Ainsi passe la gloire du monde
Gloria Mundi de Robert Guediguian
Sortie en salle le 26 novembre
Pour Guédiguian, présent à Apt avec son double Gérard Meylan et le scénariste Serge Valetti lors de l’avant première de son 21 eme long métrage, Gloria Mundi devait être construit comme une tragédie grecque . Il revendique la filiation antique pour cet opus récompensé à la Mostra de Venise par le prix d’interprétation féminine décerné à Ariane Ascaride.
Le film commence donc par un prologue, long plan séquence sur une naissance, le nouveau né enveloppé par le regard caméra, dans un silence de fonds marins. Autour du berceau, s’ assemblé le chœur des protagonistes que nous ne quitterons plus jusqu’à « l’exode », la sortie du film. Matilda qui vient de mettre au monde Gloria, son compagnon Nicolas, Aurore sa ( demie) sœur et Bruno son beau frère, Sylvie, la mère, et le beau père, Richard. Quelques répliques, regards, gestes, mimiques, silences, le climat est installé.
Seul manque à l’appel le père de Matilda. Daniel purge une peine de prison. Bientôt libéré et rentré au port, il sera l’aède, celui raconte l’histoire. « Daniel, ´c’est le regard du film » . Dans la chambre miteuse louée à Belsunce – le Barbès marseillais- il écrit des haïkus. Inoccupé, il promène ses longues journées avec Gloria vers les terrasses du Port face à la mer, lui parlant incessamment, bâtissant pour elle des vies heureuses.
Dans cette famille recomposée, les deux
couples des filles et de leurs compagnons, et celui des parents Sylvie, femme de ménage éreintée et
Richard survivent tant bien que mal.
Pris dans un engrenage de déboires ou
prêts à tout pour satisfaire aux canons de la réussite , ils vont piétiner tout sentiment
filial ou familial et se prêter à des calculs sordides, des trahisons, des
mensonges, jusqu’au dénouement
dramatique. Si les trentenaires
cristallisent le cynisme et la
médiocrité, le couple Daroussin
Ascaride s’en tire guère mieux, elle est quand
même briseuse de grève et un
tantinet raciste, lui bonnasse, les deux rongés d’inquiétude pour leurs
enfants. Dans la chambre de l’ap
partement de Sylvie et Richard, une austère croix
de bois nu rappelle un temps où le culte n’était pas au premier de cordée, modèle repris par l’avide Bruno, un temps où « les premiers seront
les derniers ». Guediguian ne nous
épargne rien du tableau de vies sur lesquelles chacun a perdu la main. Il nous
offre dans une œuvre ample et grave, à
travers la décomposition d’une famille celle du monde social. Au spectateur que
nous sommes d’en tirer les leçons. Si la civilisation, c’est la sélection des instincts sociaux
d’entraide, de solidarité, de partage et de coopération, alors, la société
basée sur le profit et l’argent, et donc la compétition de tous contre tous,
c’est l’opposé de la civilisation. (1)
Le scénario regorge d’inventions qui donnent toute sa cohérence à l’histoire. Comme ce coup de fil de Richard – miné du sort de Matilda – à Aurore, au volant de son bus. La mise à pied suivra. Le genre d’expérience inconnue du bourgeois. Le force du film, c’est bien de rendre compte dans l’infime des mécanismes qui privent les individus jusque dans le quotidien le plus ordinaire de toute prise sur leur propre vie. Expérience de la pauvreté de masse dans le « Capitalisme de la séduction ». Seul Daniel, garde la main – et la tête- y compris par le sacrifice qui rendra peut être les autres à plus d’humanité.
Le film tourné entre La Joliette, devenue « pôle touristique », surplombée par la tour CMA CGM et des rues restées à l’abandon, et le miséreux Plombières, où Bruno et Aurore grugent les pauvres et carottent les employés non déclarés de leur cash center, nous montre une autre Marseille que celle de l’Estaque avec la même virtuosité amoureuse du réalisateur . Le quatuor des deux jeunes couples est exceptionnellement bien servi par Grégoire Leprince Ringuet, Robinson Stevenin, Anaïs Demoustier et Lola Naymark. Nous retrouvons comme de vieilles connaissances le trio Daroussin Meylan Ascaride.
Cette avant première a rassemblé dans la petite ville d’Apt, à l’occasion de la réfection du cinéma Movida, un public affamé de 7eme art puisque les trois salles ont du être réquisitionnées . L’occasion pour le réalisateur de se réjouir de cet engouement et paraphrasant Victor Hugo, d’affirmer « Quand on ouvre un cinéma, on ferme une prison ». (1) Dans « La filiation de l’Homme » de1871, œuvre délaissée au bénéfice de la seule « L’origine des espèces » de 1859, Darwin prolongeant son travail montre comment les faits de civilisation sont le produit de la sélection des instincts sociaux.