« La révolte de la population corse, et notamment de la jeunesse corse, est complètement légitime à notre avis » ; « cela pète en Corse parce qu’il y a eu un déni de démocratie et heureusement que cela pète à des moments parce que c’est comme ça que l’on fait avancer les choses ». Le candidat trotskiste Philippe Poutou ne mâche pas ses mots au sujet de la situation actuelle en Corse. Mais au fait, de quelle « situation » s’agit-il ? D’une révolte spontanée de travailleurs ? D’un grand mouvement social ? Vous n’y êtes pas : l’insurrection gagne petit à petit la Corse après la violente agression – requalifiée depuis de « tentative d’assassinat en lien avec une entreprise terroriste » – sur la personne d’Yvan Colonna le 2 mars 2022, agression commise par un codétenu djihadiste (interpellé en Afghanistan) dans la salle de musculation de la prison d’Arles, où Yvan Colonna purge une peine de perpétuité pour son implication (qu’il nie) dans l’assassinat du préfet Erignac en février 1998.
Il y aurait beaucoup à dire sur la situation catastrophique du système pénitentiaire en France, à commencer par les conditions de travail des personnels et de sécurité des détenus : il est stupéfiant qu’Yvan Colonna, aujourd’hui entre la vie et la mort, se soit retrouvé seul auprès d’un fanatique djihadiste dans la même pièce, alors qu’il disposait du statut de « détenu particulièrement signalé ». Mais dans le cas présent, c’est surtout la réaction du trotskiste Poutou qui interpelle. Le voici en train de chanter les vertus du « ça va péter » en référence aux manifestations virant à l’insurrection antinationale primaire, comme à Bastia le dimanche 13 mars 2022 où les « manifestants », disposant du matériel adéquat pour « faire péter », profitent de la situation pour dénoncer « l’État français assassin » (en l’occurrence, le service public pénitentiaire a été défaillant dans le cas présent) et s’époumoner dans des slogans nationalistes en faveur de l’indépendance de la Corse. Comme si « l’ »État ne pouvait pas être socialiste – mais les trotskistes lisent-ils vraiment Lénine ?
C’est dans ce contexte émeutier que Philippe Poutou s’épand dans son dogmatisme du « ça va péter » pour « faire avancer les choses ». Mais « faire avancer » quoi, au juste ? Le trotskiste, désormais conseiller municipal de Bordeaux, développe son propos au cours de son audition organisée à Montrouge (Hauts-de-Seine) par l’Association des maires de France (AMF), Régions de France et l’Assemblée des départements de France (ADF), sur le sujet de la décentralisation : « nous sommes pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et pour « la reconnaissance d’un statut, d’une langue, d’une culture et le droit pour ces populations de pratiquer leur culture au quotidien et de s’organiser comme elles le souhaitent ». Ça tombe bien : le girondin Macron est prêt à accorder l’« autonomie » (avant l’indépendance ?) à la Corse, tandis que l’ex-insoumis et ancien trotskiste Mélenchon veut « réfléchir au statut de certains territoires » et propose d’appliquer l’article 74 de la Constitution de la Ve République (curieux pour un promoteur de la VIe République !) pour faire de la Corse un équivalent de la Polynésie française. Mais au fait, le NPA ne comprend-il pas en son sein un puissant courant interne favorable à l’alliance régulière avec Mélenchon ?
En bref, le « ça va péter » de Poutou est au service du girondinisme, axe cardinal de la politique macronienne (avec son fameux « pacte girondin ») et de nombre d’antijacobins primaires pullulant dans le spectre politique, de l’extrême droite maurrassienne à la « deuxième gauche » décentralisatrice et aux trotskistes du NPA. Et voilà que se réalise le rêve de l’anarcho-réactionnaire Onfray, si prompt à vomir sur le « jacobino-bolchevisme » et à appeler à la « décolonisation des provinces ». Remarquons ce subtil paradoxe : les trotskistes refusent d’arborer le drapeau tricolore jugé « nationaliste », à l’image de l’ex NPA Anasse Kazib tout heureux que le drapeau tricolore, celui de la colonisation (mais pas de la Révolution, de la Commune, du Front populaire et de la Résistance), soit absent de ses meetings politiques (mais après tout, la faucille et le marteau ne sont-ils pas déjà absents sans que cela leur pose un problème ?) ; mais le NPA est enclin à soutenir des nationalistes corses, et certainement basques, bretons, catalans, alsaciens, savoyards, etc., dont les messages politiques virent à l’ethno-racialisme et rejettent la révolution socialiste.
Le « ça va péter » trotskiste a un avantage : il est adaptable à toutes les situations, même les plus utopiques et les plus apocalyptiques. Utopique ? C’est le fameux projet des « États-Unis socialistes d’Europe », encore vanté par Anasse Kazib à travers son slogan « Ni Frexit, ni UE du Capital ». Les trotskistes ont beau revendiquer (de moins en moins) l’héritage de Lénine, ils sont en totale contradiction avec l’analyse que ce dernier fait de ce fumeux projet le 23 août 1915 : « Les États-Unis d’Europe sont, en régime capitalistes, ou bien impossibles ou bien réactionnaires ». Mais pour les trotskistes version NPA, l’important est que « ça pète » au-delà de toutes les frontières – comme cela, l’UE du Capital finira par tomber. A ce niveau-là, on est plus proche du proudhonisme admiré par l’anarcho-réactionnaire Onfray que du marxisme.
