« Qu’ils sont aveugles, ceux qui s’imaginent que des institutions, des constitutions, des lois qui ne sont plus en accord avec les mœurs, les besoins, l’opinion des hommes, des lois qui n’expriment plus l’Esprit, peuvent continuer à subsister, – que des formes dans lesquelles l’intelligence et le sentiment ne s’intéressent plus sont assez puissantes pour constituer l’unité d’un peuple. Toutes les tentatives de restituer, par un barbouillage grandiloquent, la confiance en des rapports et des parties d’une constitution que la foi a quittée, de donner un vernis de belles paroles aux fossoyeurs, non seulement couvrent de honte leurs malins inventeurs, mais encore préparent une éruption bien plus effrayante, dans laquelle au besoin de l’amélioration s’ajoute la vengeance ; et la foule, toujours dupée et opprimée punit aussi la malhonnêteté. Devant le sentiment de l’ébranlement de toutes choses, ne faire rien qu’attendre tranquillement et aveuglément l’écroulement du vieil édifice plein de fissures et attaqué dans ses racines et de se laisser écraser par l’échafaudage croulant est contraire à la sagesse autant qu’à la dignité. »
Hegel, La raison dans l’Histoire.
« La vie et la mort de Socrate sont l’histoire des rapports difficiles que le philosophe entretient, – quand il n’est pas protégé par l’immunité littéraire – avec les dieux de la Cité, c’est-à-dire avec les autres hommes et avec l’absolu figé dont ils lui tendent l’image. Si le philosophe était un révolté, il choquerait moins. Car, enfin, chacun sait à part soi que le monde comme il va est inacceptable ; on aime bien que cela soit écrit, pour l’honneur de l’humanité, quitte à l’oublier quand on retourne aux affaires. La révolte donc ne déplaît pas. Avec Socrate, c’est autre chose. Il enseigne que la religion est vraie, et on l’a vu offrir des sacrifices aux dieux. Il enseigne qu’on doit obéir à la Cité, et il lui obéit le premier jusqu’au bout. Ce qu’on lui reproche n’est pas tant ce qu’il fait, mais la manière, mais le motif. Il y a dans l’Apologie un mot qui explique tout, quand Socrate dit à ses juges : « Athéniens, je crois comme aucun de ceux qui m’accusent. » Parole d’oracle : il croit plus qu’eux, mais aussi il croit autrement qu’eux et dans un autre sens… » »
Merleau-Ponty, Eloge de la philosophie.
C’est dans le silence le plus total qu’a pourtant retenti le discours le plus réactionnaire s’il en est de ces dernières années.
Une fois n’est pas coutume, le « philosophe star », s’est de nouveau illustré sur L.C.I comme le chien de garde de la classe dominante. Le discours tenu par Michel Onfray le 17 septembre 2017 à la télévision est l’expression la plus tenace de l’idéologie contre-révolutionnaire. Mais, notre talentueux plongeur en eaux troubles se revendiquant du « lien avec la nature », il apparaît comme impensable que sa pensée puisse être l’expression d’une fixité dangereuse : en effet, qui dit nature, dit écolo’, dit encore de gauche, donc allié.
S’il ose encore se revendiquer de gauche, c’est pour mieux se placer à la droite de ceux dont il entend se faire le porte-parole. Or, cette parole sonne le glas sur tout soupçon possible quant à sa construction théorique profondément réactionnaire.
Depuis plusieurs années, Michel Onfray revendique son rapport à la terre, celle qui ne ment pas, et j’avais déjà pu débusquer sa posture de faussaire dans faucon rouge. Celui qui ne cesse d’arpenter les plateaux de télévision et de vivre en « nomade attalien », n’est que la caution intellectuelle d’un monde où l’on apprend aux producteurs la « sobriété heureuse » face à l’exploitation. Arborant fièrement son refus de toute conceptualisation, de tout travail philosophique sérieux, il minaude et invite désormais ses lecteurs et auditeurs à cesser de lire (sauf ses livres !) pour se tourner vers la nature. Ainsi, comme les religions qu’il a tant combattu, Michel dispense ses semblables de lire, car en être suprême omniscient, il sait qu’il n’y a rien de bon à aller chercher dans ces livres.
Ainsi, alors qu’il présente son nouveau livre (parmi les sept prochains à sortir dans les quelques mois à venir) sur Thoreau, il extrapole la pensée de ce dernier en indiquant : « nous avons perdu le lien avec la nature, voilà pourquoi nous sommes déboussolés, voilà pourquoi il y a des névroses, des psychoses, des paranoïa, du narcissisme, autant de gens sur les divans, de l’alcool, de la drogue etc. » Rien que ça !
Mais, Michel, l’histoire toute entière de l’humanité est une lutte incessante contre la nature. C’est pourquoi l’Homme a produit la technique, pour s’en émanciper ou au mieux s’en protéger. Vois-tu Michel, cette chère nature dont tu chéris les apports, elle ravage chaque jour des milliers de vies humaines, et parfois même au-delà des lieux géographiques et politiques misérables, les noms donnés par l’homme d’Irma ou de Maria (ouragans) pour s’emparer des vies et de villes. Mais peut-être est-ce parce que ces gens n’avaient rien à faire là ?
