Gilets Jaunes: la direction de la CGT a-t-elle trahi la classe ouvrière?
100 jours. Cela fait 100 jours que le mouvement social des Gilets jaunes tient et tient bon. Pour la justice sociale, pour la justice fiscale, pour la souveraineté populaire. En clair, pour les salaires, pour mettre fin à ce système capitaliste qui fait les poches des travailleurs pour remplir les coffres des milliardaires, et pour que ce soient les travailleurs, eux qui sont l’immense majorité, qui décident et pour mettre fin à la dictature des multinationales, des grandes banques, du patronat, à la dictature du Capital.
100 jours c’est le moment de faire un pas de côté, pour mesurer le chemin parcouru et s’interroger sur le pourquoi, malgré de premières avancées, sur l’absence de victoire effective du mouvement. Un jeune militant communiste, militant syndical, pose la question de l’intervention de la première confédération syndicale de travailleurs, du premier syndicat de combat, la CGT. Non pas pour critiquer la CGT, comme le font les médiacrates à gages dans tous les médias des milliardaires, mais pour poser les questions de fond pour gagner. Car les travailleurs, avec gilets jaunes et sans gilets jaunes, attendent beaucoup et le plus de la CGT. Quel rôle de la CGT ? Pourquoi la première journée d’action de la CGT n’aura été que le vendredi 14 décembre à la veille des congés de fin d’année ? Pourquoi la suivante plus d’un mois et demi après, le 5 février ?
Place au débat.
Prélude
Le syndicalisme est en crise, et celle-ci est profonde. Prétendre que cette crise trouve ses sources uniquement dans les erreurs stratégiques des états majors syndicaux serait sévère, mais ceux-ci n’y sont pas non plus étrangers. Malgré la division profonde du monde syndical depuis la seconde moitié du 20ème siècle, l’omniprésence du réformisme dans la plupart des hiérarchies syndicales, la CGT a longtemps tenu la corde d’un syndicalisme de classe. Mais depuis la période de mutation/disparition du PCF, après l’effondrement du Bloc soviétique, la direction de cette dernière semble suivre le même chemin. Ce chemin, c’est celui de l’abandon de la lutte des classes au profit du réformisme le plus abject.
Cette évolution mortifère de la direction du principal syndicat de la classe ouvrière vers les négociations et le réformisme, vers la social-démocratie en somme, s’exprime depuis des décennies par une accumulation sans précédent de reculs sociaux et de défaites syndicales. Ces dernières, accompagnées d’un rejet populaire des syndicats, provoque une fatigue et un fatalisme chez les classes populaires, qui peinent de plus en plus à se mettre en mouvement contre le pouvoir, le patronat et le capital.
C’est alors que la CGT, et surtout sa hiérarchie confédérale, s’est retrouvée face à son destin, mise au pied du mur par ce qu’elle n’aurait elle-même jamais espéré, le mouvement dit des « Gilets Jaunes« . Les classes populaires et les travailleurs que la CGT appelle à se mobiliser sans succès depuis plusieurs années, ces mêmes classes qui s’abstiennent depuis de nombreuses élections, ou se tournent, malheureusement, parfois vers l’extrême-droite, ces classes populaires dépolitisées se mettent enfin, spontanément, en mouvement contre le pouvoir Macronien.
L’espoir
Si les premiers jours de ce mouvement peuvent provoquer des hésitations et des incompréhensions, si ces premiers jours auraient pu nous pousser, certains d’entre-nous, à la réserve, les semaines suivantes ne laissaient plus le doute planer dans nos esprits sur le caractère politique de ce mouvement, et sur la nécessité de l’intégrer avec toutes les forces dont on disposait.
En effet, les premiers cortèges de Gilets Jaunes étaient très hétéroclites, composés de classes populaires, de prolétariat pur et dur, de syndicalistes, mais aussi d’éléments petits bourgeois, de petits patrons, voire d’éléments fascisants.
Mais la radicalité du mouvement, son maintien dans le temps et l’évolution de ses revendications, loin du prix de l’essence, ont très vite marginalisé la droite et l’extrême-droite, passant alors d’un mouvement hétéroclite à un authentique mouvement de classes, où ces dernières, dans toutes leurs diversités, ont commencé à converger. C’est ainsi que l’ensemble des classes populaires de la ville et de la campagne se sont retrouvées, tous les samedis, à semer le trouble dans toute la France, en province comme dans la capitale, allant jusqu’à paralyser l’île de la Réunion.
Très vite, ce mouvement de classe désorganisé mais déterminé, a fait trembler le pouvoir, l’unité dans l’action de milliers de travailleurs, leur détermination à sortir du silence, ont provoqué un mouvement social inattendu pour le pouvoir. Les Gilets jaunes sont montés en puissance progressivement, pour atteindre leur apogée le week-end du 1er décembre à Paris et dans toute la France.
Des forces de l’ordre mal préparées et mal organisées, un pouvoir trop sûr de lui et une population à bout de nerfs conduiront à des évènements sans précédents depuis plusieurs décennies : la France paralysée et la capitale en état d’insurrection. Ce week-end et les quelques jours qui vont suivre vont faire paniquer le pouvoir qui reviendra, dès le dimanche, sur l’augmentation des carburants, et qui craint que le mouvement ne prenne une ampleur décisive, notamment si ce dernier est rejoint par des structures syndicales.
