Hommage à Charles TILLON, en souvenir de l’appel aux travailleurs, du 17 juin 1940
« Après leur mort (celle des révolutionnaires), on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de consoler les classes opprimées et de les mystifier : ce faisant on vide leur doctrine révolutionnaire de tout contenu et on en émousse le tranchant révolutionnaire ».
Lénine – L’État et la Révolution
Cette citation peut vous paraître hors de propos, tant le nom de Charles Tillon semble avoir été refoulé au dehors de nos mémoires (et avec lui, la force principale de résistance intérieure : les Francs-Tireurs et Partisans). Malgré le travail acharné de falsification de l’histoire (notamment O. Wiervorka, pour qui la résistance intérieure fut purement cosmétique, sans effet militaire, ou encore le concept fumeux de « vichysto-résistants » de Mme Vergez-Chaignon et enfin la résolution scélérate approuvée par le cosmétique (celui-là) parlement européen datant du 19/09/2019 assimilant l’union soviétique et le nazisme), les circonstances actuelles pourraient bien nous conduire à une sorte de retour de ce refoulé sous une forme dévoyée (Sarkozy avait bien tenté d’utiliser Guy Môcquet et, comble de l’hypocrisie, Macron dit vouloir revenir aux jours heureux, après avoir méthodiquement détruit toutes les conquêtes arrachées en 1946). Ainsi, il nous est indispensable de continuer à apprendre ce qu’a été le mouvement communiste (notamment en France), afin de ne pas tomber dans les nombreux pièges de la réécriture falsifiée de l’histoire.
De plus, nous tenons à préciser que cet hommage ne repose pas sur une sorte de « fétichisation du passé »[1] et ne vise pas à entretenir une quelconque nostalgie, même si nous ne saurions dissimuler notre admiration et notre reconnaissance pour ces « soldats sans uniforme », dont les luttes ont permis des progrès de nos conditions matérielles d’existence, tant remises en cause aujourd’hui.
Ainsi, afin de promouvoir la mise en place de NOUVEAUX JOURS HEUREUX, on ne saurait se passer de connaissances sur les luttes, qui ont permis l’application d’une partie de ce programme à la libération. Nous nous souviendrons également que « la pire des falsifications, c’est celle du silence »[2] .
Le 17 juin 1940, Charles Tillon écrivait l’APPEL AUX TRAVAILLEURS :
« Les gouvernants bourgeois ont livré à Hitler et à Mussolini l’Espagne, l’Autriche, l’Albanie, la Tchécoslovaquie… Et maintenant ils livrent la France. Ils ont tout trahi.
Après avoir livré les armées du Nord et de l’Est, après avoir livré Paris, ses usines, ses ouvriers, ils jugent pouvoir, avec le concours d’Hitler, livrer le pays tout entier au fascisme. Mais le peuple français ne veut pas de l’esclavage, de la misère, du fascisme. Pas plus qu’il a voulu la guerre des capitalistes. Il est le nombre : uni, il sera la force.
- Pour l’arrestation immédiate des traîtres
- Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du parti communiste, LUTTANT CONTRE LE FASCISME HITLERIEN et les 200 familles, s’entendant avec l’U.R.S.S. pour une Paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes.
Peuple des usines, des champs, des magasins et des bureaux, commerçants, artisans et intellectuels, soldats, marins, aviateurs encore sous les armes, UNISSEZ-VOUS DANS L’ACTION ! »
Cet appel, rédigé en réaction au discours de Pétain (diffusé à la radio le 17 juin 1940 à midi trente) qui demandait aux militaires qui se battaient encore de capituler[3] , ne « traduit que le sursaut d’un esprit de classe qui ne capitulera jamais »[4] et avait pour son auteur « la valeur d’un serment ».
Alors caché dans le vieux moulin de Gradignan (commune limitrophe au sud-ouest de Bordeaux), Charles Tillon transmet ce tract à Henri Souques (son logeur), qui le confie à Paulette Lacabe, afin de le reproduire.
Au total, ce sont des milliers de tracts qui seront distribués, et ce alors que le Parti Communiste Français est interdit, ses militants pourchassés, emprisonnés. Dès le 18 juin, « il est répandu clandestinement dans les hôtels où résident les parlementaires », qui avaient été transféré par Paul Reynaud à Bordeaux le 10 juin, où Pétain, Laval et le maire SFIO Marquet les attendait (comme un sentiment de déjà-vu). Malgré le manque de militants de confiance dans cette ville (mis à part un petit secrétariat clandestin de communistes : Covelet, le cheminot Sabail, le parisien Sautel[5] et quelques dizaines de militants communistes), d’anciens guérilleros espagnols, ainsi que des dockers du port, diffusent ce tract. De plus, le 21 juin, une délégation de 3 femmes, dont Danièle Casanova, lui apportent 80000 francs, des nouvelles (dont le manifeste de l’International Communiste publié à Moscou pour le 1er mai, et un tract, qui n’avait pas pu être distribué, écrit par Politzer, appelant à défendre Paris) et s’en vont rejoindre Frachon à Toulouse, avec de nombreux exemplaires du tract, qui sera diffusé dans les départements du sud-est.
Enfin, jusqu’au 27 juin (jour de l’invasion de Bordeaux par les troupes allemandes), « des tenanciers de kiosque en glissent dans les journaux », alors que la radio de Bordeaux ne « verse plus que de la musique. Mais pourquoi cette insistance à repasser ainsi dans ces jours noirs le boléro de Ravel ? Le disque préféré de « son ami le maréchal pour son ami Von Stoher, ambassadeur d’Allemagne à Madrid » ». (Rappelons que le maréchal Pétain avait été nommé ambassadeur de France à Madrid dès 1935 et qu’il entretenait d’excellents rapports avec Franco et ses soutiens italiens et allemands[6].) « Cependant un silence de prison entre dans les maisons. Tout semble fini de la drôle de guerre… Passons à tout ce qui commence. »
Martin pour www.initiative-communiste.fr
[1]Voir le texte de A. Badiou: « pandémie, ignorance et nouveaux lieux collectifs »
[2]« Les FTP, témoignage pour servir à l’histoire de la résistance » C. Tillon, chez Julliard (disponible sur bnf gallica)
[3] même si précise Tillon, «nos troupes se battent dans un chaos suspect d’ordres et de contrordres, avec l’impression tragique d’être abandonnées à l’impéritie, ou à pire encore »
« Les FTP, témoignage pour servir à l’histoire de la résistance ». Charles Tillon
[4] « Les FTP, soldats sans uniformes » C. Tillon
[5] Ces deux derniers seront fusillés en 1941.
[6] Voir les travaux d’Annie Lacroix-Riz, notamment « les élites françaises, d’un tuteur à l’autre »