Léon Landini, Président de l’Amicale des Anciens FTP-MOI des bataillons Carmagnole et Liberté, est intervenu le 20 février 2002 à l’Hôtel de Ville de Paris à l’occasion d’une conférence débat, qui a eu lieu lors de la présentation d’une exposition ayant pour thème « La participation des « Etrangers » aux combats pour la libération de la France ». Un discours pour rétabir la vérité des faits sur la résistance, et sur le role décisif notamment dans la résistance armée et combattante des communistes, et tout particulièrement des FTP MOI. Cela alors qu’une entreprise systématique, et révisionniste, niant l’histoire, est menée pour effacer la résistance.
Léon Landini, résistant d’hier et résistant d’aujourd’hui en tant que président du PRCF, souligne : « Lorsque j’ai fait ce discours, à mes côtés sur la tribune se trouvaient également certains historiens ou historiennes que je mettais en cause mais sans les citer, pourtant aucun n’a osé engager le débat. Et vous n’avez là qu’un tout petit aperçu des batailles que j’ai dû mener afin d’essayer de rétablir, petitement, la vérité historique sur la participation des « Communistes étrangers » aux combats pour la libération de la France. »
Discours prononcé par Léon Landini à l’Hôtel de Ville de Paris
le 20 février 2002
Mon amie et camarade Madeleine Riffaud dans son livre « On l’appelait Rainer », a écrit : « Ceux d’entre nous qui vivent encore sont indispensables à la préservation de cette « mémoire vive » que les historiens, fussent-ils les plus justes, le plus précis, ne peuvent reconstituer uniquement à l’aide de documents d’archives. Je n’ai jamais joué les anciens combattants. Et pour cause je combats au présent.
Plus loin elle ajoute :
Dans les colloques, dans les livres, on peut entendre, on peut lire ceux qui veulent nous apprendre ce que furent la Résistance, la Libération… Je ne voudrais pas paraître ennemie des historiens. Beaucoup sont des amis très chers qui font un travail indispensable et passionnant. Mais dans les récits historiques nous ne nous retrouvons pas, comme si nos traces s’étaient effacées. Oui je cherche en vain les traces des humains, de ceux qui ont disparu sans même laisser leur nom… Nous avons à témoigner pour quiconque nous le demande et ne pas laisser des plumitifs peu scrupuleux fouiller les poubelles de l’Histoire et dire, ainsi que je l’ai entendu, que l’héroïsme de la Résistance ça commence à bien faire… ».
Tout comme Madeleine Riffaud, j’ai moi aussi des amis, historiennes et historiens, pour lesquels j’ai beaucoup de respect et une profonde affection, je connais les difficultés de leur profession. D’ailleurs, Voltaire n’avait-il pas déclaré : « Quiconque écrit l’histoire de son temps doit s’attendre qu’on lui reproche tout ce qu’il a dit et tout ce qu’il n’a pas dit ! ».
Cela étant dit, il me semble difficile de leur laisser affirmer, sans réagir, des choses qui ne me paraissent pas conforme avec la vérité historique.
Certes, au fil des ans l’étude de l’histoire a progressé, mais ceux qui n’ont pour connaissance que la mémoire des faits, peuvent altérer inconsciemment ou non les raisons de notre engagement ainsi que nos conditions de vie. Il est donc opportun que nous soyons présents aux côtés des reconstitutions faites par les historiens.
Si ceux-ci ont le recul nécessaire pour apprécier le passé, nous, nous avons vécu ce temps, il fut notre présent, nous en gardons l’empreinte indélébile dans nos corps, nos cœurs et nos esprits.
Nous les survivants, gardons encore vivant le souvenir de nos camarades morts. Et cela nous distingue des historiens, car nous savons aussi que tous n’abordent pas cette page d’histoire avec une égale rigueur, les productions écrites ou audiovisuelles, ne sont pas toujours exemptes de parti pris, de subtiles insinuations, d’oublis parfois significatifs, ou de reconstructions douteuses, dénaturées par le prisme du temps présent. Je voudrais ce soir profiter de l’occasion qui m’est donnée, pour relever en vrac et bien entendu sans que cela soit exhaustif, quelques phrases d’historiens, péchées ici ou là, qui Mériteront que des témoins se trouvant dans la salle puissent donner leur avis sur cette façon d’écrire notre histoire, afin que ceux qui sont amenés à s’exprimer sur la résistance sachent que tant que nous en aurons la force nous interviendrons, pour que la vérité historique soit respectée au plus près.
