reproduit avec l’autorisation de l’auteur, André Bellon, et du site www.pouruneconstituante.fr
L’article 2 de la Constitution française proclamant que la langue de la République est le français a été introduit en 1992 par un amendement lors de la ratification du traité de Maastricht en 1992. Cet amendement émanait de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale dont j’étais alors le Président. Lors du débat dans l’hémicycle, la question des langues régionales fut posée et je répondis que cet amendement n’empêchait aucunement leur existence et leur valorisation par la loi, mais que la véritable question du moment était la préservation de notre langue commune face aux attaques de la langue de la mondialisation, à savoir l’anglais.
La question n’a rien perdu de son importance. Bien au contraire, n’a-t-on pas vu, depuis, une ministre de l’économie, Christine Lagarde, écrire, parait-il, à ses collaborateurs en anglais ? Et lorsque, attaquée en anglais par un député qui se moquait ainsi d’elle, ne l’a-t-on pas vu refuser l’insertion de l’intervention au Journal Officiel au prétexte de la langue employée ? La loi Fioraso autorise désormais des cours exclusivement en anglais dans les universités. Les exemples abondent et se multiplient.
Mais si le Parlement s’exprime officiellement encore en français, il vote des textes qui font à notre langue, jour après jour, le sort de la peau de chagrin.
Ainsi, sous la pression des intérêts économiques mondialisés, le protocole de Londres a-t-il scellé le sort du français dans la fabrication des brevets. Bien pire, la question de la langue devient une source de conflits sociaux. Quand des salariés français sont forcés de parler anglais pour accéder à un emploi purement local, quand les modes d’emploi en anglais conduisent à des erreurs dramatiques comme on l’a vu, dans le début des années 2000, à l’hôpital d’Epinal où les doses de rayons mal interprétées ont gravement nui à la santé des patients, quand tous les produits affichés dans les rayons affichent leurs formules en langue étrangère, ce n’est plus une question de repli linguistique qui est en cause, mais une capacité à vivre en société. Ainsi, l’UNICE (le syndicat patronal européen) a fait depuis des années officiellement fait part à Bruxelles de sa décision de promouvoir l’anglais comme l’unique « langue des affaires et de l’entreprise » ; ainsi certains états-majors d’entreprises communiquent-ils en anglais à l’interne… et s’efforcent même d’imposer le « tout anglais » à l’ensemble de leur personnel[i] !
Lorsque François Hollande remet sur le tapis la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, il appuie, de façon insidieuse, cette destruction de notre langue commune au prétexte de sauver les langues régionales. Cette destruction n’est-elle pas l’objet de ce texte ? N’est-elle pas cohérente avec la vision, portée par certains, d’une Europe des régions ? Au moment où la société se décompose, notamment sous le feu des inégalités sociales, ce texte fragilise un vecteur majeur de cohésion : la langue française. En France, il a été rejeté par le Conseil Constitutionnel le 24 juin 1999, s’ajoutant à l’avis négatif du Conseil d’Etat en 1996. La question n’a pas été réglée pour autant et les pressions se sont poursuivies. Ainsi, M. Alvaro Gil-Robles, commissaire du Conseil de l’Europe aux droits de l’homme, avait appelé, dans un rapport rendu public le 15 février 2006, au « respect effectif des droits de l’homme en France » (rien que ça !) et, pour ce faire, lui avait demandé de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Cette position est peut-être plus adaptée à certains pays de l’Europe de l’Est ou des Balkans historiquement marqués par les conflits communautaires violents qu’à la République française dont l’Histoire est tout autre.
Il n’est pas question de reprendre à notre compte l’équation « langue minoritaire égale langue de division ». Jean Jaurès parlait patois, comme il disait alors, et en était fier. Le midi de la France fourmille de républicains farouches, néanmoins attachés à leur « petite patrie » et à sa langue. Le même phénomène se retrouve partout, en Provence comme en Bretagne. Mais la question change de nature lorsque la promotion des langues régionales est utilisée comme instrument politique contre la langue nationale et contre la République. Car il s’agit de remettre en cause l’article 2 de la Constitution française qui préserve la langue française contre le totalitarisme de la mondialisation et de son vecteur en Europe qu’est aujourd’hui l’Union européenne.
