On veut bien croire que tous les créateurs de jeunes pousses (« start-upers » pour rester compréhensible de l’électeur moyen de Macron, qui parle mal anglais et encore plus mal sa langue maternelle) ne sont pas des assistés et qu’il arrive à certains de ces jeunes héros de faire des choses aussi utiles que de construire des maisons, dessiner une route, traire des vaches, soigner des malades ou instruire des enfants.
Mais étant donné qu’avec la nouvelle « Assemblée nationale » de DRH, de « communicants » et de cadres « corporates » donneurs de leçons à la stupidissime « France d’en bas », il n’y en a plus que pour lesdits « start-upers », nous dédions auxdits députés la petite analyse caustique d’un journal franchement indépendant comme il en existe encore dans différentes villes de notre pays : les journalistes du Postillon se sont en effet intéressé de très près et chiffres à l’appuis à la vraie france des assistés, les start up. Une enquête à mettre dans toutes les mains.
: https://www.lepostillon.org/Les-start-up-la-vraie-France-des-assistes.html -... et le bonheur viendra par les start-up!
A voir également, la vraie France des Assistés, une vidéo de Fakir
Dans nos sociétés modernes-innovantes-à-la-pointe-du-progrès, il n’y a plus d’argent pour les hôpitaux, pour les trains régionaux, pour l’hébergement d’urgence, pour que les aides à domicile aient des conditions de travail décentes, etc. Par contre, il y en a toujours pour les start-up. C’est ce qu’ils appellent le fameux « modèle grenoblois ». Un modèle qui encense la R&D (recherche et développement) et l’esprit entrepreneurial, tout en reposant sur un pillage de l’argent public, une philosophie inepte et des procédés immoraux. Aujourd’hui, Le Postillon vous raconte l’histoire d’Ebikelabs, une jeune start-up sur laquelle pèsent des soupçons de trafic d’influence avec des élus de la Métro (voir https://www.lepostillon.org/Le-trafic-d-influence-co-construit.html). Elle promeut le « vélo électrique connecté », et a été fondée par un certain Maël Bosson, qui désire « sauver la démocratie par les start-up ». Bienvenue dans ce petit monde innovant où l’argent public coule à flots.
Maël Bosson a le look d’un trentenaire écolo-sympa. Il a fait une prépa d’ingénieur à l’INP (Institut national polytechnique – il va y avoir beaucoup de sigles, faut vous y faire, désolé), est passé par l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique), a fait un petit tour au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) avant de revenir à l’INP dans le Gipsa-lab (Grenoble images parole signal automatique) et de faire un postdoctorat dans le Montana, United States. Un parcours typique d’ingénieur grenoblois, du genre qu’on voudrait le caricaturer, on y arriverait pas.
Mais Bosson a un petit plus. Il en veut. Pendant ses études, il tombe amoureux du vélo électrique, commence à en fabriquer sur mesure et monte des sites internet electricbikerange.info, www.ebikemaps.com et wwww.monveloelectrique.fr, pour fédérer une communauté d’utilisateurs de ce type de transport. En bon étudiant moderne, il prend le statut d’autoentrepreneur pour pouvoir rentabiliser sa nouvelle passion. Au Gipsa-lab, il a étudié un « contrôleur », une carte électronique made in ST Micro, qui permet d’optimiser la batterie d’un vélo électrique (voir encadré).
Bosson décide de transférer son savoir de labo dans une entreprise. Avant de se lancer, il cherche à s’entourer des bonnes personnes et reprend contact avec un vieux camarade de promo, Raphaël Marguet, pour lui proposer de cofonder la boîte. Au site frenchflairconsulting.com, Bosson explique son choix de coéquipier : « Je travaillais avec la Métro sur des problématiques de développement du vélo électrique et lui avait été élu au conseil municipal de la Ville de Grenoble. Nous avons naturellement repris contact. » C’est toujours pratique d’avoir un élu dans son équipe, quand on veut bosser avec les collectivités.