Dans la postface d’une biographie d’un valeureux résistant, un « historien » (Collin) a écrit : « Il suffisait d’une bonne ou d’une mauvaise rencontre pour se retrouver, soit dans la résistance ou bien dans les rangs de la Légion des Volontaires Français à combattre sur le front soviétique ». Qu’en pensez-vous chers amis ? Serait-il possible qu’à la suite d’une mauvaise rencontre vous soyez partis combattre sur le Front soviétique ?
« Par ailleurs, il a également écrit : « Les juifs avaient le dos au mur, ils n’avaient de toutes façons pas le choix car ils n’avaient plus rien à perdre ! » Pensez- vous sérieusement que juifs ou pas juifs à 20 ans la chose la plus précieuse est la vie ? Ecrire qu’ils n’avaient plus rien à perdre est offensant ! Pourquoi la vie des juifs valait moins cher que celle d’un non juif ? En conséquence, nous étions tous à égalité nous avions tous, tout à perdre ».
Collin a parfois scandalisé mes camarades juifs, par ses écrits diffamatoires à leur égard il a reçu diverses réponses de mises au point auxquelles il n’a jamais répondu.
Chez un autre auteur, je trouve la phrase suivante : « Dés 1940, l’opinion française fut massivement contre l’occupation allemande, contre la collaboration et pour la victoire de l’Angleterre ». Quelles sont les données scientifiques qui permettent de telles affirmations ? n’importe qui peut dire n’importe quoi à posteriori, cela ne veut pas dire que les historiens doivent reprendre tout ce qu’on leur dit et tout ce qu’il découvre pour argent comptant. En ce qui me concerne, je me souviens que le 5 juin 1944, c’est à dire la veille du débarquement alliée en Normandie, des dizaines de milliers de personnes se trouvaient dans les rues de Lyon applaudissant frénétiquement au passage de Pétain.
Je me demande si vraiment ces gens là souhaitaient massivement la victoire de l ‘Angleterre ?
Dans un livre, une éminente spécialiste, (Germaine Villard) écrit : « Ce même jour, la 2ème D.B. du Général Leclerc est aux portes de la capitale, après avoir lancé, par avion, le message : « Tenez bon nous arrivons ! » un premier élément, dont trois chars légers, le « Champaubert » le « Montmirail » et le « Romilly » y entrent vers 21 heures, ». Tiens, je croyais que les trois premiers blindés arrivés devant l’Hôtel de Ville de Paris, portaient des noms espagnols (comme le démontre d’ailleurs, une photo présentée dans l’exposition présentée ici même) et qu’à l’exception du capitaine Dronne, les occupants de ces véhicules étaient des soldats de l’armée républicaine espagnole. Je souhaiterais que nos camarades qui ont assisté à la libération de Paris nous donnent leur version sur l’arrivée de ces blindés et disent pourquoi à leur avis leurs noms ont été changés.
Ailleurs je lis : « on connaît peu le rôle essentiel, joué par la composante polonaise non communiste. Elle joua pourtant un rôle déterminant. » Et il est ajouté : « Un tract de la fin 1942 se terminait même par le slogan : « Tout pour la Pologne ! Rien que pour la Pologne ! ». Avec un tel slogan il ne me semble pas, que le souci primordial de ces polonais, ait été la libération de la France, puisque c’est rien que pour la Pologne !
Je crois néanmoins qu’il aurait été utile de rajouter que dans les rangs de cette composante polonaise, il y régnait un antisémitisme tel, que beaucoup de nos camarades juifs, malgré leur envie d’en découdre avec l’occupant avaient préféré quitter cette unité. Voilà un oubli qu’un vrai spécialiste n’aurait pas dû faire.
Pendant un colloque, qui a eu lieu à Besançon, j’ai entendu, un historien (Denis Peschanski) déclarer: « Moi les F.T.P-M.O.I. J’en ai jusque là !!! ». Je necrois pas que ce soit là une réflexion digne d’un professionnel, qui par la suite a écrit des articles sur « la participation des « étrangers » aux combats pour la libération de la France ».
Que ce spécialiste de l’histoire contemporaine, n’aime pas les F.T.P-M.O.I. C’est son droit, mais je trouve, que pour un historien cette façon de s’exprimer est offensante pour tous ceux qui se sont battus au sein de cette unité.