La Trahison
Lors de cette période, le pouvoir macroniste semble mettre un genou à terre, incapable d’empêcher le développement du mouvement malgré les heures de propagande contre « les violences » . Une partie semble alors se jouer, et si le pouvoir se retrouve au pied du mur, il n’est pas le seul, les syndicats le sont aussi.
C’est exactement à ce moment là que la direction de la CGT, à qui on peut reprocher ses erreurs stratégiques majeures depuis longtemps, sans forcément l’accuser de trahison, va commettre l’irréparable: Sauver Macron et son monde, sur le dos des classes populaires françaises.
Macron, pour sauver sa tête, veut empêcher les syndicats de rentrer dans la danse et tente un coup de poker : il exhorte l’ensemble des personnalités médiatiques et l’ensemble des corps sociaux et politiques à « appeler au calme« , à « mettre fin aux violences« . Il accuse ceux qui ne le feront pas de se rendre complices des violences des Gilets jaunes. Pour soutenir sa stratégie, il soutient une propagande visant à faire croire que les Gilets jaunes seraient tous des « nervis d’extrême-droite« . M. Castaner va jusqu’à dire que Paris est submergé par « l’ultra-droite« , que la république et la démocratie sont menacées et que les forces de l’ordre sont en train de se battre pour sauver les droits de l’homme en France. Si les naïfs ont pu y croire, on leur pardonnerait presque, mais des syndicalistes expérimentés comme ceux qui dirigent la CGT, comment est-ce possible ?
En effet, emporté par l’ensemble des autres organisations syndicales éprises de la même folie, exception faite de Sud-Solidaires, la hiérarchie réformiste va commettre l’irréparable: répondre à l’appel de Macron et de ses hommes. Le 6 décembre, moins d’une semaine plus tard, avec 7 autres organisations, Martinez et la direction de la CGT signent un appel au calme, dans lequel il demande entre les lignes aux personnes sérieuses de ne pas participer aux manifestations du samedi suivant, et de laisser les syndicats entrer dans la discussion avec le pouvoir. Si on peut comprendre que des organisations syndicales dite « de Collaboration » comme la CFTC, la CFTD, FO ou encore l’UNSA, jouent le jeu du gouvernement et du patronat, on peut être sous le choc de voir la FSU et surtout la CGT participer à ce sauvetage politique, et de trouver la signature de cette dernière indécente, voire impardonnable.
Cet appel signé le 6 décembre est décisif, non seulement la direction de la CGT et les autres syndicats, à l’exception de Solidaires, ne participeront pas aux mouvements des Gilets jaunes, mais en plus ils vont marcher contre lui, en participant au « dialogue social » avec le gouvernement macroniste, et en appelant à ne pas participer aux manifestations, continuant à les qualifier partout de « rassemblements d’extrême droite » et ainsi valider la thèse du pouvoir.
L’épilogue
Alors que le pouvoir était en situation de faiblesse et que la conscience de classe demandait de frapper vite et fort, afin de transformer ce mouvement désorganisé en une véritable insurrection économique et sociale pouvant faire chuter le pouvoir, ces traîtres à leur classe vont faire pire que se laisser aller à l’hésitation, ils vont reculer, tirer la corde dans l’autre sens, sauvant ainsi la peau des ennemis de la classe ouvrière.
Ce jour là, les syndicats, la direction de la CGT en tête, intégrés dans la tactique du gouvernement, vont sceller pour longtemps la défaite de cette bataille. Depuis, la mobilisation populaire, sa détermination et son soutien passif, n’ont fait que de s’affaiblir, laissant le gouvernement et sa propagande reprendre la main, et détourner toujours plus les classes populaires des syndicats. De plus, les discussions censées justifier l’arrêt des mobilisations étaient un mythe qui n’a jamais eu lieu, les attaques de Macron ont rapidement repris leur marche en avant, et le « Grand débat » factice n’a fait que révéler un peu plus l’impuissance du monde syndical.
Depuis, l’autocritique n’est pas à l’ordre du jour, c’est du bout des doigts que la direction de la CGT appelle à manifester, plusieurs semaines après cet épisode, et sans grande réussite. Le mouvement des Gilets Jaunes, réprimé durement par le pouvoir fascisant de Macron, semble s’affaiblir, laissant l’horizon à l’obscure pour un moment, jusqu’aux prochaines étincelles qui réveilleront peut-être le feu de la colère populaire.
La Leçon
D’ici là, j’appelle de tous mes vœux la CGT et ses militants à tirer les leçons de cette trahison, à blâmer les responsables, afin que le mouvement populaire et la classe ouvrière ne se retrouvent pas à nouveau abandonnés par ceux qui sont censés, en théorie, les défendre. Ainsi, si un mouvement analogue aux Gilets jaunes dans leurs grandes heures devait renaître de ses cendres, s’il était soutenu par un authentique syndicat de classe et par un véritable parti des masses et des travailleurs, alors celui-ci pourrait croire en la victoire!
Par Fear Dorcha Mac Seáinín