www.initiative-communiste.fr publie ci après une réflexion d’Aymeric Monville, militant du PRCF, publié il y a quelques jours par le blog Réveil Communiste
Qu’on se rassure, à l’occasion de la mort de Fidel, Chasaigne n’a pas dit trop de mal de Cuba socialiste. En écoutant ses déclarations, nous avons pensé à certains de nos excellents camarades qui militent au PCF, qui se réclament de l’identité communiste et qui ont récemment cru pouvoir miser sur le soldat Chassaigne : ils ont dû croiser les doigts, serrer les dents puis pousser un ouf de soulagement. Chassaigne a plaidé. Il a même plaidé pour, en faisant comprendre que Fidel avait quelques circonstances atténuantes. Cuba est pour Chassaigne un régime « autoritaire mais… ». « Autoritaire mais… » : c’est comme cela qu’il décrit un peuple qui, avec quelques morceaux de sucre dans l’estomac au plus fort de la « période spéciale » (laquelle suivit l’effondrement de la Russie gorbatchévienne et le lâchage de la Russie eltsinienne) criait à ses bourreaux affameurs : « Le socialisme ou la mort ! ».
En revanche, Chassaigne qui a voté avec tout son groupe parlementaire cet état d’urgence, loi scélérate qui nous a valu un policier par mètre lors des manifestations de la CGT et presque aucun pour veiller à la sécurité lors d’un fatal rassemblement populaire un 14-Juillet à Nice, Chassaigne qui vole aujourd’hui au secours du PS à qui l’on doit le bilan de mille syndicalistes poursuivis, n’aurait rien, lui, d’autoritaire, ne serait-ce que « par omission » et par manque de courage de s’opposer à temps aux lois liberticides ?
Oh, il ne leur veut pas tant de mal aux syndicalistes. Il confiait seulement à la radio, à propos des cheminots, en juin 2014, sur un ton rassurant : « Je pense qu’ils n’attendent qu’une chose les cheminots, c’est de pouvoir lever la main en disant on reprend le travail. » Fier, en somme, d’être une non–courroie de non–transmission, un couteau sans lame auquel il manque le manche. Avec des camarades comme cela, a-t-on vraiment besoin d’ennemis ? Sauf que d’aucuns, et des plus sincères, continuent, comme le souriceau de la fable, de le voir « velouté comme nous / marqueté, longue queue, une humble contenance ». Il faut croire que l’identité doit s’être logée dans les moustaches, prolétariennes sans doute.
Sauf que le bon Chassaigne a depuis sorti les griffes. Et depuis ce 29 novembre 2016, il défend le Parti, ou ce qu’il en reste, contre ses militants s’il le faut. Il défend, Chassaigne, avec le jésuitisme de l’avocat qui plaide toutes les causes, ce qu’on lui dit de défendre. C’est cela, paraît-il, l’« identité ». Quelle ironie grinçante : le communisme réduit, très capitalistiquement, à la défense du patrimoine, de la marque, de l’image marketing, pour mieux le négocier à l’encan, au marché du PS. Faut-il que les militants communistes soient tombés si bas ?
Il faut croire que non, car un sursaut de bon sens s’est emparé des militants encartés PCF. Lesquels ont émis un vote d’adhésion à « la France insoumise » pour des raisons disparates, certains dirigeants pour sauver leur peau électorale ; les autres, la majorité, pour ne pas insulter l’avenir, sans doute, et parce qu’ils ont bien senti que l’adversaire principal du jour n’est pas Mélenchon, mais Fillon-Thatcher, Valls-MEDEF et la famille Le Pen. Tous ne sont pas lecteurs de Lénine (ou même Mao) pour faire la différence entre contradictions premières et contradictions secondes, et même entre la contradiction (qu’on peut résoudre) et l’antagonisme (irrémédiable). Mais ils ont compris l’enjeu de la fascisation qui guette (l’antagonisme véritable), qui prime les contradictions secondes et secondaires d’un parti inaudible. Ils comprennent aussi sans doute ce que les premiers chrétiens comprenaient déjà, entre l’esprit et la lettre, ou plus prosaïquement la différence entre l’essentiel et l’accessoire. Si le PCF, c’est Chassaigne et son positionnement euro-réformiste, cela ne vaut pas la peine de casser pour si peu la seule dynamique populaire existant à la gauche du PS.
Certes, on peut vouloir remettre Chassaigne sur les rails de la lutte des classes. On peut – autre option – déclarer avec des accents hugoliens : « S’il n’en reste qu’un au CN, je serai celui-là ! » Mais malgré tout le volontarisme du monde, on ne fera pas l’économie d’une analyse marxiste de la « logique concrète de l’objet concret ». Or, quel est cet objet concret, le PCF ? Les militants communistes ont voté avec leurs pieds, la base du PCF a désavoué les « identitaires ». « Les choses naissent et meurent deux fois », remarque pertinemment l’auteur du Rivage des Syrtes, « une fois dans leur être et une fois dans leur sens ». Telle une boussole qui a perdu le nord, le PCF n’est plus aujourd’hui porteur de sens pour notre peuple.
