Par Georges Gastaud
C’était l’époque où l’on pouvait marquer trente buts en championnat de France avec le Grand Reims, scorer treize fois en Coupe du monde de foot (Suède, 1958), jouer la phase finale avec des crampons empruntés sur place à un camarade. Puis recevoir pour toute gratification de la FFF… une carabine Winchester, comme il se doit pour ce qu’on appelait alors un « canonnier » ! On est loin des milliards perçus par les vedettes actuelles du mercenariat sportif !
Un peu plus tard, après la double blessure qui écarta définitivement Fontaine du statut de joueur pro, Fontaine, « Justo » pour ses proches, prenait courageusement parti pour le foot offensif aux côtés du « Miroir du Football » et de son directeur François Thébaud. « Miroir » faisait partie de la galaxie des journaux communisants de l’après-guerre; il combattait le « béton-contre-attaque » cher à Helenio Herrera, l’entraîneur de l’Inter de Milan, lequel privilégiait le résultat à tout prix et apprenait pour cela à ses joueurs à « tuer le jeu ». Tout cela, démontrait Thébaud, venait de la marchandisation à outrance du calcio. Les amateurs de beau jeu encore capables d’applaudir l’adversaire cédaient la place aux supporteurs chauvins regardant à peine le match, tout occupés qu’ils sont à sauter sur place, à injurier l’adversaire et à mépriser le geste créateur qui soulève le stade et, sur le terrain, le simple et quasi artistique plaisir de jouer.
J’ai moi-même eu le plaisir d’approcher Fontaine à proximité d’un petit stade des Alpes-Maritimes dépourvu de gazon. Légèrement bedonnant mais toujours inventif sur le terrain, Fontaine avait en face de lui l’équipe des « Polymusclés » dont Jean-Paul Belmondo, dit « Bébel » (qui fut responsable des artistes CGT…) gardait les buts, les entrées allant à une caisse de solidarité. A la mi-temps, Fontaine avait signé mon ballon en plastic (je devais avoir 12 ou 13 ans); il m’avait dit qu’il fallait jouer pour marquer plus de buts que l’adversaire, si possible avec la manière et en jouant collectif, et non pas marquer un but de raccroc pour ensuite casser le jeu… voire les jambes de ceux d’en face en « taclant haut », comme se vante de l’avoir fait Macron quand il jouait comme arrière en Picardie. Et Fontaine avait payé pour pouvoir le dire… Tout cela portait à réfléchir, et sans me comparer en rien à l’immense génie que fut Picasso, qui « vint au communisme comme on va à la fontaine », le petit bonhomme vaguement supporteur de l’AS Monaco que j’étais est pour une petite part allé vers le communisme en passant par Just Fontaine: « ad augusta per angusta », vers ce qui est grand en passant par la porte étroite, comme disaient les Romains.
Le pourrissement du capitalisme se voit aussi au pourrissement de tout ce qu’il touche, sport pro en tête. On voit aussi comment à l’époque, un grand Parti communiste comme le PCF savait toucher tous les publics, y compris des gamins de 12 ans totalement dépolitisés, à travers une activité culturelle ramifiée (car le sport appartient à la culture au sens large du terme), et cela sans démagogie aucune et en sachant encore « ramer à contre-courant ».
Il est vrai que très vite, et la « mutation » dudit parti s’annonçant à bas bruit, le Miroir du football fut sabordé et France-Football, le journal du foot-business, put rapidement imposer son quasi monopole.
Salut Justo, ta leçon n’aura pas été perdue pour tout le monde, même si ce n’est pas toujours dans les domaines où elle était attendue qu’elle a atteint le but…