L’historien israélien Shlomo Sand interpelle Emmanuel Macron sur son discours, tenu en présence de Benjamin Netanyahou, pour la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv. Un discours ouvertement néo conservateur, aligné sur ce dirigeant israélien, appuyé sur les pires partis d’extrême droite de ce pays. Un discours qui n’est pas sans rappeler les éructations de Valls avant lui (lire ici). Comme quoi en tous sujets, de la loi travail à l’activation du conflit israelo palestinine, Macron réussi à faire aussi mal voir pire que celui qui était son premier ministre il y a quelques mois. En réalité comme le démontre Jean Pierre Combe ci après, Macron méprise la France !
«En commençant à lire votre discours sur la commémoration de la rafle du Vel’d’hiv, j’ai éprouvé de la reconnaissance envers vous. En effet, au regard d’une longue tradition de dirigeants politiques, de droite, comme de gauche, qui, au passé et au présent, se sont défaussés quant à la participation et à la responsabilité de la France dans la déportation des personnes d’origine juive vers les camps de la mort, vous avez pris une position claire et dénuée d’ambiguïté : oui la France est responsable de la déportation, oui il y a bien eu un antisémitisme, en France, avant et après la seconde guerre mondiale. Oui, il faut continuer à combattre toutes les formes de racisme. J’ai vu ces positions comme étant en continuité avec votre courageuse déclaration faite en Algérie, selon laquelle le colonialisme constitue un crime contre l’humanité.
Pour être tout à fait franc, j’ai été plutôt agacé par le fait que vous ayez invité Benjamin Netanyahou, qui est incontestablement à ranger dans la catégorie des oppresseurs, et ne saurait donc s’afficher en représentant des victimes d’hier. Certes, je connais depuis longtemps l’impossibilité de séparer la mémoire de la politique. Peut-être déployez-vous une stratégie sophistiquée, encore non révélée, visant à contribuer à la réalisation d’un compromis équitable, au Proche-Orient ?
J’ai cessé de vous comprendre lorsqu’au cours de votre discours, vous avez déclaré que :
« L’antisionisme… est la forme réinventée de l’antisémitisme ». Cette déclaration avait-elle pour but de complaire à votre invité, ou bien est-ce purement et simplement une marque d’inculture politique ? L’ancien étudiant en philosophie, l’assistant de Paul Ricœur a-t-il si peu lu de livres d’histoire, au point d’ignorer que nombre de juifs, ou de descendants de filiation juive se sont toujours opposés au sionisme sans, pour autant, être antisémites ? Je fais ici référence à presque tous les anciens grands rabbins, mais aussi, aux prises de position d’une partie du judaïsme orthodoxe contemporain. J’ai également en mémoire des personnalités telles Marek Edelman, l’un des dirigeants rescapé de l’insurrection du ghetto de Varsovie, ou encore les communistes d’origine juive, résistants du groupe Manouchian, qui ont péri. Je pense aussi à mon ami et professeur : Pierre Vidal-Naquet, et à d’autres grands historiens ou sociologues comme Eric Hobsbawm et Maxime Rodinson dont les écrits et le souvenir me sont chers, ou encore à Edgar Morin. Enfin, je me demande si, sincèrement, vous attendez des Palestiniens qu’ils ne soient pas antisionistes !
Je suppose, toutefois, que vous n’appréciez pas particulièrement les gens de gauche, ni, peut-être, les Palestiniens ; aussi, sachant que vous avez travaillé à la banque Rothschild, je livre ici une citation de Nathan Rothschild, président de l’union des synagogues en Grande-Bretagne, et premier juif à avoir été nommé Lord au Royaume Uni, dont il devint également la gouverneur de la banque. Dans une lettre adressée, en 1903, à Théodore Herzl, le talentueux banquier écrit : « Je vous le dis en toute franchise : je tremble à l’idée de la fondation d’une colonie juive au plein sens du terme. Une telle colonie deviendrait un ghetto, avec tous les préjugés d’un ghetto. Un petit, tout petit, Etat juif, dévot et non libéral, qui rejettera le Chrétien et l’étranger. » Rothschild s’est, peut-être, trompé dans sa prophétie, mais une chose est sûre, cependant : il n’était pas antisémite !
Il y a eu, et il y a, bien sûr, des antisionistes qui sont aussi des antisémites, mais je suis également certain que l’on trouve des antisémites parmi les thuriféraires du sionisme. Je puis aussi vous assurer que nombre de sionistes sont des racistes dont la structure mentale ne diffère pas de celle de parfaits judéophobes : ils recherchent sans relâche un ADN juif (ce, jusqu’à l’université où j’enseigne).
