Résonances à l’humanité des réfugiés
si je parle de vous cela m’isole
si je me tais cela vous isole
Il n’est point de pays
pour ceux qui émigrent il
n’est qu’ une ligne d’arrivée
déportée en aval
d’un treillis soudé où s’abiment
l’humanité des frères
et la fraternité des hommes
Il n’est qu’un temps qui a avalé
le temps d’antan, un temps astreint,
et des corps contraints où naissent
des mots dont la peau rigides habillent
les temps nouveaux, un temps
où de la cendre d’urne tapisse
les bouches alors que les
regards se teintent d’acier vif.
Ainsi le mirage d’une main tendue
expire comme une parole non tenue
sur les spires de concertinas rasoirs.
Seuil sans accueil
où ceux qui viennent
passent de sas en chicanes,
isolés, éloignés, retenus,
exploités, arrêtés, détenus.
Ils arrivent dans notre temps
où le désir a pris pour objet
les objets avec comme sésame
l’utilisation d’autrui, où l’espoir
se teinte de la couleur de
la casaque d’un cheval de course
où la marée-chaussée accaparant
l’azur et le noir intiment à tous
et à chacun silence en son enclave
Il n’est plus de pays
pour ceux dont les semelles gaufrées
s’éliment sur les longueurs asphaltées
sans laisser de traces il n’est
plus de pays
pour ceux qui errent de rivage
en rivage et qui s’évaporent comme des
mirages lorsque contre leur gré
ils hâtent leur départ
Il n’est point de retour au pays
car il est déjà pétri par des mains
nouvelles. Et se déprennent
frères qui ainsi que compères,
des cernes ont pris, au point de
se méconnaître et songent à
des quêtes à l’allure de lassos
qui enclosent toutes sources
Il n’est point d’amis
avec qui l’on a pas vieilli
il n’est point de recours aux amis
avec qui vous partageâtes
le cœur de votre pain lorsque
adviennent de subites tourmentes
et que vient la nécessité.
Aussi ceux qui voyagent suivent ils
des rêves adossés sur un vieil air
de oud dont la complainte rémanente
leur rappelle qu’il est un foyer
dans le feu de camps pour qui pleure
Son lit d’antan, que le spectre
d’un amour perdu ou impossible
hante le cœur de tous, qu’il est
La chaleur des compagnes de passage,
l’épaule offerte d’un frère de route
lorsque le sentiment d’être nu entre
ciel et terre resserre la poitrine
Il n’est point de
pays pour ceux qui
sont de passage tandis que
passent les ans. Il n’est point
de patrie offerte pour ceux qui
n’ont pas pelote faite et il est
des aires où transitent
ceux qui voyagent
comme il est des hères captifs
de zonages sans horizon
Il n’est plus de pays
lorsque du très haut ciel,
entre chiens et loups, surgit
une main de givre,
dont l’index est tendu et pointé
comme la promesse hurlée et tenue
d’un entrelacs de béton armé et
d’éboulis déclives
et de regards éteints.
Il n’est plus de pays…
effarés, derrière leurs croisées
tremblantes, ainsi que
nous le sommes devant nos écrans
lorsque le fruit maigre
d’une vie de servitude
s’évanouit avec nos certitudes.
Ils sont partis,
ceux qui s’en vont
et qui viennent
fuient le fracas de la terre
qui s’ouvre sous leurs pieds et
la pouillerie comme destinée
Que finissent en désuétude
l’ordre vénal et impérial
des affairistes guerriers qui
parées des atours de la prospérité et
d’un volubile marchéage télédiffusé
troquent antichrèses
contre matières premières
et consentement à tutelle
Et que se dissipent à jamais le reflet
médiatisé des puissants, qui
en grand apparat
feignent la bonté divine et assignent
des positions dans les cercles
concentriques de l’enfer,
en graduant l’effroi et l’effarement
par la révocation en masse et
l’indigence comme promesse.
Patrick Grelait – 28 février 2019