De Cosette[1] aux Maheu[2] en passant par Oliver Twist[3] ou les Déchargeurs de charbon[4] et même jusqu’entre les lignes de l’Or du Rhin[5], les arts et la littérature n’ont eu de cesse de décrire la misère ouvrière ou plus justement prolétarienne, du XIXème siècle. Un intermédiaire pour donner la parole à ceux qui ne l’ont d’ordinaire pas, bien que dans le même temps, la classe ouvrière commençait peu à peu à s’organiser, tant d’un point de vu théorique que pratique, si l’on en retient une vue globale : du Manifeste du Parti communiste aux coopératives ouvrières.
Les rapports entre le Capital et le travail et leurs enjeux liés à la pratique de la valeur s’inscrivent depuis plus de deux siècles dans une lutte où apparaissent délitement, destruction et structuration. Aujourd’hui, la parole et l’action qui s’en suit semblent échapper aux sans voix, redevenus tel Fantine des « sans dents ».
Dans ce climat, La « loi travail » est une attaque de plus dans cette contre-révolution qu’opère le pouvoir.
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« Pour autant que l’on considère le procès de travail comme se passant simplement entre l’homme et la nature, on trouve qu’il se présente avec les mêmes éléments dans toutes les formes du développement social. Mais chaque forme historique de ce procès développe les bases matérielles et les formes sociales qui lui sont propres jusqu’à ce que arrivée à un certain degré de maturité, elle disparaît pour faire place à une forme plus élevée. Les symptômes de ce moment de crise apparaissent dès que les rapports de répartition et les rapports de production qui y correspondent, entrent en opposition profonde avec la productivité et le développement de leurs facteurs. A ce moment le conflit s’engage entre le développement matériel et la forme sociale de la production »
Marx et Engels – Le Capital, Livre III, Section VII – Distribution et production.
« À la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures ; il se situe donc, par sa nature même, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. Tout comme l’homme primitif, l’homme civilisé est forcé de se mesurer avec la nature pour satisfaire ses besoins, conserver et reproduire sa vie ; cette contrainte existe pour l’homme dans toutes les formes de la société et sous tous les types de production. Avec son développement, cet empire de la nécessité naturelle s’élargit parce que les besoins se multiplient ; mais, en même temps, se développe le processus productif pour les satisfaire. Dans ce domaine, la liberté ne peut consister qu’en ceci : les producteurs associés – l’homme socialisé – règlent de manière rationnelle leurs échanges organiques avec la nature et les soumettent à leur contrôle commun au lieu d’être dominés par la puissance aveugle de ces échanges ; et ils les accomplissent en dépensant le moins d’énergie possible, dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. Mais l’empire de la nécessité n’en subsiste pas moins. C’est au-delà que commence l’épanouissement de la puissance humaine qui est sa propre fin, le véritable règne de la liberté qui, cependant, ne peut fleurir qu’en se fondant sur ce règne de la nécessité. La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de cette libération. »
Engels – Le Capital, Livre III – En matière de conclusion
Nos acquis sociaux ne viennent pas de la providence.
La Révolution française fût l’établissement au pouvoir des propriétaires mobiliers qui renversèrent les propriétaires immobiliers. Dès lors, une classe autrefois dominée, la bourgeoisie pris le pouvoir sur l’aristocratie. Dans le même temps, les dits « droits de l’Homme » étaient déclarés. Cela signifie qu’ils avaient toujours été là, par nature et qu’il suffisait a priori de les déclarer. Ainsi, d’une domination formelle – non encore établie donc – la bourgeoisie inscrivait désormais sa domination réelle, dans les institutions notamment. Le capitalisme alors en germination entame pleinement son processus d’accroissement. C’est ainsi que les premiers droits prétendument « naturels » énoncés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen furent les droits de propriété et de liberté. C’est-à-dire les droits à la propriété lucrative – celle des moyens de production et donc de domination par l’argent et l’héritage mobilier de celles et ceux qui n’en disposent pas – et le droit de liberté dans la propriété c’est-à-dire d’user et d’abuser de cette propriété.
L’heure n’était pas encore venue pour Robespierre et les partisans de la Vertu de modifier en profondeur les rapports de production – D’ailleurs, nos pseudo-philosophes les plus médiatiques comme Michel Onfray ne cessent encore aujourd’hui de fustiger Robespierre et Saint-Just.
