Dans une récente note de son blog sur le site internet de son journal Médiapart, M Plenel, s’en prend très violemment aux éditions Delga, lançant des propos insultants, à propos d’un livre qu’il avoue d’ailleurs n’avoir pas lu.
Aymeric Monville, l’éditeur, dans un droit de réponse, rétablit les faits.
Réponse à M. Edwy Plenel : refuser le « story telling » de Trotsky, serait-ce du négationnisme ?
(En le priant d’insérer ce texte au titre du droit de réponse.)
Cher Monsieur Plenel,
Vous le voyez à cet incipit, je n’ai guère envie d’adopter un ton polémique. Tout ce qui est excessif est insignifiant, disait – paraît-il – Talleyrand, et malgré vos outrances, vous n’avez réussi à susciter en moi qu’un haussement d’épaules.
Votre article revient à vous indigner du fait qu’il existe encore des communistes qui refusent toujours de cotiser à la seule version du communisme encore tolérée par le pouvoir actuel, celle – minoritaire au plan mondial – du trotskysme.
Vous prétendez ainsi opposer à la recherche historique une vérité contenue dans les Mémoires de Léon Trotsky.
Serait-ce un livre révélé ? Doit-on penser que nous aurions commis un blasphème ?
Vous ne rentrez dans aucun argument du livre de Grover Furr, « Les Amalgames de Trotsky » que vous nous reprochez d’avoir publié. Vous reconnaissez l’avoir « feuilleté », ce qui signifie que vous ne l’avez pas vraiment lu. Et vous n’avez qu’un argumentaire : il s’agit ni plus ni moins que de négationnisme (???).
Je sais bien que l’existence de communistes qui ne se plient pas au chantage de ce que l’historienne Annie Lacroix-Riz appelle « l’antisoviétisme de confort » a toujours constitué pour les tenants de ladite IVe Internationale une sorte de scandale.
Mais désormais, avec l’invention d’un improbable négationnisme « stalinien », vous espérez, par une comparaison implicite avec la négation faurissonienne de l’existence des chambres à gaz dans les camps nazis, susciter l’indignation et surtout intimider, y compris peut-être la direction de L’Humanité coupable d’accueillir nos éditions, comme si c’était à vous de choisir ses hôtes. Cette insulte à l’intelligence de vos lecteurs n’étonne guère en ces temps où la comparaison absurde entre nazisme et stalinisme vient d’être entérinée et validée par le Parlement européen (19 septembre dernier), toutes tendances confondues de l’extrême droite aux députés écologistes et sociaux-démocrates en passant par les macronistes. Elle revient pourtant à mettre sur le même plan ceux qui ont commis un génocide et ceux qui y ont mis fin, ceux qui ont voué les peuples slaves à l’esclavage et à la décimation et ceux qui, tout à l’inverse, par la voix de leur dirigeant, affirmaient en combattant : « Les Hitler vont et viennent ; le peuple allemand demeure ».
Vous préfacez donc « Ma vie ». Trotsky est dieu et Plenel est son prophète. Pourquoi pas ? Le XXIe siècle sera religieux, disait Malraux, et vous en donnez un exemple assez inattendu.
J’espère simplement, au vu du rapport passionné que vous entretenez avec pareil livre saint, que vous n’êtes pas en voie de « radicalisation ». Si j’en juge par l’entregent relationnel dont Mediapart fait preuve pour écrire des articles sur un de nos auteurs ayant déjà subi quatre jours de garde à vue, je n’ose imaginer jusqu’où votre fureur purificatrice pourrait vous mener. Je n’ose aussi penser jusqu’où vous portera votre volonté – sans doute « antitotalitaire » ? – de fixer a priori, selon vous goûts, les limites tolérables du débat en en excluant, très démocratiquement, les communistes qui vous déplaisent.
Quant à un autre scandale judiciaire lié au climat de guerre entretenu par nosdites démocraties occidentales, vous avez, certes, eu la bonté d’évoquer le livre sur Julian Assange que j’ai écrit, « Julian Assange en danger de mort ». Pourtant, je ne vous ai guère vus motivés, à Mediapart, par cette cause.
Les erreurs judiciaires ne seraient-elles intéressantes que lorsqu’on pourrait les imputer à Joseph Staline ?
Si vous n’aviez pas la prétention de clore à vous tout seul les polémiques entre la IIIe et ladite IVe Internationale, je pense que vous pourriez consacrer davantage de temps à la défense de votre collègue australien et de ce qu’il représente pour l’ensemble de votre profession.