Et si jamais « ça pète », faut-il se ranger du côté des trotskistes ? Rien n’est moins sûr, à l’image de l’analyse de la situation actuelle en Ukraine livrée par Gilbert Achcar, chantre d’un « anti-impérialisme radical » dont le « Mémorandum » a été publié, en des termes élogieux, par le canard du NPA, L’Anticapitaliste. Or, le moins que l’on puisse dire est que l’« analyse » d’Achcar est de facto atlantiste, belliciste… et anticommuniste (mais est-ce une vraie surprise ?), contribuant au « ça va péter » apocalyptique. Que l’on juge plutôt :
- L’offensive russe (qualifiée d’« invasion » obéissant à une logique « impérialiste ») est comparée à l’invasion, véritable, de l’Irak par les États-Unis en 2003.
- Les combattants ukrainiens sont comparés à la « résistance vietnamienne » : il semble qu’Achcar ignore l’existence du bataillon Azov, de Pravyi Sektor et d’autres joyeusetés néo-nazies qui sévissent depuis la pseudo « révolution Euromaïdan » – véritable contre-« révolution » saluée par le NPA comme une « puissante mobilisation populaire » …
- Aucune mention n’est faite de la guerre menée par le gouvernement de Kiev contre les populations russophones de Crimée et du Donbass dès 2014 : mais comment pourrait-il en être autrement puisque l’« agresseur » était déjà « l’impérialisme russe » ?
- La conclusion pour Achcar ? « Nous sommes pour la livraison sans conditions d’armes défensives aux victimes d’une agression – dans ce cas, à l’État ukrainien qui lutte contre l’invasion russe de son territoire » ; logique puisque « tous les anti-impérialistes radicaux étaient favorables à une augmentation des livraisons d’armes par Moscou et Pékin à la résistance vietnamienne ». Quand on vous dit que les gros bras au service du pantin Zelensky sont les descendants du Viêt-Cong…
Ça tombe bien : l’UE (également totalement absente de l’« analyse » du NPA sur la situation en Ukraine) et l’OTAN envoient du matériel militaire au gouvernement de Kiev dans des proportions massives depuis des années, armant ainsi jusqu’aux dents des milices admiratrices du « héros national » Stepan Bandera, collaborateur pronazi lors de la guerre contre l’URSS. Quant à savoir si la sortie de l’OTAN, alliance belliciste qui pousse à la guerre mondiale exterministe, est à l’ordre du jour : comme diraient Fabien Roussel ou l’US Mag – journal du SNES-FSU qui ne parle que de « la folie d’un homme » (les « brillantes analyses » psychologisantes) pour « expliquer » la guerre en Ukraine », on verra cela plus tard, comme pour l’après-Yougoslavie ou l’après-Irak (on attend d’ailleurs toujours…). Mais sus d’abord à l’envahisseur russe ! Et sus aux « sociaux-impérialistes » que seraient la Chine populaire, Cuba socialiste, le Venezuela bolivarien, le Nicaragua sandiniste…
Girondisme, européisme, « anti-impérialisme radical » poussant à un alignement de fait sur le bloc atlantiste : plus qu’à une « révolution socialiste », le « ça va péter » version NPA ressemble à une maladie infantile, et même une gangrène mortifère, pour les travailleurs, pour les forces communistes, patriotiques et républicaines éprises de paix et de rupture avec l’ordre établi… et pour l’avenir même de l’humanité. Un « ça va péter » qui s’appuie sur le credo du « ni-ni » poussé à son paroxysme et qui sert les intérêts de l’oligarchie euro-atlantique : « ni jacobinisme, ni monarchie présidentielle » ; « ni Frexit, ni UE du Capital » ; « ni impérialisme russe, ni impérialisme états-unien ». Une vieille tradition trotskiste qui, à la fin des années 1930, se traduisait par « Ni Staline, ni Hitler » – enfin, surtout ni le premier –, mais qui n’empêcha pas une collaboration tactique avec les nazis comme l’a magistralement révélé Le Vol de Piatakov.
Pour de prétendus « marxistes », ne pas voir que ces fausses dialectiques servent, inévitablement, le rapport de forces institutionnalisé – et ainsi, l’ordre établi écrasant les mouvements réellement patriotiques et populaires, antifascistes et anti-impérialistes –, relève de l’aveuglement, de la bêtise, du dogmatisme… ou des trois à la fois. Avec pour conséquence catastrophique l’euro-dissolution de la France et de la République une et indivisible dans l’ordre euro-atlantique dans lequel se complaisent et grenouillent les trotskistes, principalement ceux de la tendance pabliste car il existe également des militants se réclamant du trotskisme qui ne tombent pas dans les analyses bouffonnes du NPA et qui appellent également à la sortie de l’UE et de l’OTAN. Malheureusement, les trotskistes version NPA accaparent les sphères intellectuelle et universitaire – et d’ailleurs, ça se voit trop ; et surtout, soutiennent la marche à la Réaction et à la guerre exterministe avec leur « ça va péter » anticommuniste.