
L’historien Bruno Drweski répond aux organisateurs et falsificateurs de l’histoire de la résistance polonaise, en mémoire de sa propre famille concernée au premier chef.
Je vous écris à double titre, en tant que membre d’une famille de résistants polonais en France et en tant qu’historien, maîtrise à l’Université Jagellonne de Cracovie et doctorat à l’Institut d’Études politiques de Paris. Je suis en effet choqué par le caractère caricatural à bien des égards pris par l’exposition que vous organisez.
Je voudrais d’abord souligner qu’un de mes oncles, Jerzy Paczkowski, était un des dirigeants de l’organisation de résistance polonaise POWN en France liée au gouvernement polonais en exil à Londres et qu’il est mort après son arrestation au camp de concentration de Neuengamme. Son frère, mon autre oncle, lui aussi dirigeant de la POWN, a survécu à la guerre ; ce qui m’a permis d’avoir avec lui de nombreuses discussions sur les sujets que traite votre exposition. Bien qu’anticommuniste, il a toujours reconnu le rôle important et courageux joué par les immigrés polonais en France liés au Parti communiste. Immigrés polonais qui avaient créé l’Organisation d’aide à la patrie (OPO). Il m’avait à cet égard conseillé de lire sur la résistance polonaise en France pendant la guerre l’ouvrage de l’historien Jan Zamojski Polacy w ruchu oporu we Francji – 1940-45 paru en Pologne populaire en 1975. Un ouvrage qu’il considérait comme objectif car traitant de tous les réseaux de résistance polonaise en France. Il reconnaissait par ailleurs que le programme politique de la POWN dont il était membre avait évolué pour atteindre les masses ouvrières tentées par le communisme vers des positions proches de celles des socialistes polonais de l’époque, qui prônaient une Pologne populaire pas très éloignée du programme des communistes. Pour ces raisons, je trouve inacceptable qu’une exposition consacrée aux résistants polonais en France efface le rôle historique majeur joué par la partie communiste de la résistance, sans laquelle même la résistance non communiste devient incompréhensible. Il suffit de lire la presse clandestine de la POWN et ses tracts pour se rendre compte de l’attrait exercé sur les immigrés polonais par les communistes.
En tant qu’historien, je ne peux pas non plus tolérer que cette exposition présente la thèse d’une « collaboration » germano-soviétique pendant la période 1939-1941 comme un fait indéniable alors qu’elle fait toujours l’objet de débats vifs dans les milieux de la communauté des chercheurs et que cette thèse fait l’impasse sur le contexte de l’époque, celui des renoncements successifs face aux IIIe Reich des gouvernements anglo-français et polonais avant le début de la guerre. Cette thèse gomme non seulement le rôle des résistants communistes dans toute l’Europe, de l’Armée rouge dans la destruction de l’Allemagne nazie mais aussi la place qu’ont occupé des groupes de résistants soviétiques clandestins en France même. Dans ce contexte d’amnésie dirigée, comment s’étonner que l’exposition n’aborde pas l’organisation par les communistes, dont les immigrés polonais en France, de la grande grève des mineurs de mai et juin 1941, soit avant le début de la guerre germano-soviétique. Grande grève qui met à mal la thèse d’une collaboration des communistes avec les nazis. Et comment s’étonner dès lors que les seules armées polonaises mentionnées soient celles qui ont combattu aux côtés des alliés anglo-américains alors qu’à la fin de la guerre, c’est l’armée polonaise combattant aux côtés de l’Armée rouge qui représentait de loin le contingent polonais le plus important engagé sur le front allemand. Beaucoup des apprentis historiens qui dénoncent aujourd’hui ce qu’ils appellent les méthodes stalinienne de falsification de l’histoire feraient bien de se regarder dans le miroir car pour ce qui est d’effacer des pans entiers de l’histoire, ce sont eux qui sont les champions.
Bruno Drweski
Professeur des Universités à l’INALCO
Nous republions ici un texte de l’association des amis d’Edward Gierek sur l’exposition Odyssée de la Liberté. Texte auquel nous apportons bien entendu notre soutien.Odyssée de la Liberté. Destinées des Polonais au cours de la Seconde Guerre mondiale
Mémorial de Souchez L’exposition de la honte
Le Centre d’histoire du Mémorial 14 – 18 Notre-Dame de Lorette basé à Souchez (Pas-de-Calais) accueille, en ce moment, une exposition intitulée Odyssée de la Liberté. Destinées des Polonais au cours de la Seconde Guerre mondiale. Partiale, parfois mensongère, cette œuvre de propagande antisoviétique et anticommuniste voulue par la frange la plus droitière de la communauté franco-polonaise du Nord-Pas-de-Calais, pêche par omissions volontaires. L’association Les Amis d’Edward Gierek réagit à cette scandaleuse initiative portée par l’Office de tourisme de Lens – Liévin – Hénin – Carvin et soutenue par la Communauté d’agglomération de Lens – Liévin (CALL).