Mais pour revenir au fond du livre du professeur Furr, je vous conseille néanmoins de dépasser ce simple effeuillage dont vous parlez, même si cela choque vos préjugés.
Vous verrez que l’essentiel du livre est fondé sur les archives Trotsky ouvertes en 1980 et également sur les conclusions qu’en a tirées l’historien trotskyste le plus mondialement reconnu, Pierre Broué, le seul qui ait poussé son engagement (oserions-nous dire « entêtement ») jusqu’à assumer pleinement ce que contenaient ses archives : à savoir l’existence d’un « Bloc des oppositions de 1932 », réalité qui a émergé des archives Trotsky malgré une censure minutieuse (il reste toujours des traces, même dans des archives expurgées) et qui atteste de ce que Trotsky avait toujours nié (c’est là la première « négation ») : la réalité d’une opposition intérieure séditieuse.
Aucun biographe de Trotsky n’est, depuis, allé aussi loin. Tous ont fait machine arrière et préféré taire ce que ces archives contenaient.
C’est donc aux mânes de Pierre Broué, meilleur spécialiste trotskiste de Trotsky, que vous devriez vous adresser en quelque sorte, puisqu’il fut le premier à avoir établi que la thèse de la « pathologie » de Staline comme seule cause des procès de Moscou ne tient pas la route. Et ce, dans les termes suivants :
« On pourrait faire les mêmes remarques à propos du bloc des oppositions de 1932 que d’autres chercheurs ont aperçu sans le reconnaître, faute d’un outil chronologique suffisant ou du fait de préjugés solides et d’idées préconçues. Comment expliquer la difficulté à donner à cette découverte la publicité qu’elle méritait ? Le premier écho à l’article de 1980 où je mentionnais le bloc et reproduisais les documents qui l’attestent est de l’Américain Arch J. Getty et date de 1985. L’affaire du bloc des oppositions a déjà commencé pourtant à commander une révision des histoires classiques de la Russie soviétique. Elle modifie passablement en effet l’image pathologique de Staline comme clé du développement et nous ramène aux difficultés économiques, aux conflits sociaux et politiques, à la lutte pour le pouvoir, au lieu de la seule soif de sang du « tyran » » (Pierre Broué, « Trotsky », 1988, Fayard, chap. 48).
A notre connaissance, jusqu’au présent livre de Grover Furr, le silence sur le « bloc des oppositions » ou encore la lettre à l’encre sympathique de Sedov à Trotsky pour annoncer la formation d’une conjuration a perduré, y compris chez les biographes de Trotsky, qui n’ont pas le même sérieux dans la recherche archivistique, vraisemblablement. Isaac Deutscher, bien qu’ayant eu accès aux archives avant leur ouverture, n’en avait pas non plus parlé, mais cela ne nous étonne guère puisque Trotsky était déjà pour lui un « prophète », comme l’indique le titre de la pieuse biographie qu’il lui avait consacrée.
Rappelons, enfin, que le « négationnisme » est un délit quand il s’agit de celui du verdict du jugement de Nuremberg.
Appliquer sans examen le terme calomnieux et infamant de « négationnisme » à propos de la recherche concernant l’époque stalinienne est une pétition de principes, parce que nous n’avons jamais dénié quoi que ce soit d’autre, à travers la publication de ce livre que l’Immaculée Conception et l’Infaillibité pontificale des partisans de Léon Trotsky. En réalité, je n’ai jamais rencontré à l’heure actuelle aucun historien, auteur, intellectuel qui nie l’existence du Goulag ou encore de la famine en Ukraine.
Je n’ai jamais publié pareil « négationnisme » ou plutôt pareilles stupidités.
Je crois aussi qu’il convient de rappeler que, quoi qu’on pense des causes de la famine du début des années trente, celle-ci fut la dernière de l’histoire russe et soviétique et que ce fut la collectivisation qui mit fin à ces tragédies. Rappelons enfin que le capitalisme qui croit triompher aujourd’hui s’accommode toujours, comme le dit Jean Ziegler, ancien rapporteur de l’ONU sur la malnutrition, du fait qu’un enfant meure actuellement toutes les cinq secondes de la famine ou des causes de la famine.
Je crois que c’est surtout au déni de ce scandale, tragiquement contemporain, que nous avons bien plutôt affaire.