Pour clarifier ce qu’est un point de vue antisioniste, il importe, cependant, de commencer par convenir de la définition, ou, à tout le moins, d’une série de caractéristiques du concept : « sionisme » ; ce à quoi, je vais m’employer le plus brièvement possible.
Tout d’abord, le sionisme n’est pas le judaïsme, contre lequel il constitue même une révolte radicale. Tout au long des siècles, les juifs pieux ont nourri une profonde ferveur envers leur terre sainte, plus particulièrement pour Jérusalem, mais ils s’en sont tenus au précepte talmudique qui leur intimait de ne pas y émigrer collectivement, avant la venue du Messie. En effet, la terre n’appartient pas aux juifs mais à Dieu. Dieu a donné et Dieu a repris, et lorsqu’il le voudra, il enverra le Messie pour restituer. Quand le sionisme est apparu, il a enlevé de son siège le « Tout Puissant », pour lui substituer le sujet humain actif.
Chacun de nous peut se prononcer sur le point de savoir si le projet de créer un Etat juif exclusif sur un morceau de territoire ultra-majoritairement peuplé d’Arabes, est une idée morale. En 1917, la Palestine comptait 700.000 musulmans et chrétiens arabes et environ 60.000 juifs dont la moitié étaient opposés au sionisme. Jusqu’alors, les masses du peuple yiddish, voulant fuir les pogroms de l’empire Russe, avaient préféré émigrer vers le continent américain, que deux millions atteignirent effectivement, échappant ainsi aux persécutions nazies (et à celles du régime de Vichy).
En 1948, il y avait en Palestine : 650 000 juifs et 1,3 million de musulmans et chrétiens arabes dont 700.000 devinrent des réfugiés : c’est sur ces bases démographiques qu’est né l’Etat d’Israël. Malgré cela, et dans le contexte de l’extermination des juifs d’Europe, nombre d’antisionistes sont parvenus à la conclusion que si l’on ne veut pas créer de nouvelles tragédies, il convient de considérer l’Etat d’Israël comme un fait accompli irréversible. Un enfant né d’un viol a bien le droit de vivre, mais que se passe-t-il si cet enfant marche sur les traces de son père ?
Et vint l’année 1967 : depuis lors Israël règne sur 5,5 millions de Palestiniens, privés de droits civiques, politiques et sociaux. Ils sont assujettis par Israël à un contrôle militaire : pour une partie d’entre eux, dans une sorte de « réserve d’Indiens » en Cisjordanie, tandis que d’autres sont enfermés dans un « réserve de barbelés » à Gaza (70% de ceux-ci sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés). Israël, qui ne cesse de proclamer son désir de paix, considère les territoires conquis en 1967 comme faisant intégralement partie de « la terre d’Israël », et s’y comporte selon son bon vouloir : jusqu’à présent, 600 000 colons israéliens juifs y ont été installés….et cela n’est pas terminé !
Est-cela le sionisme d’aujourd’hui ? Non ! Répondront mes amis de la gauche sioniste qui ne cesse de se rétrécir, et ils diront qu’il faut mettre fin à la dynamique de la colonisation sioniste, qu’un petit Etat palestinien étroit doit être constitué à côté de l’Etat d’Israël, que l’objectif du sionisme était de fonder un Etat où les juifs exerceront la souveraineté sur eux-mêmes, et non pas de conquérir dans sa totalité « l’antique patrie ». Et le plus dangereux dans tout cela, à leurs yeux : l’annexion des territoires occupé constitue une menace pour Israël en tant qu’Etat juif.
Voici précisément le moment de vous expliquer pourquoi je vous écris, et pourquoi, je me définis comme non-sioniste, ou antisioniste, sans pour autant devenir antijuif. Votre parti politique inscrit, dans son intitulé : « La République », c’est pourquoi je présume que vous êtes un fervent républicain. Et dussé-je vous étonner : c’est aussi mon cas. Donc, étant démocrate et républicain, je ne puis, comme le font sans exception tous les sionistes, de droite comme de gauche, soutenir un Etat juif. Le Ministère de l’Intérieur israélien recense 75% de ses citoyens comme juifs, 21% comme musulmans et chrétiens arabes et 4% comme « autres » (sic). Or, selon l’esprit de ses lois, Israël n’appartient pas à l’ensemble des Israéliens, mais aux juifs du monde entier qui n’ont pas l’intention de venir y vivre. Ainsi, par exemple, Israël appartient beaucoup plus à Bernard Henry-Lévy et à Alain Finkielkraut qu’à mes étudiants palestino-israéliens qui s’expriment en hébreu, parfois mieux que moi-même ! Israël espère aussi qu’un jour viendra où tous les gens du CRIF, et leurs « supporters » y émigreront ! Je connais même des français antisémites que cette perspective enchante ! En revanche, on a pu entendre deux ministres israéliens, proches de Benjamin Nétanyahou, émettre l’idée selon laquelle il faut encourager le « transfert » des Israéliens arabes, sans que personne n’ait émis la demande qu’ils démissionnent de leurs fonctions.
