Dans une lettre ouverte, le député François Ruffin dénonce le régime Macron comme totalitaire avec une Assemblée Nationale privée de pouvoir
On peut ou non être d’accord avec les méthodes de communication du député François Ruffin à l’Assemblée Nationale qui lui valent un procès en sorcellerie par les députés macronistes pour avoir oser arborer un tshirt d’un petit club de football amateur dans l’hémicycle pour y défendre le sport amateur et y dénoncer les ravages du sport capitaliste (voir ce qu’en dit avec beaucoup de pertinence dans une vidéo notre camarade Aymeric Monville). Il demeure que pour un Ruffin sanctionner chacun peut constater qu’aucun député En Marche en particulier ceux qui ne mettent quasiment jamais les pieds à l’assemblée, ou pire y votent comme des automates sans jamais en discuter une virgule les textes d’un régime dont le premier acte aura été avec les ordonnances de priver l’assemblée de son maigre pouvoir législatif, ne sont eux, pas mis en cause. Ni même tel autre député En Marche ayant envoyé un adversaire à l’hôpital à coup de casques, tel autre bêlant quand une députée s’exprime et l’on pourrait allonger la liste. Sans parler de ces députés En Marche faisant payer pour organiser des visites de l’Assemblée Nationale !
Dans la presse, on pouvait lire mardi les oukases de De Rugy vitupérant pour expliquer que ce n’est pas la tenue de Ruffin qui lui vaut de se voir infliger par En Marche une méchante amende, mais le fait de ne pas avoir obéi à un ordre de De Rugy, président de l’Assemblée Nationale. Illustrant au demeurant la dénonciation pertinente de Ruffin : avec le régime Macron, l’Assemblée Nationale se doit d’être aux ordres et de ratifier dans le silence les directives écrites ailleurs, à Bruxelles, et traduites par Macron et ses conseillers.
De fait, les faits sont terribles et ils sont là : le président de l’Assemblée Nationale, membre du pouvoir et choisi par Macron pour occuper ce poste comme chacun sait, sanctionne un député d’opposition, et cela sans même respecter le règlement de l’Assemblée.
Les français ne se laissent pas impressionner et la pétition pour demander le retrait de l’amende indigne frappant Ruffin a d’ores et déjà passé la barre des 60 000 signatures. La vidéo de Ruffin défendant le monde associatif a elle été vue des millions de fois.
« L’Assemblée est nue ? » Lettre ouverte à François de Rugy
Monsieur le président,
Ce mercredi 20 décembre, en conseil de discipline, vous allez devoir trancher : faut-il me sanctionner pour le “déshonorant” et “indigne” port du maillot d’Eaucourt-sur-Somme dans l’hémicycle ?
Avant que cette grave question ne soit tranchée, et mon martyr achevé, je viens vous en poser une seconde : de quoi, au fond, le maillot d’Eaucourt-sur-Somme est-il le nom ?
Je ne voudrais pas vous parler de sport.
Ni même d’associations, ou de subventions.
Mais de notre Assemblée, de notre Constitution.Notre histoire s’est offert des crises parlementaires. Il ne nous reste que des crises vestimentaires. En quelques mois, j’en ai connu trois : le non-port de cravate, la chemise hors du pantalon, et donc le maillot d’Eaucourt-sur-Somme. À chaque fois, l’hystérie m’a surpris, l’emportement de collègues députés, des médias, ou de l’institution.
Et puis, enfin, aujourd’hui, j’ai compris.De la “loi travail numéro 2” à celle sur “la moralisation de la vie publique”, de la “Sécurité intérieure” au “budget de la sécurité sociale”, en un semestre déjà, il ne faut pas être bien malin pour s’en rendre compte : l’Assemblée, supposée “législative”, ne fait pas la loi.
Ces textes nous tombent de l’Élysée, après un passage par les ministères, et le Parlement sert de chambre d’enregistrement, gavé de lois comme des oies, siégeant du lundi au vendredi, jusqu’à une heure du matin. Nous suggérons certes des milliers d’amendements, pour se donner l’air important. Nous affichons notre fierté, victorieux quasiment, lorsqu’avec l’assentiment du gouvernement une virgule d’un alinéa est déplacée.