Pourtant, reste le marxisme. Reste la baisse tendancielle du taux de profit qui ne s’est pas effondrée avec le mur de Berlin, contrairement à ce qu’on nous serine. Restent les contradictions du mode de production. Reste, et c’est l’essentiel, le communisme qui « abolit l’état de choses présent ». C’est cette abolition que ne veulent pas voir certains « identitaires », et pourtant c’est notre meilleure chance. Le réel a plus d’imagination que nous.
Nous sommes passés en dix ans, depuis ce première explosion dans un ciel serein qu’était le Non au référendum, d’une guerre de position à une guerre de mouvement. Un discrédit général des partis bourgeois et des médias, un retour en force de la lutte des classes et des bases CGT de classe, un mécontentement qui se cherche. On voit se dessiner la possibilité d’action concrète pour des léninistes déterminés, sur la terre glaise du mouvement social, en dialogue avec d’autres que nous, à la rencontre de la France qui se bat, au cœur du cyclone. C’est l’option que j’ai choisie en rejoignant le PRCF.
« La France insoumise » a des défauts, mais au moins de mérite essentiel de poser la question de la nation et de sa souveraineté. Donc de pointer l’antagonisme essentiel entre l’impérialisme et ses alliés fascisés d’un côté, et les peuples de l’autre, à commencer par le nôtre. Et les rodomontades gauchisantes et anarchisantes contre le « droitier » Mélenchon n’y feront rien : si l’on ne pose pas la question de la souveraineté, si, comme Pierre Laurent ou comme la commission économique du PCF, on qualifie d’emblée de « nationaliste » le simple fait pour JLM de poser la question d’une sortie « indépendantiste » de l’UE, on devient le coco de service de l’impérialisme, celui qui « fait dans le social » ou dans « l’humain d’abord », comme Giorgio Napolitano, devenu président la République italienne et dont Kissinger disait qu’il était son « communiste préféré ». Nous ne serons pas les idiots utiles de l’impérialisme et de sa courroie de transmission rosâtre, le Parti de la Gauche Européenne, ce défenseur acharné de l’euro au sein du mouvement ouvrier et communiste européen.
Forts de ces convictions, il s’agit de remettre les travailleurs au cœur de ce sursaut national, pas seulement pour des questions morales, mais parce que ceux-ci sont liés au plus près à la production et comprennent la logique, l’ontologie même, des changements en cours. Voilà ce en quoi il faut peser avec la force de l’analyse. Analyse, oui. Cela fait trop d’années que dans la mouvance communiste on déserte l’analyse sous couleur de « matérialisme gnoséologique » (Sève) qui réduit le marxisme à une « politesse de l’esprit » accréditant dans l’attentisme le savoir parcellaire bourgeois sans capacité à le mettre en forme et en mouvement. C’est de là que vient cette tendance à gérer le patrimoine communiste, cette fameuse identité, en rentiers. Sans parler du suicide intellectuel et moral des théoriciens, la plupart althussériens, passés en vingt ans de l’ultra-gauche à l’ultra-droite, et surtout de la structure à l’aléa (traduire = du dogmatisme à l’opportunisme).
A la fin, pas étonnant qu’il ne reste plus, pour porter cette « identité » toute défensive, qu’un député qui pense avant tout à sa réélection et qui a surtout en tête de ne pas rompre avec Montebourg demain, et avec le PS tout entier aux législatives. Laquelle supposerait presque d’ignorer le vote majoritaire de son parti pour rallier Montebourg si celui-ci parvient à gagner la primaire : auquel cas on comprend mieux pourquoi la candidature Mélenchon, qui se pose d’emblée comme une manière de rassembler à gauche non pas AVEC mais CONTRE le PS, doit être si possible, plombée par les uns (cf. la dernière déclaration de Chassaigne, cet étrange « identitaire » qui rabat à demi mots sur la primaire socialiste), ou édulcorée au maximum par ceux qui, derrière Laurent ou Buffet, veulent surtout empêcher « du dedans » que la France insoumise ne devienne franchement insoumise en prônant, chemin faisant et expérience faite, la SORTIE de l’UE par la gauche, bref, le FREXIT progressiste et révolutionnaire.
Dans ce contexte – et le lecteur me permettra de terminer sur une note d’optimisme –, la parution de cette somme théorique que forme Lumières communes, traité de philosophie à la lumière du matérialisme dialectique de Georges Gastaud, apparaît comme l’envol de la chouette de Minerve à la tombée de la nuit. Le matérialisme dialectique est ici présenté dans toutes ses potentialités, loin de la vision affadie et réductivement sociologique de la pensée de Marx qui tend à prévaloir aujourd’hui. Cette œuvre gigantesque, qui se présente comme recollection critique d’un siècle de débat, bilan exhaustif des acquis du marxisme contemporain et défrichage audacieux de nouveaux horizons du savoir, forme un véritable terminus ad quem du rationalisme contemporain (provisoire naturellement), lequel n’oublie pas non plus la visée pédagogique.
Nous reviendrons dans plusieurs articles sur cette œuvre si bienvenue actuellement. Pour le moment, plus que jamais, dégonflons les baudruches et hâtons-nous, pour paraphraser Diderot, de rendre le léninisme populaire.
Aymeric Monville, 3 décembre 2016