Ainsi, tout au long du XIXème siècle et jusqu’à nos jours, une lutte incessante se produit entre les tenants du Capital et les travailleurs[6]. Les propriétaires lucratifs, tenant du Capital n’ont pour objectif que de maximiser leurs profits en accumulant le capital : un maximum de bénéfices pour un minium de dépenses et les travailleurs sont perçus comme une « ressource » de plus.
La loi le Chapelier de 1791 proscrit dès l’instauration de la domination réelle du capitalisme, tout type d’organisation, de regroupement ou de mutualisation des travailleurs. Ainsi, la loi va à l’encontre des intérêts des classes dominées, et aucune organisation ni convention collective ne peut se substituer à ce défaut. Hommes, femmes et enfants, travaillent alors sans limites avec pour seule récompense le strict minimum correspondant au renouvellement de leur force de travail. Il faut attendre 1841 pour qu’apparaisse un mieux dans les conditions de travail des enfants – et seulement eux.
Puis, c’est en 1884 que les syndicats sont tolérés, plus de 10ans après la Commune de Paris et les diverses autres tentatives de révolution échouées qui n’ont été que des révoltes étouffées par le pouvoir…
La chronologie est longue alors jusqu’aux années 30 et les va-et-vient entre gain et perte pour le Capital ou le travail incessants. Syndicats, mutuelles, coopératives et partis se structurent et s’organisent. Puis, alors que l’Europe est submergée par une vague fasciste, la France en 1936 voit arriver au pouvoir le Front Populaire, qui malgré ses défauts d’organisation avant-guerre, permit pour la première fois aux ouvriers français de retrouver un minimum de décence : semaines de congés payés, semaine de 40heures de travail au lieu de 48, création des convention collectives, création de la SNCF etc.
Très vite malheureusement, la guerre arrive et les autorités Allemandes comme Vichy, dissolvent et pourchassent les structures syndicales et les partis ouvriers ainsi que leur militants qui seront nombreux dès 1940 et plus encore avec le STO à entrer ardemment en résistance. Il aura fallut des millions de morts dans toute l’Europe de la pointe du raz en Bretagne à Oufa en Russie et un Parti communiste français armé pour que les « jours heureux » soient proclamés avec le Conseil National de la résistance en 1946. Dès lors le droit de grève et le droit syndical sont inscrits en préambule de la Constitution. Mais plus encore, par l’intermédiaire des retraites et de l’instauration de la sécurité sociale c’est une nouvelle pratique de la valeur, profondément révolutionnaire qui naît des nombreux combats menés par la classe ouvrière. Ces acquis sociaux sont le fruit d’une lutte longue et acharnée dont l’idéologie dominante voudrait nous faire croire qu’ils ne relèvent que de la Providence et de la bonté du pouvoir en une période historique donnée. Rien n’est plus faux et nous renvoyons nos lecteurs aux travaux de Bernard Friot et d’Annie Lacroix-Riz pour s’en rendre compte.
Destruction « méthodique » organisée par le pouvoir.
« La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » Denis Kessler, PDF du groupe Scor, ancien vice-président du MEDEF
Madame El Khomri, sparring partner du grand Capital dont elle n’est que le pantin et sbire de Bruxelles, qui depuis longtemps programment tout cela[7] a donc établi la dite « loi travail » qui fait l’actualité de ces dernières semaines.
Qu’en est-il de cette loi ? Il s’agît tout simplement, d’une continuité logique, d’un changement pour le même auquel nous a habitué ce gouvernement : l’établissement féroce d’une contre-révolution sociale des revanchards ayant peur de perdre leur pouvoir. Inconscient des logiques historiques, la classe dominante s’efforce alors de détricoter les acquis sociaux et le code du travail pour tenter de conserver leur place au banquet sans que nul prolo n’y puisse y avoir sa place.
Mais tout cela n’est qu’une suite logique de l’inversion du rapport de force post 45. Dès les années 1980 et l’entrée en vigueur de multiples contrats de travail (le plus connu et toujours actuel étant le C.D.D) jusqu’à la destruction récente du C.D.I – le réformisme anti-progressiste s’est mis en marche tel une machine de guerre. A cela s’ajoute bien sûr les traités de Maastricht puis de Lisbonne et les innombrables réformes du travail qui, plutôt que d’organiser la protection des travailleurs comme aux origines, sert davantage à régir notre esclavage. La crise aidant, il est important que chaque salarié ait peur du lendemain. Aussi, l’idéologie dominante ne cesse de nous rebattre les oreilles pour que nous travaillions plus, sans jamais tenir compte du taux plus important de la production. Ramener au temps de travail.