Dans un autre texte destiné à rendre hommage aux résistants étrangers, deux résistants, Ponzon Vidal et de Joseph Fisera, sont particulièrement mis à l’honneur. L’auteur explique qu’ils furent tous deux arrêtés en possession de quantités importantes de faux documents, mais qu’ils furent relâchés, « grâce aux appuis dont ils disposaient en haut lieu ».
Mais dans ce même document, on ne trouve pas grand chose sur Joseph Epstein fusillé au Mont-Valérien et rien sur Marcel Langer ou sur Simon Frid, qui furent guillotinés par les autorités françaises, probablement, parce-qu’ils n’avaient pas eu la chance de disposer d’appui en haut lieu. Voilà de douloureux oublis.
Et voici maintenant, comment on fait disparaître le rôle des F.T.P-M.O.I. Simplement en oubliant de mentionner leur nom. (Il me semble que ce livre avait été édité par le PCF).
Dans un livre je relève les phrases suivantes: « Des officiers allemands sont attaqués Boulevard Raspail, rue de Vaugirard ; de même à Clamart, à Ivry, à Argenteuil et à Chelles.
Au stade Jean Bouin, devenu camp nazi, un groupe de combat du détachement « La Marseillaise » attaque à la grenade une section d’aviateurs allemands…Le détachement « Valmy » commence l’attaque des restaurants allemands de Paris. De même pour les cinémas occupée par les nazis (Le Palace à la Garenne et le Rex à Paris)…le 29 septembre, le S.S. Julius Ritter, L’homme qui dirigea la déportation des ouvriers français en Allemagne est abattu ».
Le plus grand nombre de ces actions ont été effectuées par des F.T.P-M.O.I. Dont le nom n’est prononcé aucune part ! Pourquoi ??? Pour répondre à cela je préfère laisser la parole à RALPH SCHOR, professeur d’histoire, écrivain spécialiste de la résistance, il dit:
« Morts sous la torture, fusillés, ou décapités, les étrangers payèrent un lourd tribut … La mémoire collective, peu soucieuse d’exactitude historique a souvent majoré le rôle des résistants français et oublié l’action des résistants étrangers, bien que l’engagement de ces derniers se fût souvent révélé précoce ».
Plus loin, un autre historien, (Annette Wieviorka) ramène à pas grand chose les combats et les sacrifices consentis par les F.T.P-M.O.I. Il écrit en parlant d’eux : « Mais au total cela ne concerne que des groupes très restreints. A titre d’exemple les F.T.P-M.O.I. de la Région parisienne qui firent tant parler d’eux pendant la guerre ….N’étaient que 65 à l’été 1943 … Au même moment ils étaient moins de 80 combattants à mener la guérilla urbaine à Toulouse et 55 à Marseille » ; Je vous fais remarquer qu’il a oublié, entre-autres, Carmagnole et Liberté.
Il est certain que les combattants des F.T.P-M.O.I. se comptaient plus facilement en centaines, qu’en dizaines de milliers, mais la déontologie aurait voulu que cet historien rappelle l’importance des opérations militaires menées par ces poignées de combattants, qui pratiquaient une des formes de la Résistance des plus dangereuses, mais également une des plus efficaces dans les combats contre l’occupant.
Plus loin l’auteur ajoute : « Dans tous les cas cependant, en ville comme dans les campagnes, l’efficacité de la lutte se mesure sur le terrain politique et moral bien davantage que sur le terrain militaire ».
Pourquoi vouloir opposer la résistance militaire à la résistance politique ? Alors qu’elles sont complémentaires.
En effet, un grand nombre de ceux que l’on appelle les militaires, ont commencé leur Résistance en distribuant des tracts, en sabotant la propagande vichyssoise et nazie.
J’ai le souvenir d’avoir distribué des dizaines et des dizaines de documents appelant le peuple de notre pays à prendre les armes, afin de bouter l’occupant hors de nos frontières et ce n’est pas par la vertu du Saint-Esprit que la Résistance française a pu prendre toute sa part dans les combats libérateurs. Il a bien fallu qu’il y ait un remarquable travail de préparation psychologique réalisé par les politiques.
