Poète de droit commun
Chacun d’entre nous est unique
et ce n’est pas original.
On se croit seul au monde
mais le monde ne le sait pas.
Puis un jour, on s’en aperçoit :
ceux qu’on croise dans la rue,
sans les voir, en pressant le pas
ceux qui passent et ne comptent pas
ou si peu… ou pas plus que ça,
on les regarde et on se dit
qu’ils ont chacun leur propre vie.
Ils sont chacun comme nous sommes :
au centre de leur univers.
Chacun d’entre nous est unique
et ce n’est pas original.
Chacun de nous est sans pareil
et plus semblable qu’il ne le croit.
Nous avons bien, en général
une bouche, un nez, deux oreilles
un cœur sans doute, même un cerveau
et à peu près le même paquet
de peurs, de rêves, de secrets
et dans la boîte aux noirs désirs
quelques fantasmes partagés.
Tous semblables, tous uniques
dissemblables et identiques.
Nous sommes très singuliers
ce qui n’est guère particulier.
Nous sommes en cela comparables
aux arbres, aux galets de la mer,
et même au moindre grain de sable
parmi les milliards de la plage.
et c’est cette propriété,
(être divers et tous les mêmes),
qui rend possible le poème,
et sa surprise et son partage.
Nous sommes un peu tous les autres
et tous les autres sont nous-mêmes.
Post-scriptum, en forme de note sur le poème précédent, « Aux fossoyeurs de la poésie ». Il est assez explicite ayant été délibérément écrit dans le style historico-didactique qu’affectionnait Brecht (et auquel il est parfois nécessaire de recourir). Un mot cependant des circonstances. Même si son objet ne s’y limite pas, il est probable que l’annonce de la dissolution de la Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne que j’ai dirigée pendant six ans n’y est pas pour rien. Soudain, les élus de ce département qui avaient toujours soutenu la Biennale ont jugé que la poésie coûtait trop cher. Se ralliant ainsi au point de vue de leurs opposants. Temps d’abandon et de soumission à la gestion d’une austérité très inégalement répartie.