Ce 4 août est une date anniversaire symbolique, celle de l’abolition des privilèges marquant le début de la Révolution Française mettant à bas l’Ancien Régime de monarchie absolue. Les JRCF reviennent sur cet événement historique, pour en rappeler l’importance et les limites, et pourquoi la lutte révolutionnaire doit continuer. Et ce alors que les privilèges, ceux que s’arroge la classe capitaliste en tout et sur tout, ne sont pas abolis et continuent d’écraser le peuple, la classe des travailleurs.
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- https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/1789-1989-2019-pour-sauver-la-revolution-combattons-la-reaction/
La nuit du 4 août 1789 et la fin de l’Ancien Régime
La nuit du 4 août 1789, l’Assemblée constituante vote l’abolition des privilèges de l’Ancien Régime issus de la féodalité. Du latin privata lex, littéralement loi privée, les privilèges symbolisent jusqu’à la quintessence le morcellement, l’irrationalité relative au mode de production féodal. La loi diffère d’un village à l’autre, d’une corporation à l’autre, d’un ordre à l’autre. Outre ce foisonnement législatif, auquel s’ajoute l’embryon de droit public national constitué par les ordonnances, édits et premières tentatives de codification sous l’Ancien Régime, ces privilèges au sens étymologique du mot consacrent bel et bien une société profondément inégalitaire, où l’ensemble des classes laborieuses, afin de nourrir un Clergé et une Noblesse par définition oisifs, doivent s’acquitter d’un nombre conséquent de corvées, taxes et autres impôts qui grèvent l’activité économique et occasionnent une surcharge de travail de plus en plus contestée jusque dans les campagnes. L’Ancien Régime avait entamé une ébauche de décloisonnement régional qui permettra à la révolte populaire d’acquérir une portée jusqu’alors sans précédent. Les cahiers de doléances nous l’enseignent : à la veille de la Révolution de 1789, un profond mécontentement règne dans les campagnes et dans les villes. C’est d’ailleurs cette atmosphère explosive, autant que la situation socio-économique préoccupante, qui force Louis XVI à convoquer les États Généraux, qui n’avaient pas été réunis depuis longtemps. Avec la prise de la Bastille, des craintes de complot aristocratique se propagent dans la population paysanne. C’est le début de la Grande Peur, à laquelle l’abolition des privilèges qui a lieu le 4 août fait office de réponse, les appels au calme de l’Assemblée ayant été ignorés jusque là. Les paysans prennent d’assaut les châteaux et brûlent les titres féodaux consignés dans des documents appelés les terriers. Ces jacqueries éclatent dans diverses régions de France, sans qu’elles soient coordonnées entre elles, mais les revendications des insurgés sont communes : l’abolition de la féodalité et de tous les privilèges qu’elle suppose. À la révolution formelle et juridique de la bourgeoisie éclairée (celle des commerçants et des juristes, marqués par la philosophie des Lumières) s’ajoutent donc, parallèlement, les revendications sociales et politiques d’une paysannerie arriérée qui conçoit objectivement que l’ordre féodal ne peut plus durer. Les contradictions internes de la féodalité parvenues à leur terme logique occasionnent ce rapprochement, cette union initiale de deux composantes extrêmement distinctes du Tiers État, contre l’exploitation injustifiée dont elles font l’objet, bien que dès le départ une ardeur modératrice sourde à l’Assemblée. Cette communauté de vue et d’objectif, qui ne perdurera pas, engendre une peur symétrique du côté de la Noblesse: les insurgés ne rencontrent que très peu de résistance, la plupart des aristocrates, craignant pour leur sécurité, décident d’émigrer. L’ébauche d’une telle alliance avait déjà été aperçue auparavant. On pensera notamment à la révolte des Quarts Bouillons en Normandie, ou encore plus radicalement aux révoltes paysannes et bourgeoises qui soulevèrent l’Alsace sous la direction du prédicateur Thomas Münzer. Ces révoltes avaient éclaté en période de crise du modèle féodal, mais avaient été matées dans un bain de sang, du fait de l’immaturité de ces classes sociales et du développement encore trop parcellaire du capitalisme destiné à abolir l’ordre féodal. Avec la Révolution française, le développement des forces productives était mûr pour qu’un changement qualitatif, un bouleversement politique significatif, puisse avoir lieu. L’Assemblée constituante, lors de la fameuse nuit du 4 août 1789, décide donc de se pencher sur les troubles qui irradient des campagnes et des villes depuis le 20 juillet. Elle vote l’abolition des privilèges féodaux : le servage est interdit, la plupart des taxes abusives qui grévaient le Tiers État- au premier chef desquelles on compte la dîme et le cens- sont supprimées, on met un terme à la vénalité des offices, les droits de chasse des seigneurs sont abolis et la propriété foncière devra être rachetée. L’application de la loi sera la même sur l’intégralité du territoire national: l’intégralité des privilèges des villes et régions est supprimée. C’est donc cette nuit du 4 août qui marque la véritable fin de la féodalité. C’est ici que s’arrêtent les historiens bourgeois naïfs. Cependant, il convient de ne pas oublier que les droits abolis en cette nuit du 4 août sont déclarés rachetables en dehors des privilèges les plus impopulaires que constituaient le cens et la dîme. Le noble exproprié devra, pour conserver ses titres, non plus les fonder sur un droit du sang mais sur un titre de propriété. Matériellement, dans le cas où le seigneur local n’a pas émigré, on ne constatera donc pas de modification substantielle des conditions d’existence de la paysannerie, le château continuant à appartenir à la famille nobiliaire qui y résidait avant la Révolution. Ce compromis du rachat des droits constitue en réalité un véritable moment dialectique: le titre de propriété ne peut plus être fondé sur la logique trifonctionnelle, sur les trois ordres féodaux qui prévalaient depuis