J’ai l’habitude d’utiliser une image pour définir la complémentarité de ces deux formes de résistance. La résistance politique était les fleurs et la résistance militaire était les fruits. La quantité et la qualité des fruits, provient de la quantité et de la qualité des fleurs. En clair, la résistance politique a enfanté la résistance militaire et l’une ne va pas sans l’autre. Il est impossible de mettre en évidence une des formes de combat, sans rappeler que l’une n’aurait rien été sans l’autre.
Toutefois, il est indéniable que la Résistance française, ne se limite pas seulement aux combats, aussi glorieux soient-ils des F.T.P-M.O.I. Je l’ai d’ailleurs clairement exprimé au cours d’un colloque qui eut lieu à Nantes en décembre 1999, et qui a été édité en livre, où j’ai déclaré ceci : « Il est incontestable que tous ceux et toutes celles qui peu ou prou ont participé à la Résistance méritent hommage et respect.
Celui qui ne serait-ce qu’une seule fois, a participé à une distribution de tracts, a risqué sa vie et a fait preuve de courage, dans les conditions exceptionnelles de l’époque.
Chaque action dirigée contre l’occupant, aussi petite soit-elle a contribué à rendre à la France sa liberté, mais il est évident qu’entre celui qui a distribué des tracts une fois, et celui qui en a distribué 10 fois, il y a une grande différence d’engagement et de risques encourus. Comme il est évident qu’il était beaucoup plus stressant et beaucoup plus dangereux d’abattre un ennemi, en pleine ville, en plein jour, à bout portant et à visage découvert, que de distribuer des tracts.
Si chaque geste destiné à nuire d’une façon quelconque à l’occupant avait toute son importance, il n’en est pas moins certain que ce qui a permis au Colonel Rol-Tanguy d’être présent aux côtés du Général Leclerc, lors de la reddition de la garnison allemande occupant Paris, c’est la présence de milliers de F.F.I. qui dans les rues de la Capitale, armes à la main menaient la vie dure aux nazis.
Comme il est évident que si le Général de Lattre a pu le 8 mai 1945 représenter notre pays lors de la Capitulation sans condition des armées allemandes (et non pas de l’armistice, comme certains se plaisent encore à l’affirmer), c’est parce que les Forces Françaises Libres et les Forces Françaises de l’Intérieur, avaient pris toute leur part dans les combats libérateurs.
Si avec ces deux exemples, il apparaît clairement que la Résistance armée a été le moteur essentiel de la reconquête de notre indépendance, cela n’est pas évident pour tout le monde puisque certains cherchent encore à opposer, résistance politique et résistance militaire.
Il convient d’indiquer, que la guérilla urbaine a été une spécificité de la Résistance française. Alors que dans les autres pays d’Europe l’essentiel des combats ont eu lieu dans les campagnes et dans les montagnes, en France les coups les plus durs contre la machine de guerre et contre l’occupant ont été portés dans nos villes, « par ces groupes restreints. ».
Pour conclure je voudrais rappeler ici, quelques chiffres figurant dans l’ordre de bataille des bataillons Carmagnole et Liberté :
Nombre total des opérations homologuées par les services des armées et effectuées par ces deux unités : 439 auxquelles s’ajoutent, tous les combats de la libération et plus de 200 autres opérations non homologuées.
Soit, opérations homologuées:
99 attaques contre des usines. (Dont certaines furent entièrement détruites).
67 attaques contre les troupes d’occupations. (Faisant plusieurs centaines de morts et de blessés).
91 sabotages de dépôts ferroviaires ou de déraillements. (Plusieurs centaines de locomotives et de wagons détruits dans leurs dépôts).
26 garages allemands attaqués. (Plusieurs centaines de véhicules détruits).
Bien entendu, il ne s’agit là que des opérations menées par les combattants de Carmagnole Liberté, auxquelles il y a lieu d’ajouter les milliers d’actions réalisées par les F.T.P-M.O.I., de Toulouse, de Marseille, de Nice etc… ou bien encore, celles de la région parisienne, car comme l’a rappelé avec précision, Denis Peschanski dans « Le Sang de l’Etranger », (ouvrage auquel il a participé),minimiser leurs actions, revient donc à minimiser la valeur du sang qu’ils ont versé.
Or comme l’écrivit le poète Pascal Bonati : « Qui sait si l’inconnu qui dors sous l’arche immense, mêlant sa gloire épique aux orgueils du passé, n’est pas cet étranger devenu fils de France, non par le sang reçu mais par le sang versé ! ».