l’exterminisme (comme le dit notre camarade philosophe Georges Gastaud), et à empiler dans notre pays des lois liberticides, et de Conseil de défense en conseil de défense, à resserrer dans un étau d’acier toute la population. Certes nous sommes en pleine fascisation.
Mais il ne faut pas se résigner et penser que tout n’est que fatalité. La volonté de construire un monde meilleur, une société plus juste, plus fraternelle n’est pas une idée révolue ou ringarde. Ce qui est ringard, c’est l’épouvantable recul de la conscience de classe, dont Furet pour l’un des précurseurs (grâce aux 470 000 dollars offerts par la Fondation ultra réactionnaire américaine Olin pour sa « pensée » de la Révolution.) et pour reprendre une magnifique phrase – pour le coup – de Georges Politzer : l’indépendance intellectuelle ne consiste pas à céder à la réaction, mais au contraire à ne pas lui céder car la régression sociale en se négocie pas : elle se combat.(Henri Krasucki)