un millénaire, mais sur le droit rationnel bourgeois. La propriété privée demeure, mais cette dernière est fondée légalement, et non plus héréditairement. C’est un changement d’une importance incontestable. Cependant, cette propriété demeure privée, et la classe laborieuse, si elle n’est plus figée dans la « prison des 3 ordres » (Dumézil), demeure matériellement exploitée. Toutes les contradictions de l’ordre bourgeois tout juste institué apparaissent donc déjà dans cette abolition partielle des privilèges de la nuit du 4 août. On passe d’une propriété aristocratique à une propriété bourgeoise, du sang au prétendu mérite, mais cette propriété demeure fondée sur l’exploitation des classes laborieuses maintenues dans une minorité politique intégrale. Il est difficile d’ignorer que cet abolition du féodalisme est obtenue avant tout par crainte du partage des terres que les paysans échaudés pourraient vouloir entreprendre. Si l’abolition de la féodalité profite à l’intégralité du Tiers État, la propriété bourgeoise apparaît dès le départ comme antagonique aux intérêts de la paysannerie. Sous la Convention jacobine, par le décret du 17 juillet 1793, l’intégralité des droits féodaux fondés sur le foncier, qui restent le point central des revendications paysannes, sont déclarés abolis sans indemnité. Il ne sera plus question de droits fonciers héréditaires. La page féodale est définitivement tournée, les tentatives de restauration monarchique ne sauront jamais revenir au mode de production antérieur. C’est le début de l’ère, toujours en cours, de la propriété privée fondée sur le droit, propriété qui acquiert dans la Déclaration des Droits de l’Homme le statut de droit non seulement fondamental mais sacré. Tellement sacré, en effet, qu’il est le seul droit individuel à bénéficier du privilège d’être cité dans deux articles différents. Tellement sacré que ce sera longtemps la qualité de propriétaire, et l’importance quantitative du patrimoine du propriétaire en question, qui conditionnera l’appartenance à la catégorie des citoyens actifs, c’est-à-dire la capacité à être un sujet politique à part entière disposant du droit de vote et d’éligibilité. L’autre point fondamental de la nuit du 4 août, c’est l’abolition de la vénalité des offices et l’affirmation, maintes fois répétée jusque dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, que les fonctions de tout individu ne peuvent être fondées que sur son seul « mérite », et non sur un héritage quelconque. Là encore, on note un indéniable progrès vis-à-vis de l’ordre féodal. C’est la naissance de l’individu, libéré de l’enchevêtrement de liens qui lui dictaient sa conduite et conditionnaient sa position. Il suffit, pour se convaincre du caractère relativement progressiste de cette émergence de l’individu abstrait, de voir la rancœur que lui réservent les penseurs réactionnaires, au premier lieu Burke. Cet affranchissement de toutes sortes d’interdépendances complexes qui forment le tissu serré de la féodalité conditionnait l’instauration de l’ordre bourgeois, nécessaire au développement conséquent du mode de production capitaliste, en plus de constituer un indéniable progrès sur le plan de l’épanouissement individuel, condition du développement de tous (Marx). Pourtant, comment ne pas également noter avec Karl Marx que l’universel fait ici office d’un voile pudique chargé de masquer de bien réels rapports d’exploitation ? Comment ne pas voir que le mérite repose en définitive sur des privilèges qui ne disent pas leur nom, puisque non-reconnus officiellement dans nos prétendues démocraties, les privilèges de classe ? Depuis l’abolition de l’ordre féodal dont nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire, c’est le règne de la bourgeoisie et de ses privilèges, et voilà justement quelques privilèges qu’on pourrait abolir : – Les dividendes faramineux des actionnaires des grosses sociétés, qui ont pour origine une exploitation accrue des salariés mal payés afin d’engraisser des rentiers parasites. Par la même occasion, mettre fin aux salaires gigantesques des grands patrons de sociétés. – La propriété privée des moyens de production qui permet à des capitalistes de s’enrichir en faisant du profit sur le travail de ses salariés, tout en faisant perdurer une production anarchique ne prenant pas en compte les besoins de la population. – Les privatisations, auxquelles nous nous opposons, demandant le retour des secteurs d’intérêt national sous le giron de l’État, comme le rail et l’énergie. – L’hégémonie de l’anglais au détriment de la langue française, notamment dans les travaux d’encadrement, créant un schisme avec tous ceux qui ne parlent que leur langue maternelle. – Les larges pouvoirs donnés aux régions avec leur lot de « baronnies » locales, retour à une organisation féodale du territoire pourtant caduque, à laquelle nous préférons un retour à des entités plus proches de la population comme les départements et les communes. Disons-le clairement, cela passe aussi par une sortie nécessaire de l’Union européenne. L’Europe de Brunswick s’était déjà opposée à la Révolution jacobine progressiste. C’est vers l’Allemagne et l’Angleterre qu’avaient fui les détenteurs des privilèges féodaux lors de la Grande Peur. Aujourd’hui, l’Union Européenne, non contente d’imposer un redécoupage réactionnaire du territoire national (car qu’est-ce qu’un Euroländer sinon un abâtardissement de la démocratie locale dans une optique de gouvernance?), entend détruire tous les conquis sociaux obtenus de haute lutte par la classe ouvrière française. L’Union Européenne, en tant qu’instrument des capitalistes des États qui la composent, doit être envisagée comme le support des privilèges bourgeois, comme l’expression juridique d’une domination de classe, celle de la grande bourgeoisie capitaliste. Comme telle, elle doit être abolie si l’on entend sérieusement se départir d’un mode de production pourrissant. Shannon et Quentin, militants des JRCF.
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