Défense des qualifications au CNU: amère victoire… face à une loi qui prolonge le démantèlement du service public
L’amendement n°6 supprimant les qualifications par évaluation des travaux scientifiques et pédagogiques au Conseil National des Universités a été retiré, grâce à la mobilisation immédiate de la communauté universitaire pour défendre cette forme d’évaluation intelligente ainsi que la centaine de disciplines scientifiques et pédagogiques représentées au Conseil National des Universités : 16 000 signatures de la pétition nationale en 48 heures, des dizaines de communiqués d’organisations syndicales et d’instances scientifiques. Victoire ! …est-ce une victoire ?
Amère victoire pour les étudiant-e-s et leurs familles pour qui, par ailleurs, cette loi LRU-2 maintient les orientations délétères fixées par le gouvernement précédent de démantèlement du service public national d’enseignement supérieur. Les promesses électorales de préservation budgétaire du secteur de l’éducation nationale ne sont pas tenues dans le supérieur : sous le subterfuge de « l’autonomie » des dizaines d’universités sont mises en faillites par sous-dotation budgétaire. Ce sont deux millions d’étudiant-e-s et les familles les plus dépendantes du service public, qui sont victimes de ces politiques : victimes des coupes dans l’offre de formation et volumes horaires enseignés ; victimes pour leur accueil des restructurations de services administratifs et documentaires ; victimes pour leur encadrement pédagogique des gels de postes d’enseignants.
Amère victoire pour les enseignants-chercheurs : il restera de cet épisode la trace d’une nouvelle attaque contre les statuts nationaux et contre une forme d’évaluation intelligente basée sur la compétence scientifique et pédagogique de celles et ceux qui l’exercent ainsi que sur le pluralisme que permet leur élection au scrutin proportionnel par l’ensemble des enseignants-chercheurs, dans chaque discipline scientifique et pédagogique, sur listes librement constituées. Après des années de propagande politique pour faire croire à la population que les enseignants-chercheurs ne sont pas évalués… quelle étonnante attaque politique contre le seul système d’évaluation qui vaille, des biologistes par des biologistes, des sociologues par des sociologues, des pharmaciens par des pharmaciens… et cela pour des centaines de disciplines qui ne peuvent être ainsi représentées qu’au niveau national.
Amère victoire pour tous les français de plus en plus nombreux à comprendre ce que « autonomie » & « régionalisation » des universités signifie : démantèlement du service public universitaire national par désengagement financier de l’État ; dilution des responsabilités politiques de ces mises en faillites entre de multiples décideurs qui pourront se renvoyer la balle ; subordination politique croissante du fonctionnement des universités aux acteurs locaux, politiciens et entreprises ; renforcement des inégalités territoriales et sociales, pour la plus large partie de la population qui ne trouvera plus à proximité les possibilités souhaitées de formation supérieure et devra renoncer à ce niveau de formation (les baisses d’inscriptions sont déjà perceptibles) ou assumer des coûts exorbitants pour faire des études au loin.
Nous sommes arrivés aujourd’hui à défendre le statut national d’enseignant-chercheur mais nous sommes loin de parvenir à défendre un service public national gratuit, laïque et indépendant d’enseignement supérieur et de recherche… toujours en cours de démantèlement sous les poids conjugués des idéologies néo-libérales internationales et des replis égocentriques ou clientélistes régionalistes.
Un véritable changement progressiste de politique publique nécessite l’élaboration d’un schéma national d’enseignement supérieur et de recherche pour assurer une offre de formation diversifiée, hors de toute spécialisation des territoires, afin de favoriser l’égal accès de tous à l’enseignement supérieur, lutter contre la désertification des territoires et l’accroissement des inégalités sociales. La ré-étatisation de la masse salariale et la gestion nationale des personnels s’imposent pour maintenir au plus haut niveau la qualité du service public d’ESR ouvert à tous les citoyens, dans toutes les régions. L’indépendance des universités vis à vis des acteurs politiques et économiques est vitale : la pédagogie et la science doivent être libres et la loi doit renforcer ces libertés académiques essentielles.
Pour tout cela… tout reste à faire et il faut se battre.
Bien cordialement,
Jérôme Valluy – 26 juin 2013