Quant aux drogues, à l’alcool, aux divans… ne sont-ils pas plutôt l’expression de phénomènes économiques et sociaux d’une rare violence et dont les effets sont tus ?
Ces peuples premiers dont l’idéologie écologiste ne cesse de vanter les mérites n’ont-ils pas eux aussi été cherchés dans les drogues, l’alcool et les transes quelque chose qui échappe à ton analyse ? Outre la magie comme absence justement de faits techniques expliqués et compris, leur praxis n’a-t-elle pas engendré une symbolique tout aussi conséquente que la nôtre et qui forme justement une partie des traits de l’universalité humaine ?
Michel Thoreau Onfray, poursuit : « retrouvez le sens de la nature, quand vous aurez compris les cycles, le jour et la nuit, les saisons, que tout est vivant, tout est mortel et que tout prend sa place dans le cosmos – Cosmos en Grec ça veut dire « l’ordre » hein ! »
La lecture proposée ici par l’auteur se fait avec le prisme nietzchéen de l’éternel retour du même. Comprenez : il n’y a pas de sens de l’Histoire, il n’y a pas de progrès dans l’humanité, pas de progrès techniques de la pierre taillée à l’accélérateur de particules, pas de progrès moraux de l’esclavage à aujourd’hui, du mariage forcé au libre amour etc. Non, rien de tout cela, tout n’est qu’éternel retour du même et ce mouvement ne forme jamais aucune fractale.
Mais, Michel, de quelle nuit parles-tu ? À quel climat fais-tu allusion ? Mais, Michel, tu dis que tout est vivant et mortel, mais ignores-tu que « le vivant c’est le mort » et que ce qui permet la vie c’est justement l’automouvement destructeur et refondateur, ce mouvement propre à la nature produit de ce que tu interprètes sans doute comme « l’infâme dialectique »
Tu dis fièrement du cosmos qu’il signifie aux origines « ordre », comme Goethe signerais-tu davantage pour l’injustice plutôt que le désordre ? Mais de quel ordre parles-tu, Michel ? Celui d’une nature qui se déchaîne, celui d’un univers construit à partir de fractales nées de forces contradictoires ? De nos rythmes biologiques dont l’organisation s’avère être un chaos comme c’est le cas du cœur qui bat plus justement et régulièrement à l’approche de la mort ? De quel ordre encore parles-tu Michel, de celui qui veut que chacun reste à sa place car il en va ainsi ? La nature décide de la place des hommes ?
Au contraire, l’humanité doit affirmer avec Engels que « le mouvement est le mode d’existence de la matière », et avec Rousseau que « ce que l’homme a fait l’homme peut le défaire, il n’y a de caractères ineffaçables que ceux qu’imprime la nature et la nature ne fait ni princes, ni riches, ni grands seigneurs. » Or, mais Michel, voudrais-tu par hasard nous enfermer dans ces caractères ineffaçables qu’imprime la nature, toi qui ne cesse de fustiger Robespierre, Rousseau ou Hegel car ils seraient « totalitaires », qu’en est-il de ta conception du monde et de l’homme ?
Ensuite, l’auteur de Cosmos et de Décadence, achève son discours plus que jamais teinté de naturalisme immuable, en précisant : « quand vous aurez compris ce qu’est l’ordre du monde et de la nature, quand vous aurez compris quelle place vous occupez, alors vous allez acquérir une sérénité qui va vous donner le plaisir d’exister. »
A priori Michel, tu ne veux que notre bien, celui de notre harmonie dans une nature aux « vraies valeurs » comme l’indique ton interlocutrice. Mais, ces vins que tu dégustes à l’Université du goût, ces champs que tu arpentes dans tes documentaires biographiques au volant de ta Volkswagen, ce père dont tu nous parles tant, ne sont-ils pas plutôt le fruit du travail des hommes, du travail de cette nature visant à la transformer, à lutter contre, à la maîtriser, pour justement mieux vivre ?
Au lieu de cela Michel, tu fais l’apologie d’une nature fixe, immuable, qui faute de trébucher même, serait cyclique et dont les voies impénétrables devraient nous dicter la bonne conduite à suivre : trouvons et restons sagement à notre place.
Par anticommunisme et même antichristianisme, le philosophe people a trouvé refuge dans la nature, du moins dans celle qu’il nourrît de mysticisme, d’idéalisme. Celui qui se vantait cet été de produire une ontologie matérialiste, sombre béatement dans l’idéalisme et le vitalisme le plus plat. Plus encore, ce discours aux apparences subversives s’inscrit dans la lignée exacte du naturalisme que tente de nous faire accepter l’idéologie dominante. Le Capital n’a de cesse d’inscrire comme naturel les principes de sa domination : propriété lucrative, liberté d’entreprendre, exploitation n’était semble-t-il que des droits «naturels » qu’il fallait « déclarer ».
Aussi, l’Histoire se souviendra sans doute de Michel Onfray, comme la plus pure expression de la théorie du reflet où celui qui prônait une « politique du rebelle » ne fît qu’épouser la logique de domination En Marche !