Voilà pourquoi, Monsieur le Président, je ne peux pas être sioniste. Je suis un citoyen désireux que l’Etat dans lequel il vit soit une République israélienne, et non pas un Etat communautaire juif. Descendant de juifs qui ont tant souffert de discriminations, je ne veux pas vivre dans un Etat, qui, par son autodéfinition, fait de moi un citoyen doté de privilèges. A votre avis, Monsieur le Président : cela fait-il de moi un antisémite ?
Shlomo Sand, historien israélien
(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)
Monsieur Macron méprise la nation française
A quelques mots près, Monsieur Macron, parlant en sa qualité de président de la République lors de la commémoration de la rafle du Vél d’hiv, a déclaré que c’est bien la France qui organisa la rafle, puis la déportation, et donc, pour presque tous, la mort des 13 152 personnes de confession juive, ajoutant pour confirmer sa déclaration qu’il n’y avait que des Français dans cette affaire.
Et aussitôt , les services de la propagande présidentielle ont imposé cette déclaration au plus grand nombre de nos foyers : il s’agit en réalité d’une tentative de faire de cette déclaration la vérité officielle de notre pays ! …
Seulement cette déclaration est fausse, et la tentative présidentielle ne fait que montrer au grand jour à quel point Monsieur Macron méprise le peuple de France, l’histoire de France, les travailleuses et les travailleurs de France, les résistants français à l’occupation nazie et les Juifs de France !
Monsieur Macron méprise en effet le peuple de France, lorsqu’il réduit la France à l’Etat pétainiste, instauré par Philippe Pétain au moyen d’un processus illégitime approuvé par un parlement croupion, subissant la pression d’une armée d’occupation nazie qui occupait la moitié du pays et d’une armée d’occupation fasciste qui en occupait le tiers du restant :lorsque la rafle a eu lieu, le général De Gaulle avait déjà appelé, le 18 juin 1 940, les Français pouvant combattre à le rejoindre en Angleterre, la classe ouvrière de France, dont François Mauriac nous dit qu’elle était seule restée dans sa masse fidèle à la France profanée, avait déjà répondu outre l’appel du général De Gaulle, aux appels de Charles Tillon, le 17 juin 1 940 et de Maurice Thorez et Jacques Duclos, le 10 juillet, collectant des armes abandonnées par les troupes défaites, maintenant la lutte revendicative par son parti communiste et par sa CGT devenus clandestins, et protégeant ses manifestations par de petits groupes armés, créant les Francs-tireurs et partisans français et de la main d’œuvre immigrée, secourant les persécutés, dont les juifs, n’en déplaise à Monsieur Macron et à tous ceux qui tentent de réécrire l’histoire … ainsi donc, Monsieur Macron méprise le peuple de France dont les travailleurs des villes et des champs sont la grande majorité et dont la classe ouvrière reste une composante essentielle !
Monsieur Macron, en réduisant la France au gouvernement pétainiste qui a commandé cette rafle et à la police à ses ordres, laquelle l’a réalisée, méprise les résistants français qui combattaient non seulement les armées d’occupation, mais aussi les institutions de l’Etat français, sa police et sa milice, qui servaient les occupants avec obséquiosité : non seulement il méprise la résistance, mais encore il tente de faire croire que le combat des Résistants n’a jamais eu lieu ! …
Monsieur Macron, en faisant des personnes de confession juive des victimes, et seulement des victimes de cette rafle, méprise encore les Juifs de France, alors qu’ils ont réagi face à l’occupation comme les autres citoyennes et citoyens de notre pays, et d’ailleurs, le plus grand nombre des victimes de la rafle étaient des citoyennes et des citoyens français ; il les méprise encore en faisant oublier qu’il y avait des Juifs dans le Parti communiste français, dans la CGT, dans les FTP-F, dans les FTP-MOI et dans les autres mouvements fédérés dans le Conseil national de la Résistance : il rajoute encore à ce mépris lorsqu’il fait de Monsieur Netanyahou l’invité d’honneur de cette commémoration, comme si le chef du gouvernement d’un Etat étranger confessionnel avait quelque titre à passer devant les présidents des associations de citoyens français dans la commémoration d’un crime contre l’humanité commis sur l’ordre de citoyens français traîtres à notre patrie dont les plus nombreuses victimes furent des citoyens français !… Il faut rappeler à Monsieur Macron que Monsieur Netanyahou n’est pas compétent pour parler au nom des juifs de France, ni non plus au nom des Juifs réfugiés en France !