Je le savais depuis longtemps, en théorie. Je l’avais observé de loin, comme simple citoyen, sous Hollande, sous Sarkozy, sous Chirac. Mais c’est autre chose, tout de même, de l’avoir sous le nez au quotidien, d’y être en butte chaque matin. À découvrir, comme ça, la toute-puissance de l’exécutif, qui est en fait également le législatif, je retiens un cri : “Montesquieu, reviens !”
J’en ai causé, déjà, avec des dizaines de personnes, des juristes et des lambdas, de la majorité et de l’opposition, des députés et des administrateurs, des de gauche et des de droite, et pour tous, pour tous, c’est une évidence : la séparation des pouvoirs n’est qu’une fiction.Mais c’est une évidence qui se chuchote.
Une évidence qui se murmure.
Une évidence qui ne se clame pas haut et fort.
Tel le jeune enfant qui, dans le conte d’Andersen, Les Habits neufs de l’Empereur, vient crier “Le roi est nu ! Le roi est nu !”, je me suis assigné ce rôle : crier “L’Assemblée est nue ! L’Assemblée est nue !” Non par plaisir, mais par regret. Par espoir, aussi, pour qu’elle obtienne un véritable pouvoir, qui lui revient de droit : faire la loi.
Aussi, tous les débats d’aujourd’hui, sur le nombre de députés, sur leurs notes de frais, sur les réformes que vous avez lancées, tous ces débats ne m’intéressent pas, ou peu. Ces discussions masquent la seule interrogation qui vaille à mes yeux : à quoi sert-on vraiment ? Quelle fonction nous attribue-t-on ? Va-t-on faire la loi, oui ou non ?
Et sinon tant qu’à enlever deux cents députés tant qu’à faire des économies, pourquoi ne pas y aller carrément ? Pourquoi ne pas supprimer le Parlement tout entier ? Pour conserver une apparence de démocratie ?Nous y voilà, l’apparence.
Et j’en arrive enfin au maillot d’Eaucourt-sur-Somme.Avec mon cri, “l’Assemblée est nue ! L’Assemblée est nue !”, je me trompais, sans doute. C’est presque l’inverse qu’il faudrait dire : l’Assemblée n’est qu’habit. De pouvoir, elle n’en a pas, elle n’en a que l’apparat.
Comme beaucoup de nouveaux élus, j’ai fait visiter le Palais Bourbon à ma famille. Dans le salon Delacroix, mon fils Joseph, âgé de neuf ans, s’est planté le nez vers le plafond : “Tu as vu le beau lustre, Papa ?” Et j’ai songé, tu as raison, mon fils, c’est juste du lustre. Mais derrière ce lustre, derrière les dorures, derrière les apparences, le vide.
Derrière, l’insignifiance de notre pouvoir.
Derrière, l’inutilité de notre fonction.
D’où la panique, en fait, lorsqu’on touche à l’habit, qui fait le parlementaire.
C’est notre collègue Thierry Benoit qui a le mieux résumé ça. Dans l’hémicycle, durant mon intervention, durant mon hommage aux bénévoles, il s’égosillait : “Charlot en maillot !” Je l’ai retrouvé, mercredi dernier, à la Commission des affaires économiques, et j’ai éclaté de rire : “Bah alors ? Qu’est-ce qui t’a pris ? T’as pété un câble ?”, je l’ai taquiné. Et lui de me répondre : “Je t’aime bien tu sais, mais là, si on vient en maillot, quand est-ce qu’ils vont nous retirer la garde républicaine ? Quand est-ce qu’ils vont nous ôter les huissiers avec leurs chaînes ? Qu’est-ce qu’il va nous rester ?”
Qu’est-ce qu’il va nous rester, en effet, si on nous enlève les apparences ?
Aussi, Monsieur le président de l’Assemblée nationale, vous me sanctionnerez si vous le désirez.Mais plutôt que de sauver les apparences, je vous inviterais à entamer un bras de fer avec un autre président, nettement plus puissant : de la République, lui. Pour que notre Assemblée soit habillée de réels pouvoirs. Pour qu’elle ne lui serve pas que de faire-valoir. Pour que les parlementaires ne soient plus ses marionnettes, moi comme Guignol, vous comme Gendarme…
Notre “dignité”, notre “honneur” de députés, devraient résider là : engager une lutte avec l’exécutif, pour la séparation des pouvoirs, pour leur rééquilibrage.
Vous pourriez compter sur mon plein et entier soutien.Respectueusement comme il se doit,
François Ruffin.