CHER(E)S LIBRAIRES, IL FAUT SAVOIR CE QUE VOUS VOULEZ !
Chers libraires indépendants et autres amoureux et amoureuses du livre,
Comme nous, vous êtes indigné(e)s par le fait que l’actuel gouvernement n’ait pas inscrit les librairies, espaces par excellence de la diffusion et de la protection de la culture et de l’échange, dans la liste des « commerces essentiels ».
Rien d’étonnant de la part d’un gouvernement dont le credo néolibéral n’est nullement la culture partagée mais « l’économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » gravée dans le Traité de Maastricht ; en clair : les profits des mastodontes transnationaux comme Amazon et autres mégaprédateurs GAFAM.
Ce qui est plus triste, c’est que nombre d’entre vous (pas tous hélas, et je félicite d’autant plus vivement les autres !) pratiquent, en guise de guichet informatique de substitution, le « click and collect« . Et pourquoi pas, je vous prie, le « clique et collecte » puisque les deux mots anglais que d’aucuns nous imposent sont eux-mêmes des emprunts flagrants à notre langue? Il est vrai que nombre d’entre vous déjà a été privé par la pandémie et par les mesures sanitaires prises à cette occasion de l’horrible fête d’Halloween, importée des « States » et grâce à laquelle ces temples du goût et de la pensée que devrait être toute librairie bien conçue, ressemblent saisonnièrement, comme le premier commerce de brimborions venu, à un magasin de farces et attrapes agrémenté d’un étal de cucurbitacées taillées en crânes mortuaires…
Espérons au moins que les mêmes personnes, ouvrant le 26 novembre ou le 4 décembre (en fonction de la décision de Bercy), ne se réclameront pas du scandaleux « Black Friday« , ce jour noir parmi tant de jours gris-sombres, pour la langue de Molière de plus en plus humiliée et marginalisée sur son sol natif…
Espérons surtout que les plus intelligents et les plus critiques d’entre vous auront compris qu’il ne peut y avoir, sans dommages culturels et commerciaux majeurs, de contradiction durable entre le fond (j’allais dire, le « fonds« ) et la forme, le message porté par une langue – le français que vous parlez chaque jour avec vos clients et amis – et sa trahison permanente au profit du tout-anglais imposé par les « collabos de la pub et du fric« , pour reprendre la cinglante expression du philosophe Michel Serres.
Quand le grand patronat délocalise une usine et ordonne aux ouvriers d’en démonter les machines, la classe ouvrière subitement dévaluée et humiliée entreprend généralement de faire grève, d’occuper les locaux et de DÉFENDRE SON OUTIL DE TRAVAIL. On serait donc en droit d’attendre de tous les libraires de France, pas seulement de ceux qui ont dès longtemps, et méritoirement, saisi l’urgence d’une résistance linguistique, que lorsqu’ils sont eux-mêmes frappés par des mesures qui les conduisent à la fermeture et au chômage, ils défendent eux aussi, comme le premier prolétaire venu, leur instrument de travail n°1 : LA LANGUE FRANÇAISE.
Alors, pour une fois, faisons clairement entendre le E muet caractéristique de notre idiome et, au risque d’inverser les mécanismes de la DISPARITION programmée (tel est le titre d’un fameux ouvrage de Georges Pérec où ne figure nulle part la lettre « e »), écrivons pour le moins : cliquE Et collectE*!
Conseil dérisoire, dira-t-on dans certaines arrière-boutiques? Nenni, bataille politique, culturelle et civique indispensable. Quand le Royaume-Uni et la République française décidèrent ensemble de construire l’avion supersonique du futur, les Anglais voulurent l’appeler « CONCORD ». À l’issue d’un long et souterrain bras-de-fer politico-linguistique, l’avion s’appela finalement « CONCORDE ». Il est vrai que le président français de l’époque n’était pas le chef de file des « start-upers », ni le signataire à toutes mains des traités néolibéraux « transatlantiques » qui ruinent à la fois nos industries, nos services publics, notre protection sociale et nos commerces de proximité. Son nom, vous l’avez deviné, était celui d’un homme d’État doublé d’un ÉCRIVAIN mémorialiste qui savait, quand il le fallait, faire sonner l’E muet final d’un mot : à commencer par celui du mot RÉSISTANCE.
Chouette texte ! Je mets en page et en fais un « tract » pour mon libraire et ses clients… Je diffuse largement à tous mes contacts en leur proposant d’en faire autant…