Septembre sans attendre, sorti le 28 août 2024. – Alex et Ale sont un couple de la petite bourgeoisie madrilène qui travaillent dans le cinéma : elle est réalisatrice de deuxième ordre ; lui acteur de second rôle, sauf dans ses films à elle. Ils s’entendent très bien, sur presque tout sauf sur le côté progressiste ou réactionnaire de la comédie de Blake Edwards, Elle (qu’ils confondent, bizarrement avec L’amour est une grande aventure, sans que le film ne relève jamais l’erreur). Ils s’entendent si bien qu’ils sont même d’accord sur leur future séparation. « Nous allons nous séparer » avoue l’un à leurs amis et à leurs familles. « Mais nous allons très bien » ajoute tout de suite l’autre avec l’acquiescement du premier.
Couple de « classe moyenne », avec toutes les limitations que ce milieu peut imposer en termes de progrès. Il y a bien, d’un point de vue diamat, une accumulation quantitative, il en est même question lors de la scène de projection du premier montage du film qu’elle est en train de réaliser : ce n’est pas un film qui tourne en rond, il avance bien, sans doute pas en ligne droite, mais en empilage de réactions différentes quant à la révélation de leur séparation. Car sur une idée du père d’Ale, qu’on imagine veuf et qui nous est présenté comme libre-penseur (il cite Brassens en français !), le couple décide d’organiser un anti-mariage. L’idée, répétée à tous, c’est de fêter les ruptures et non pas les unions. Ale entend ça depuis son adolescence comme une provocation, une licence paternelle.
Cependant, le dire et le faire sont deux choses bien distinctes et c’est le vieil homme « affranchi » qui tentera lui-même, avec un certain succès, de détourner le couple de sa certitude, en prêtant un livre de Kierkegaard, La répétition. Le libre-penseur a ses limites dans le progrès. Il faut se méfier des provocateurs, ils cachent rarement une véritable subversion.
Il me restera à découvrir l’autre auteur proposé par le père à sa fille, Stanley Cavell, et voir avec lui si Le cinéma nous rend meilleurs.
Une autre « loi » du diamat est très présente : la négation de la négation. C’est presque le principe du film résumé par la provocation paternelle. Il s’agit de nier la négation de la séparation en en faisant un moment de joie, une grande fête pour célébrer ce changement. Mais on touche ici à la limite susdite du progrès possible, puisque la conclusion laissée entendue par la fin du film c’est qu’il n’y aura pas d’Aufhebung. Conservation, oui. Dépassement, c’est loin d’être sûr. Tout changer pour que rien ne change, c’est le slogan de La Conservation. La conciliation sans synthèse, sans avancée. La répétition. Il n’y aura pas l’invention d’une nouvelle manière de s’aimer ou d’être ensemble au monde.
Le titre original aurait dû nous mettre la puce à l’oreille, il disait déjà tout : Volveréis, au futur, un retour en arrière, vous reviendrez, vous vous retrouverez.
C’est beau quand même, cet amour qui se redécouvre. Mais c’est par son ancrage passé, par la mémoire (laissez Bergman en dehors de ça !), par le souvenir, que l’amour se conserve. Répétition encore.
Septembre sans attendre est aussi la mise en abîme du cinéma dans laquelle le film que l’on est en train de voir se monte au fur et à mesure qu’il est projeté. La forme est en regard du fond, ce qui parle plutôt en sa faveur.
On ne sait plus bien par moment où est la fiction dans la fiction : regardons-nous le film ou le film dans le film, son film à elle ? Certaines scènes, bizarrement montées, interpellent par leur originalité : cette coupe en miroir au milieu d’une discussion du couple ; ce moment au téléphone dans le muséum, « hypercut » (comme dirait les critiques français), très découpée, montée comme un film d’action ; ces scènes que l’on nous explique avant de les voir, dans le studio d’Ale. Il y a une vraie recherche esthétique dans le montage ; et dans la direction d’acteurs : le réalisateur, Jonás Trueba, conserve des scènes où les comédiens semblent improviser, se répètent, se trompent, ce qui ajoute à la véracité de son récit. Ce sont sans doute les meilleurs points du film.
L’actrice Itsaso Arana qui interprète Ale dans Septembre sans attendre jouait déjà, pour le même metteur en scène, Eva dans Eva en août. Si leur prochain film se déroule en octobre, j’irai le voir.
Olaldé