Dans le même temps, le management fît son entrée à grand pas dans les entreprises, en tant que science du Capital pour faire accepter aux travailleurs leurs conditions misérables. Le pouvoir agissant ainsi par le biais de la déstructuration mentale et le langage afin de créer des luttes internes entre travailleurs. Tandis que les scissions syndicales ne cessaient aussi de s’accroître avant de s’unir au sein de la Confédération Européenne des Syndicats…
Mais, avec la nouvelle loi de Mme El Khomri, c’est un véritable retour en arrière auquel nous assistons, une véritable contre-révolution où même les mineurs apprentis pourront travailler jusqu’à 10h par jour sans inspection du travail. Destruction des 35h (bien qu’elles n’aient jamais vraiment été appliquées comme le prévoyait la loi), suppression des heures de repos obligatoires, suppression des heures de travail de nuit entre 21h et minuit et bien d’autres choses encore qui tirent un voile sombre sur la condition de nous autres, prolétaires des champs, des usines, du tertiaire etc.
Du délitement à la structuration.
Ce dont nous souffrons alors, en plus de ces conditions de travail déplorables c’est d’un vide qui se fait gouffre en matière de structure et d’organisation pour défendre et prendre nos droits et plus encore pour inverser le rapport de force actuellement en notre défaveur. Le P.C.F, complétement détruit et attaqué de l’intérieur et de l’extérieur a laissé place à du « tout venant », pour n’être plus qu’au mieux une « organisation caritative, un satellite un peu bougon du « socialisme » à la François Hollande » comme l’exprime Jean Salem[8].
Que reste –t –il actuellement comme force d’opposition réelle ? Il ne reste que les consciences et l’Histoire. Mais en attendant, nous voyons fleurir de part et d’autres des artefacts du boulangisme[9], organisations préfascistes mais heureusement éphémères qui virevoltent entre le rouge et le brun, sans vraiment faire partie de l’un ou de l’autre, tel le chien qui se fait passer pour loup[10]. Ceux-là même aussi qui, plutôt que de produire une simple analyse critique qui pose les limites objectives de la Revolution française ne cessent de diffuser leur rengaine réactionnaire quasi Ultras.
Puis, la gauche radicale, qui ne devrait pas être celle du Capital, tangue entre les Colibris, le pseudo-développement personnel individuel plutôt que l’émancipation collective et la « sobriété heureuse » pour légitimer comme des idiots utiles les politiques d’austérité et de soumission à l’encontre des producteurs que nous sommes.
Nous voudrions nous faire croire qu’il faut encore « travailler plus pour gagner plus » alors que c’est l’inverse qui est vrai… Entre 1936 et 2015 nous étions passés des 40heures de travail par semaine au 35heures – et pourtant, le taux de productivité a-t-il chuté ou bien s’est-il mille fois multiplié ? Pour construire la même voiture, faut-il le même temps de travail en 1936 qu’aujourd’hui ? Il en va de même pour nos retraites dont la force est justement d’avoir institué une nouvelle pratique de la valeur et la reconnaissance du travail en dehors de l’emploi, contrairement à l’idée reçu selon laquelle celles-ci reposeraient uniquement sur un principe dit de solidarité.
Fort heureusement, « le sérieux de l’Histoire » n’attend pas et si les jours malheureux sont pour demain, les jours heureux sont pour après-demain, mais il nous faudra nous organiser et produire de la formation et de la transmission.
Loïc Chaigneau, pour l’Affranchi.
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[1] Victor Hugo – Les misérables, 1862
[2] Emile Zola – Germinal, 1885
[3] Charles Dickens – Oliver Twist, 1837
[4] Claude Monnet – Les déchargeurs de charbon, 1875
[5] Richard Wagner – L’Anneau du Nibelung, 1869
[6] Ceux qui, rappellons-le, produisent plus qu’ils ne consomment et ne sont pas propriétaires de leur moyens de productions. C’est-à-dire une vaste majorité de la populations, aujourd’hui encore. Ces travailleurs dont le concept de prolétaire recouvre au mieux les limites mouvantes de leur catégorie.
[7] Cf. les « Grandes orientations de politiques économiques » émises par Bruxelles tels des ordres aux différents pays Européennes, indépendant de toute souveraineté.
[8] Jean Salem – La démocratie de caserne, Ed. Delga , 2016
[9] Du mouvement fondé par le militaire Georges Boulanger à la fin du XIXème siècle, bâtît sur des revendications de revanche envers la Prusse et un populisme réel.
[10] Cf. Platon – Le Sophiste.