Cette exposition a été conçue en Pologne par l’Institut de la mémoire nationale (IPN). Celle-ci fonctionne, depuis 1998, comme un véritable « ministère de la Mémoire », selon la terminologie empruntée à l’univers orwellien. Cette posture l’a conduit à imposer la débaptisation, dans le cadre d’une politique dite de « décommunisation », de rues et places célébrant, en Pologne, l’engagement d’authentiques militants antifascistes comme Jozef Kolorz (mineur à Courrières) ou de syndicalistes à l’instar du mineur Thomas Rabiega (de Montigny-en-Ostrevent)1. On ne pouvait rien attendre d’objectif et équilibré de cet organisme qui réécrit l’histoire de la Pologne dans un sens ultranationaliste, clérical et obsessionnellement anticommuniste. Il s’agit d’une machine de guerre contre les idées de progrès portées par des militants polonais depuis la fin du XIXe siècle…
La Polonia « blanche » à la manœuvre
Henri Dudzinski à la tête de l’Institut des civilisations et études polonaises (ICEP), un titre pompeux qui cacherait une « coquille vide », a joué le rôle d’entremetteur entre l’Office de tourisme de Lens – Liévin et l’IPN. Ce même Henri Dudzinski a servi un temps comme consul honoraire de la République polonaise dans le Nord-Pas-de-Calais alors que le parti Droit et Justice (PiS), classé à l’extrême droite sur l’échiquier politique en Pologne, était au pouvoir. Certes plutôt libéral et proeuropéen, Henri Dudzinski reste animé de nauséabonds sentiments anticommunistes du fait de son éducation… Il incarne la frange droitière de la communauté franco-polonaise. Tout comme l’historien Gabriel Garçon connu pour sa connivence avec la très réactionnaire Mission catholique polonaise en France. Tous les deux animeront des conférences dans le cadre de cette exposition.
Révisionnisme historique
D’emblée, l’exposition assume un amalgame entre l’Allemagne nazie et l’URSS accusées d’avoir fait main basse sur la Pologne en 1939. Mettre sur un pied d’égalité le criminel IIIe Reich parti à la conquête de l’Europe au prix de millions de victimes, et l’URSS qui nous a libérés du nazisme, relève du révisionnisme historique d’autant que celle-ci n’est intervenue en Pologne, en septembre 1939, qu’après avoir constaté que le fascisant gouvernement polonais (Régime des Colonels) avait pris la fuite en Roumanie, laissant ainsi sa population livrée à elle-même. En entrant en Ukraine occidentale et en Biélorussie occupées par la Pologne depuis le traité de Riga (1921), l’Armée rouge a d’emblée affranchi les masses paysannes du joug de la noblesse polonaise et sauvé des milliers de Juifs de l’extermination. Cette avancée en territoire polonais a de surcroît offert à l’URSS de garder la Wehrmacht à distance jusqu’en 1941 et l’opération Barbarossa (invasion de l’URSS par l’Allemagne) ; ce qui s’avèrera capital pour l’issue victorieuse du conflit.
La Résistance communiste à la trappe
Un panneau revient par ailleurs sur la résistance polonaise en France. Il est exclusivement consacré à la POWN, un mouvement de résistance fondé tardivement sur l’injonction du gouvernement polonais en exil à Londres. La POWN se livra principalement à des missions de renseignements dans le Nord-Pas-de-Calais alors situé en « Zone interdite » et directement rattaché au commandement militaire allemand de Bruxelles. La POWN délaissa la lutte armée contre l’occupant dans le but de conserver un maximum de forces en vue des combats nécessaires à la libération du territoire polonais. C’était son choix stratégique. Tout le contraire de la résistance communiste qui multiplia, en lien avec la Résistance française, les coups de force contre l’occupant et ses alliés vichystes. Mineur à Sallaumines, Henri Stelmasiak est tombé les armes à la main à Houdain en juillet 1942, lors d’un échange de tirs avec la gendarmerie. Mineur à Escaudain, Bronislaw Kania, brigadiste international en Espagne, fut décapité par les Allemands en 1943. Ce sont deux exemples parmi des dizaines d’autres. Les murs de la citadelle d’Arras témoignent encore aujourd’hui du sacrifice consenti par une quinzaine de partisans communistes polonais organisés au sein des FTP – MOI. Or, il n’est aucunement question de cette résistance communiste dans l’exposition, et encore moins des actions de grève (Mai – Juin 1941), de sabotage et de désorganisation de la production entreprises par les mineurs d’obédience communiste dans les mines de la région ; ce qui constitue un véritable scandale.
Des omissions volontaires
On évoque par ailleurs la participation de Polonais du Nord de la France à la libération du territoire (brigade Maczek, etc.), mais là encore on oublie de mentionner que des partisans polonais ou d’origine polonaise, communistes pour nombre d’entre eux, ont combattu au sein des 19e et 29e groupements d’infanterie polonaise de la 1ère Armée française « Rhin et Danube » de De Lattre de Tassigny. Du Nord-Pas-de-Calais, de la Saône-et-Loire, de la Loire ou encore des Cévennes, ils seront 2 500 à s’opposer victorieusement au IIIe Reich dans les Vosges notamment, avant de défiler en armes à Varsovie le 18 novembre 1945. Ce fut le cas d’Emile Wazny qui sera plus tard l’un des dirigeants de la Fédération du sous-sol de la CGT. Evidemment, l’IPN qui diabolise la Pologne populaire, omet, là encore, de rappeler ces faits glorieux… Tout comme, évoquant les combats (Monte Cassino, Bologne, etc.) du 2e Corps polonais dit « Armée Anders », elle fait fi de l’engagement de l’Armée polonaise (dite Berling) aux côtés de l’Armée rouge et de sa contribution à la libération de la Pologne et de… l’Allemagne. Ce sont tout de même des soldats polonais qui entrent les premiers à Berlin en mai 1945. L’exposition n’en pipe mot. Ces « deux poids deux mesures » sont tout autant scandaleux !
Quid de la CALL ?
Que la frange la plus rétrograde de la Polonia, à l’instar du propagandiste René Zalisz, aujourd’hui soutien inconditionnel des régimes va-t-en-guerre de Varsovie et Kiev, s’enthousiasme de cette initiative, quoi de plus logique ? La position des élus de la CALL nous interroge davantage. Comment une majorité qui se prétend de « gauche » en est-elle venue à cautionner cette œuvre de désinformation à grande échelle ?
Le 26 février 2025
Les Amis d’Edward Gierek