D’autres versions existent. L’une d’entre elles est so grenobloise. Bosson, adepte de ski de rando, a l’habitude de monter son matos en vélo. Un jour, il croise Raphaël, une connaissance de la prépa. Ils discutent quelques minutes et Raphaël est vite séduit par le projet. Notons que les deux versions ne sont d’ailleurs pas incompatibles.
En avril 2015, Ebikelabs naît, avec Bosson comme Chief executive officer (PDG) et Marguet comme Chief community manager (en gros il publie des trucs sur Facebook et Twitter).
Deux ans plus tard, la boîte est installée dans un open space d’Innovallée, la « technopole numérique » de Meylan-Montbonnot, ghetto des businessmen grenoblois. Elle vend des contrôleurs, de petits objets pour vélos à assistance électrique (ou VAE). Elle développe également une application, qui permet de calculer un trajet, et vous indique si la batterie dudit VAE tiendra le coup, en fonction de la pente et de votre poids. Enfin, elle commercialise depuis peu des totems, de simples tablettes branchées sur leur appli, et installées dans des magasins de vélos, permettant au client de choisir son modèle de vélo électrique.
Ces machins commencent laborieusement à se vendre, mais pour l’instant la boîte n’a pas beaucoup de rentrées d’argent. Pourtant dix personnes y bossent à temps plein, en ingénierie, communication ou marketing. Comment Bosson et Marguet ont-ils fait ? Comme toutes les start-up pardi ! Ils ont joué à la grande chasse au trésor d’argent public ouverte seulement aux entrepreneurs innovants. « J’ai un ami qui a lancé sa start-up et qui a vécu pendant 10 ans grâce aux aides européennes et aux subventions », nous explique Dominique Houzet, le chercheur qui a embauché Bosson en postdoctorat au Gipsa-lab.
Les véritables assistés en France, ce sont les start-up.
C’est dingue le nombre d’aides possibles qu’il y a pour ces entreprises dans le vent.
En un an, Ebikelabs est parvenu à réunir un million d’euros (Les Échos, 9/06/2016). Avant même de créer sa start-up, Maël Bosson a bénéficié d’une aide pour favoriser le « transfert de technologie » entre le Gipsa et Ebikelabs. Pour ce faire, il a eu un fonds d’EasyTech, un « programme » du pôle de compétitivité Minalogic visant à aider des « projets innovants impliquant de l’électronique ou du logiciel embarqué ». Damien Cohen, chargé de mission pour Easy Tech, explique que « le montant pour ce type d’expertise oscille entre 12 000 et 15 000 euros, en cofinancement ». C’est-à-dire qu’on aide des gens pour qu’ils transforment le savoir public en futur profit privé. Bosson le reconnaît lui-même dans un texte intitulé « Est-ce un avantage d’avoir un doctorat pour fonder une start-up ? » (www.linkedin.com, 23/02/2017) : « La valorisation des forts investissements dans la recherche publique semble aujourd’hui essentiellement orientée vers le transfert technologique avec le soutien de nombreuses structures et d’importants financements ». Penchons-nous un peu sur ces « soutiens ».
La petite start-up a ensuite bénéficié de l’aide d’une multitude de structures publiques. Elle a été accompagnée par Gate 1, un « centre de ressources pour les jeunes entreprises innovantes souhaitant se développer », financé par l’INP, l’UGA (université), le CEA, etc. Serge Compagnon, de Gate 1, nous explique : « Gate 1 vient en renfort des fondateurs, qui ont souvent des profils techno. Nous sélectionnons des intervenants qui vont ensuite mener des missions de relations presse, ou faire des petits films pour communiquer. » Est-ce qu’ils les aident à graisser la patte aux élus ?
Ebikelabs met également en avant Innovizi, un « dispositif de financement des jeunes entreprises innovantes en région Auvergne Rhône-Alpes, porté par le Réseau entreprendre Rhône-Alpes et Initiative Auvergne Rhône-Alpes ».
