Nous répugnons aux polémiques personnelles, a fortiori entre camarades. Nous n’intervenons ici que parce qu’il en va de l’intérêt de tous et de notre crédibilité collective en tant que militants communistes.
À l’occasion du décès brutal de Domenico Losurdo, j’avais pris l’initiative, en tant qu’éditeur français du penseur italien, d’organiser dans une librairie parisienne un hommage amical sur fond de dialogue autour de Hegel et par-delà les clivages partisans. En témoignait la présence vivifiante du grand hégélien Bernard Bourgeois, dont il est notoire qu’il ne partage pas notre approche marxiste, mais qui donnait néanmoins à cette cérémonie la dignité d’un véritable débat philosophique et non d’un simple meeting politique, qui eût été déplacé en pareilles circonstances.
Un auteur n’appartient qu’à ses lecteurs, mais pas plus à l’un qu’à un autre, et c’est précisément par le débat et l’échange qu’on peut rendre hommage au meilleur d’une pensée. Vient ensuite le temps des décisions politiques, lesquelles doivent être prises par des militants éclairés et informés. Il est difficilement plaidable aujourd’hui d’envisager le marxisme en dehors des Lumières d’où il est issu.
Nous concevons donc parfaitement qu’un lecteur puisse se faire une autre opinion que nous d’une œuvre aussi vaste et marquante, mais nous avons du mal à prendre au sérieux un texte, publié sur le site de Faire vivre et renforcer le PCF, qui s’ingénie à qualifier notre initiative œcuménique inspirée avant tout par la « philia », de vulgaire « kidnapping » organisé par l’éditeur, lui-même manipulé par la librairie, elle-même manipulé par le PRCF, lui-même enfin manipulé par « l’impérialisme occidental » (sic et re-sic). Cette longue chaîne de déraison, pour paraphraser Descartes, qui associe le déterminisme mécaniste de la Seconde internationale aux contemporaines théories du complot de bas étiage montre qu’il y a des limites à la décence et surtout au bon sens.
Tout cela ne mériterait qu’un haussement d’épaules si cette « analyse » ne se présentait pas comme une contribution aux débats sur le 38e congrès du PCF (rien que ça…)
De deux choses l’une : s’agit-il de reconstruire un parti communiste ou de régler de vieux comptes? Comment peut-on prétendre « unir les communistes » par de pareils procédés?
Sans doute faut-il comprendre que, suite aux remarques fraternelles de la commission unitaire du PRCF concernant les graves insuffisances et les illusions portées par le « Manifeste du 21e siècle » proposé par certains camarades, dont la plupart s’opposaient à la direction mutante du PCF jusqu’à présent sur la forme mais aussi naguère sur le fond, le PRCF fait donc désormais l’objet d’attaques ad personas, en dessous de la ceinture. En cette occurrence, tout fait ventre pour nourrir la polémique et l’on voit vite les limites du crâne abandon du centralisme démocratique prôné par certains camarades, voire la fin de toute direction et déontologie éditoriales dans les publications militantes : la polémique excessive et irresponsable, l’embardée personnelle, l’impatience pallient l’absence de réflexion collective.
Il nous semblait donc de notre devoir de rappeler, à l’attention de certains camarades, que ce déplacement du centre du débat ne résoudra pourtant pas les problèmes stratégiques que pose l’union des communistes, et de la renaissance d’un parti de luttes, laquelle ne peut éluder le problème de la souveraineté nationale et de la lutte contre le carcan européen rejeté, faut-il le rappeler, par 79% de la classe ouvrière en 2005.
En espérant que le défouloir cesse, nous ne pouvons que renvoyer les camarades signataires dudit Manifeste à leurs responsabilités, en espérant que le mirage de l’unification des communistes sans contenu de classe se dissipe.
Car le plus désespérant n’est pas que des camarades ne soient pas d’accord avec nous (nous en avons vu d’autres) mais qu’ils ne soient plus en accord avec eux-mêmes.
En effet, ces camarades, dont certains effectuaient un travail remarquable à l’international, en organisant chaque année un large panel de camarades étrangers, montraient un intérêt certain pour les différentes expériences socialistes, dans leur diversité. Pourquoi diable se mettent-ils soudain à dénigrer les réalisations soviétiques (l’idéal communiste aurait, selon eux, été « défiguré » par l’URSS; cf. leur texte en 3.1) et à prôner, expressis verbis, la « visée communiste » théorisée en son temps par Lucien Sève, qui s’accompagne – relisez-le bien – de la dévalorisation sans réplique des expériences socialistes ?
Pourquoi ces camarades qui partageaient avec le PRCF le souci des « 4 sorties » se mettent-ils à devenir euroconstructifs et même BCE-constructifs (paragraphe 4.3) ? Il ne s’agit pas là d’un oubli, de précisions qui seront apportées plus tard mais d’un véritable changement de cap, en espérant qu’il ne s’agisse pas là d’un définitif changement de camp.
À ce sujet, après ce renoncement manifeste à la souveraineté nationale de notre pays, ainsi que le reniement sans nuances des expériences socialistes passées, l’évocation positive d’une Nation à l’exception de toutes les autres, en l’occurrence la Chine, ne laisse pas d’étonner. Quelque sympathie que nous puissions éprouver pour le peuple chinois et sa grande libération nationale, cette surenchère caricaturale sur l’actuelle direction du PC chinois (qui n’en peut mais et n’en demandait certainement pas tant) tombe comme un cheveu sur la soupe et ne peut apparaître que pour ce qu’elle est : une manœuvre de diversion. D’aucuns se rappellerons, par exemple, qu’au XXIIe congrès, en 1976, les tenants de l’abandon de la dictature du prolétariat avaient lancé le thème de la « question morale » pour détourner l’attention.
Mais continuons. Pourquoi ces camarades, conscients de leurs responsabilités auprès des classes populaires et ouvrières, troquent-ils la nécessité de s’adresser en priorité à celles-ci par un électoralisme identitaire en guise de boussole ? Identitarisme qui n’a plus, comme seules béquilles, que le sectarisme anti-Mélenchon en guise d’unité dans les luttes et le sectarisme anti-PRCF en lieu et place de la renaissance communiste ; et tout cela pour masquer qu’il est un formalisme sans contenu ni perspectives.
Pourquoi ces camarades, soucieux naguère de s’adresser à divers groupes, dans et hors du PCF, se mettent-ils à ne privilégier que des alliances internes, y compris avec ceux qui ont jadis accompagné la mutation-liquidation du PCF ?
Abandonner comme ils le font la perspective des 4 sorties et la construction d’un Front dirigé en priorité vers les travailleurs en insistant sur la nécessité de briser le carcan européen (ce que nous appelons le FRAPPE) n’est pas seulement de la mauvaise politique. Cela montre que ces camarades ne se posent même plus la question 1) du cadre de la souveraineté dans lequel on agit 2) des classes à qui l’on s’adresse.
Bref, un communisme sans sujet révolutionnaire ni espace de souveraineté. Une sorte de kantisme sans sujet transcendantal ni esthétique transcendantale, pourrait-on dire si on avait le coeur à rire.
Reste une faucille et un marteau qu’on agitera, à la prochaine élection bourgeoise (« européenne » donc négatrice de notre souveraineté populaire), comme un hochet. Quelle dérision.
Aymeric Monville, 17 juillet 2018