Ils ont bonne mine les fans de la « mondialisation heureuse » qui nous promettaient un monde « dé-segmenté » où, grâce à la dérégulation sociale, à la privatisation générale, à la relégation des nations constituées, à la dé-protection du travail, au tout-globish évinçant les langues nationales, la fluidité absolue règnerait en permettant à l’homme d’être partout chez lui… Triste utopie menteuse que ce sans-frontiérisme néolibéral codifié par l’ « économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » du Traité de Maëstricht. Mais il aura suffi d’un virus hideux voyageant à la vitesse de l’avion pour que la dialectique suicidaire de la mondialisation sauvage apparaisse au grand jour sa logique néo-orwellienne : La mondialisation ? C’est la quarantaine ! Et la « fluidité » universelle des bobos post-nationaux se proclamant « anywhere » (= partout chez eux) et se gaussant des bouseux « somewhere » (nous qui sommes sottement sédentaires), c’est le confinement et le « chacun chez soi » aux relents involontairement lepénistes (on n’est pas loin du haineux « on est chez nous ! » des meetings du RN..).
Tout avait commencé en 1989 par un mur dit « de la honte » s’écroulant sur la tête du prolétariat international poussé par d’inconscients petits bourgeois sacrifiant leur emploi et leur pays antifasciste par désir irrépressible de « bouger ». Ça s’était poursuivi par la restauration mondiale des rapports d’exploitation capitaliste baptisée « triomphe du monde libre ». Ça s’était épanoui dans la promesse d’un « nouveau monde » où l’ubérisation, la numérisation et l’américanisation allaient lisser toutes les aspérités de classe, de nation, de langue, de culture, en un mot, toutes les différences faisant obstacle au « grand marché mondial » voulu par les transnationales… Or, nous voilà claquemurés chez nous, toutes frontières closes ? Pourquoi cet étrange renversement ?
Parce qu’il y a dé-segmentation et dé-segmentation. Il y a la dé-segmentation capitaliste qui, tel un fleuve furieux brisant toutes les digues, ravage les protections péniblement édifiées par les luttes séculaires. Il y a son contraire, ou plutôt son complément, le protectionnisme autarcique dont Hitler donna jadis l’exemple hideux et qui, pour filer la métaphore hydrique, transforme les nations en autant d’étangs croupissants. Mais il y a aussi, dialectiquement, la segmentation humaine, rationnelle : celle des travailleurs, Égyptiens, Chinois antiques, Hollandais, canalisant les crues, contenant les marées et drainant les eaux stagnantes, construisant des digues, des polders ou des écluses, irriguant les déserts à l’aide de norias, et, par cette segmentation même qui gère sans le nier le dénivelé spatio-temporel des différences humaines, rend enfin le fleuve durablement navigable. Cette segmentation-là permet au contraire une « navigation » continue, quoique rythmée et scandée par des ralentisseurs artificiels, écluses, passages à niveau, etc., entre générations et entre territoires.
Voilà ce que serait une mondialisation régulée, planifiée, co-construite, par des peuples libres, égaux et fraternels échangeant les richesses, les savoirs et les ressources dans le cadre d’une division du travail mutuellement consentie. Non pour construire une économie anarchique qui « ne produit la richesse qu’en épuisant la Terre et le travailleur » (Marx), et qu’en dispersant mondialement les virus, les tornades et les canicules, mais pour édifier le socialisme-communisme d’une société capable de gérer ses différences et de les partager à l’avantage de tous.
Une utopie, le communisme, vraiment ? Si vous hésitez encore à vous engager pour lui pendant qu’il est temps, regardez la hideuse utopie par trop réelle de la mondialisation capitaliste prenant la forme du confinement universel et des salles de réa aseptisée : cette utopie-là, nous la vivons désormais. Et elle a pour nom « COVID 19 » !