Pour avoir du cash, elle a également eu un « prêt d’amorçage » et une « avance remboursable » de la part de la Banque publique d’investissement (BPI). La BPI propose aux start-ups « un financement sous forme de prêt bonifié sans garantie ni caution. Le prêt oscille entre 50 000 et 100 000 euros apportés par Bpifrance, et peut être porté à 300 000 euros en cas d’engagement en garantie de la Région. » Bosson a obtenu 250 000 euros d’emprunt de la part de la BPI, vu que la Région a soutenu la start-up. En étudiant l’histoire de Raise Partner, la boîte cofondée par le maire de Grenoble Piolle (voir Le Postillon n° 27), nous avions découvert que les aides remboursables pour les start-up ne sont souvent jamais remboursées, car les entreprises se débrouillent pour ne jamais déclarer de bénéfice.
En plus de la Région, le Département s’engage également. Dans le cadre d’une « aide au développement expérimental », le département de l’Isère donne 20 000 euros à Ebikelabs en novembre 2015, sans aucune contrepartie. Il s’agit d’un « dispositif pour consolider le potentiel d’innovation des PME et TPE iséroises ».
En écrivant ça, je repense à ce petit matin de décembre, quand j’étais allé rencontrer des aides à domicile en grève, devant le siège de l’ADPA (Accompagner à domicile pour préserver l’autonomie). Elles manifestaient dans le froid parce que la direction voulait rogner leurs petits salaires (baisse des indemnités kilométriques et des astreintes, etc.). La direction de l’association invoquait, elle, un manque de soutien du Conseil départemental qui renflouait ses caisses les années précédentes. Et se retrouvait donc à enlever quelques centimes par-ci, par-là à leurs employées déjà sous-payées. Quand on voit comment le Département peut être généreux par ailleurs pour les start-ups (20 000 euros pour Ebikelabs et treize autres start-ups naissantes en 2015), on se dit que les pauvres et employés sous-payés n’ont plus qu’à bosser leur « potentiel d’innovation ».
Car il y a encore bien d’autres avantages à devenir businessman novateur. Tenez, par exemple : prenez le dispositif « Jeune entreprise innovante ». Ce machin permet une exonération totale de l’impôt sur le revenu et des sociétés pendant le 1er exercice de l’entreprise. Chez Ebikelabs, il s’est étendu d’avril 2015 au 31 décembre 2016. Une longue première année qui permet une belle défiscalisation, qui se poursuit durant la seconde année à 50 %. Cet allègement est également cumulable avec le crédit d’impôt recherche (CIR), que Bosson n’a pas encore demandé. D’après un document qui a fuité, l’entreprise estime à 60 000 euros ses économies potentielles grâce au CIR, qui permet de couvrir 30 % de ses recherches en innovation. Quand on vous dit que les start-up sont des assistées.
Car l’Europe crache également au bassinet, et pas qu’un peu. Selon nos informations, Ebikelabs a bénéficié de 200 000 euros, un joli pactole destiné à faire grandir des « pépites » technologiques européennes, provient plus précisément de l’entreprise Inno Energy – une société européenne, disposant d’actionnaires en or massif : SUEZ, Areva, Schneider, INP, CEA, etc. Ce qui est pratique pour les start-up grenobloises, c’est que ce distributeur de cash est installé à Grenoble, au beau milieu de la presqu’île scientifique.
Mais cette société n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des dispositifs européens d’aide aux start-up. À Grenoble, on peut aussi tomber sur Horizon 2020, où les subventions passent de 5 à 9 zéros. « L’Europe veut maintenir sa compétitivité au niveau mondial, face aux USA ou à l’Asie. Ainsi, H2020 est le 8e programme d’aide aux start-up développé par l’Europe. Pas moins de 8 milliards d’euros sont consacrés pendant 5 ans, jusqu’en 2020 à la R&D », nous explique Pierre Cléau, cofondateur d’Auvalie Innovation, installée comme Ebikelabs dans la zone d’Innovallée à Meylan.
Auvalie Innovation représente tout un pan du financement de la R&D. Il se définit pompeusement comme le Centre d’expertise en stratégie de financement de l’innovation. « On a des experts en montages de demandes de subventions, qui viennent en aide aux entreprises. Elles viennent nous voir parce qu’elles ne savent pas quelles aides sont disponibles. » continue Pierre Cléau.