Personnellement, je n’ai jamais pratiqué ce qu’on a appelé, à tort, le « culte de la personnalité », qu’il aurait fallu traduire par « culte de la personne ». J’estime néanmoins qu’en tant que communiste, on ne doit pas prêter le flanc à la caricature et/ou la calomnie, pas plus qu’au culte de Trotski ou à la diabolisation de Staline : celui-ci est certes critiquable, y compris durement et sur la base d’arguments factuels, mais on ne peut lui retirer le fait qu’il fut le principal vainqueur de Hitler comme le rappelait le général De Gaulle en 1944 quand il déclarait : « les Français savent que la Russie soviétique a joué le rôle principal dans leur libération ». Si l’holocauste a été brisé, si des millions de juifs et de Slaves ont survécu en Europe, si nous pouvons aujourd’hui disputer librement (et sans doute trop librement à votre goût ?), nous le lui devons pour une part. Comme, nul n’en disconvient, nous devons aussi pour une part à Trotsky la victoire de l’Armée rouge sur les Blancs.
Mon engagement d’auteur et d’éditeur demeure celui pour une démocratie pleine et entière, qui ne nie en rien les droits dits formels. Ces droits ne sont pas seulement issus des révolutions bourgeoises, comme on le croit souvent, mais aussi principalement, quant à leur dimension internationale (charte de l’ONU, déclaration universelle des droits de l’homme), à la victoire de l’Armée rouge en 1945, sous la direction de Joseph Staline, faut-il le rappeler. A ces droits formels, j’estime qu’il faut de façon urgente ajouter les droits concrets du socialisme, à commencer par le droit de ne pas mourir de faim, le droit de ne pas s’immoler par le feu parce qu’on a perdu tout espoir et le devoir de ne pas exploiter autrui.
En revanche, ce qui pourrait constituer du négationnisme de votre part, ce serait de faire croire que les procès de Moscou attestant de sabotages et de tentatives de déstabilisation du régime soviétique, fomentées par l’Allemagne hitlérienne principalement, n’ont d’autre fondement que la prétendue paranoïa de Staline, ce qui est pour le moins nourrir une vision infantile de la politique et de celle des intentions du Reich en particulier.
Je rappelle qu’à l’époque, même l’ambassadeur des Etats-Unis était persuadé de la véracité des procès de Moscou. Ce qui ne signifie nullement de ma part validation de la manière dont ils furent expéditivement menés dans un contexte international qu’il faut tout de même prendre en compte, celui de la montée des fascismes et des militarismes non seulement dans toute l’Europe, mais aussi au Japon.
Dans « Le Choix de la défaite », l’historienne Annie Lacroix-Riz donne de nombreux détails, étayés sur des archives dont elle fournit les cotes, sur le complot de Toukhatchevski notamment.
Si vous souhaitez entrer dans les détails, il n’est pas non plus impossible que Grover Furr vous réponde également, même si aucun argument historique n’a pour l’instant été soulevé par vous.
J’avais déjà répondu à M. Jean-Jacques Marie de la même manière dans une précédente controverse en disant que les historiens répondront à partir du moment où l’on s’élèvera au-dessus de la simple polémique entre publicistes.
Sachant donc que nous ne trancherons ni vous ni moi aucune de ces importantes questions, je prends congé, mais j’espère trouver néanmoins en vous une oreille plus attentive quant au sort de Julian Assange dont nous sommes tous, civiquement, responsables. Sans parler de Mumia Abu Jamal, qui meurt à petit feu dans une geôle états-unienne à l’issue d’un procès notoirement truqué. Comme disait Epictète, il y fondamentalement ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Assange est notre affaire, parlons-en au lieu de chercher implicitement à faire intervenir la censure, aux cris de « négationnisme ! », contre un des rarissimes éditeurs français qui continue d’éditer des marxistes dont tous, par ailleurs, ne partagent pas les positions de Grover Furr.
En l’attente d’une réponse de votre part sur cette urgente question, j’ai l’honneur d’être et de rester, Monsieur, votre aimable contradicteur,
Aymeric Monville (pour les éditions Delga)
brillante réponse au prétentieux PLENEL.
Très belle et pertinente réponse, à la fois ferme et mesurée.
On pourrait ajouter le maintien en détention après 35 ans de prison de Ibrahim ABDALLAH et pour lequel PLENEL et MEDIAPART ne se mobilise guerre il est vrai que Ibrahim est communiste mais pas trotskyste …
je me suis permis de publier votre « droit de réponse » sur mon blog médiapart, cela restera très discret, en souhaitant que Plenel applique la Loi.
https://blogs.mediapart.fr/morvan56/blog/171119/reponse-medwy-plenel-refuser-le-story-telling-de-trotskynegationnisme