En fait, aujourd’hui, la langue française est attaquée autant que les langues régionales et minoritaires par ces nouveaux totalitarismes qui ne cherchent pas plus à préserver les citoyennetés parcellaires et leurs langues régionales que les citoyennetés nationales : ils cherchent à en faire des éléments de folklore sans portée politique. La charte européenne n’a pas pour objet la sauvegarde des langues régionales (basque, corse, breton, occitan,…..) ou minoritaires (ouolof, berbère, arabe,……..). Celles-ci, éléments du patrimoine collectif, peuvent parfaitement être sauvegardées par la loi. Mais la charte a un autre but. Elle veut, comme le dit son préambule, modifier la vie publique en y introduisant le rôle officiel de ces langues. On feint d’oublier que la langue française est d’abord celle de l’administration qui nous gouverne. Toucher à la langue, c’est toucher au droit et à l’égalité des citoyens. On n’ose imaginer que des décisions aussi graves puissent relever d’un positionnement tactique d’un Président affaibli.
Avec la charte, la vie publique serait donc communautarisée. On comprend mieux alors l’obsession de François Hollande à régionaliser tellement la vie publique (réforme des collectivités locales elle aussi imposée au pas cadencé), en contradiction avec toute la tradition républicaine. Et, face aux communautés, le seul élément de cohésion deviendrait la langue et la pensée de la mondialisation. Mais si une telle réforme peut évidemment être proposée, peut-elle être imposée par un gouvernement dont la légitimité est pour le moins chancelante ? Dans ces circonstances, un référendum est en tous cas absolument indispensable.
par André Bellon, ancien président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale
D’accord sur le fond, mais l’argumentation est un peu courte et par trop franco-française: quid des pays qui n’ont pas une mais plusieurs langues (et non dialectes) officielles? Par ailleurs, le Danemark et la Norvège, qui n’ont qu’une langue officielle, sont de fait, dès que l’on sort de la sphère privée, de langue anglaise. On n’en est pas très loin aux Pays-Bas, où tous les écoliers apprennent l’anglais dès la quatrième primaire, même quand ils habitent… Maastricht, où, hors les camelots du vendredi, de moins en moins de serveurs comprennent le français! Enfin, c’est par referendum, donc démocratiquement, que les germanophones de l’est de la Belgique ont fait le choix de redevenir Belges et non Allemands, peu après la fin de la première guerre mondiale.
Je pense que, dans l’esprit de ceux qui tiennent à la promotion des dialectes et langues nationales, il y a la peur de repousser et décevoir ceux qui en usent et de les rejeter dans une opposition au pouvoir central. Pouvoir centralisé propre à la France plus qu’à l’Allemagne.
Pourtant, le grand-duché de Luxembourg, a, il n’y a pas si longtemps, élevé le luxembourgeois au rang de langue nationale.
Quant à l’exigence d’user du français comme langue de l’administration, elle doit également s’appliquer aux immigrés, réfugiés ou autres. A charge pour l’Etat de créer des structures gratuites pour qu’ils apprennent cette/ces langue(s) officielle(s). Il n’est pas rare, dans notre société ghettoisée et pilarisée, de rencontrer par exemple des Italiens qui vivent depuis trente ans en Belgique, et ne parlent que l’italien. Et quand une élue d’origine turque proclame qu’elle refuse l’intégration, parler turc où elle veut et porter son voile même dans un cénacle public et en fonction… c’est tout aussi choquant.
N’y a-t-il pas là un lien à faire. Le principe de laïcité suppose la distinction entre la vie privée et la vie publique, en donnant la primauté à cette dernière, du reste. Il figure implicitement dans la constitution belge qui prévoit qu’un éventuel mariage religieux doit être précédé du mariage civil. Et la langue? Est-elle un phénomène privé ou public? Ou les deux, mais à deux niveaux différents. Il y a là une dialectique que j’ai pas l’occasion de lire. « Un pays une langue », cela rappelle « cujus regio, ejus religio »: tentation totalitaire?