Le financement d’Auvalie est comique. La BPI, qui, on l’a vu, finance déjà les entreprises innovantes, propose une autre béquille. Son nom : Aide au partenariat technologique (APT). Cette subvention, qui avoisine en général les 30 000 euros, est à destination des entreprises qui veulent du conseil pour obtenir des subventions. Vous voyez le truc venir ? « On va faire naître l’idée chez les entreprises d’aller chercher des financements de l’APT afin de faciliter nos règlements », explique Pierre Cléau. Auvalie va ensuite se rémunérer de deux manières différentes. Par un règlement classique en honoraires, ou bien par une rémunération au succès. « Si l’entreprise obtient son financement, elle nous paie sur l’enveloppe obtenue. Pour des clients qui demandent au-dessus d’un million à l’Europe, on perçoit entre 5 et 6 %. »
Et quand y’en a plus, y’en a encore : « par une sorte de marketing territorial, lorsque l’enveloppe APT est épuisée en fin d’année, la région peut taper dans les bourses French Tech », poursuit M. Cléau. L’argent public disponible pour les start-up est un puits sans fond.
On ne sait pas si Ebikelabs a bénéficié ou bénéficiera de financement d’Auvalie ou de l’APT. On n’a pas accès à la totalité de ses comptes, et plein de bons plans et de magouilles nous ont certainement échappé. Mais peu importe. À travers l’histoire de cette start-up, on veut surtout rendre compte du « paradis fiscal pour la Recherche & développement » qu’est devenue la France en général, et la région grenobloise en particulier.
Cette débauche d’argent public se fait au détriment d’autres secteurs : on préfère abreuver de liquidités des entrepreneurs-requins plutôt que de permettre aux hôpitaux de fonctionner correctement. C’est un sujet de fond qui devrait être débattu sur la place publique : préfère-t-on donner de l’argent au high-tech ou au service public ? Bizarrement, on n’en entend jamais parler dans cette belle épidémie de connerie qu’est une campagne présidentielle.
La démocratie sera-t-elle sauvée par les start-up ?
Ebikelabs n’a pas seulement touché de l’argent public : la start-up a également fait appel au « love money » comme ils disent. Lors de sa première levée de fonds, elle a obtenu 192 000 euros de la part d’une trentaine d’amis ou d’anciens clients de Bosson investissant dans la boîte. En 2017, elle aimerait réussir à « lever » 500 000 euros pour doubler la taille de l’équipe (10 collaborateurs actuellement), en « faisant appel à l’investissement participatif (crowdfunding equity) ». Mais cette recherche d’investisseurs n’est pas seulement une basse question financière pour le boss Maël Bosson : c’est aussi une manière de sauver la démocratie ! Dans un texte hallucinant intitulé « la renaissance de la démocratie au XXIe siècle passera-t-elle par les start-up ? » (www.linkedin.com, 17/11/2016), le jeune entrepreneur s’enflamme : « Il existe également un moyen de migrer dès à présent vers une démocratie plus horizontale indépendamment d’un mode de gouvernance hiérarchique. C’est-à-dire un vote en direct des citoyens pour différents projets amenés par les citoyens eux-mêmes. En effet, les start-up façonnent notre société présente et future. Financer une start-up en direct est donc un acte particulièrement impactant. Alors, pourquoi laisser cette responsabilité aux acteurs financiers ou politiques alors que nous pouvons tous placer 5 à 10 % de notre capital dans 5 à 10 placements à risque ? » Si toi aussi tu veux être citoyen, parraine ta start-up ! Comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt ? Dans ce grand moment de théorie politique, Bosson plaide également pour une googlisation de la démocratie : « Une première solution pourrait venir d’une expérimentation d’un changement des modalités de vote. Le principe du système actuel de vote direct et unique pour un candidat date de l’antiquité et n’a pas été depuis amélioré. Or, les algorithmes, la modélisation, l’algèbre linéaire nous ont permis de faire des progrès significatifs dans la résolution des problèmes d’élection. Pourquoi ne pas adopter la stratégie qui a permis à Google de bien classer les pages du web à ses débuts pour évaluer la pertinence de candidats à l’élection présidentielle ? » Et peut-être même que les algorithmes pourront choisir les élus à la place des citoyens ?