Cette période de confinement en raison de la crise provoquée par le capitalisme et le covid-19 est particulièrement dure pour les artistes des arts vivants. Tout particulièrement pour ceux qui ne s’inscrivent pas ou son censurés dans les grands circuits commerciaux notamment de la télévision. Leurs théâtres et salles de spectacles sont évidemment fermés et le public est privé de leurs spectacles. C’est un rude coup sur le plan économique et un frein à la diffusion de leurs spectacles. Mais un coup qu’il est possible de surmonter tous ensemble, solidairement.
C‘est pourquoi IC a souhaité que l’on puisse entendre leurs voix. La compagnie Jolie Môme, qui bien que privée de spectacle est bien là comme le prouve la chanson qu’elle vient de diffusé sur les réseaux sociaux, a accepté de répondre à nos questions.
- pour les soutenir rendez vous sur : https://cie-joliemome.org
- la boutique de Jolie Môme : https://cie-joliemome.org/?cat=151
Bonjour les Jolie Môme. Ce weekend du 20 mars 2020 devait démarrer votre dernier spectacle, « Barricade » : pouvez-vous le présenter dans ses grandes lignes ?
Barricade, c’est le spectacle que nous avons créé en 1999 pour pallier l’incroyable absence de La Commune de Paris dans les manuels scolaires et le récit médiatique de l’Histoire de France.
Le peuple prend le contrôle de Paris. Bourgeois et nobles quittent la ville et en quelques semaines, le peuple vit, invente, met en place… c’est le premier exemple de prise du pouvoir ouvrier ! Alors avec le recul et dotés d’une conséquente bibliographie, on y a vu quelques erreurs commises mais on est surtout impressionné par l’inventivité et la lucidité !
Le renfort d’internationalistes venus contribuer à cette Commune de Paris a aussi été déterminant. En le reprenant en cette période de processus électoral (interrompu), nous avions bien l’intention de rappeler que la Commune a donné le droit de vote et le droit d’éligibilité aux étrangers, chose dont ne sont pas capables même les gouvernements prétendument de gauche un siècle et demi plus tard…
Et c’est aussi important de rappeler que la bourgeoisie au pouvoir est capable de faire massacrer son peuple, rappel fort utile contre toute fable qui voudrait faire croire en l’Unité Nationale en période de crise. Ces massacres de la Semaine Sanglante sont le crime fondateur de la Troisième République, ce qui explique le faible enthousiasme à aborder encore aujourd’hui cette période. Fort heureusement, des personnages comme celui de Louise Michel, mais aussi la littérature, la bande dessinée, le cinéma et … le théâtre sont venus réveiller depuis 20 ans ce moment d’histoire oublié.
Des Coréens souhaitant commémorer la Commune de Gwangju et sa terrible répression il y a 40 ans, nous ont pour cela demandé de jouer cette pièce à Séoul au printemps 2020. Cela nous a convaincus de retrouver une partie de l’équipe qui a créé ce spectacle et de la fusionner avec la troupe 2020 de Jolie Môme.
Après plusieurs semaines de répétitions, nous avions donc prévu deux semaines de représentations à Saint-Denis avant d’embarquer pour Séoul… Espérons que ce n’est que partie remise !
Crise du Coronavirus oblige, vous avez dû fermer le théâtre de la Belle Étoile au public. Quelles sont les conséquences pour la Compagnie ?
La première conséquence est l’annulation de toutes les représentations en mars et avril… donc l’annulation de toutes nos recettes pour ces deux mois au moins. Il faut bien voir que notre modèle économique est assez particulier au sein même de notre secteur : nous sommes autofinancés à plus de 80%. C’est notre public qui nous permet de vivre. Et quand on nous interdit de le rencontrer, on perd nos revenus.
Il nous reste heureusement la fameuse « intermittence », pour laquelle nous nous sommes si souvent battus. Mais d’une part cela n’aide que ceux qui ont déjà ouvert des droits et non les plus jeunes qui nous rejoignent, d’autre part ces droits sont fragiles car ils doivent être renouvelés chaque année… et enfin ce ne sont que des indemnités chômage, ce n’est pas du niveau d’un salaire.
C’est donc une crise économique importante pour notre troupe comme pour tous les camarades qui travaillent dans le secteur du spectacle. D’autres secteurs d’activité sont aussi concernés bien sûr, mais par définition nous sommes là pour rassembler du public. Le virus nous a contraint à annuler nos représentations pour ne pas être vecteurs d’aggravation de l’épidémie et de saturation des hôpitaux, si malmenés déjà par des décennies de restrictions, de non-embauches et de fermetures de lits.
La tournée en Corée en avril est elle aussi annulée et nous n’avons aucune visibilité sur notre avenir proche en mai, juin, juillet… qui sont habituellement des mois où nous tournons beaucoup, où nous accueillons beaucoup d’événements à La Belle Étoile.
Enfin, si nous travaillons toujours à la préparation de notre festival La Belle Rouge, du 24 au 26 juillet dans un petit village des montagnes d’Auvergne, nous ne sommes pas encore certains qu’il puisse se tenir cette année.
C’est un moment important de notre saison puisqu’en plus de tout organiser et préparer, nous jouons et invitons quelques autres groupes et compagnies. Nous partageons durant trois jours nos coups de cœur artistiques de l’année avec nos publics venus tant d’Auvergne que de toute la France. Nous y invitons aussi de nombreux intervenants pour des débats politiques, des associations et organisations pour des tables de presse et des rencontres… Le PRCF y était d’ailleurs présent en 2018 !
C’est donc un moment qui se prépare très en amont, demande beaucoup d’investissements humains et matériel et ce serait un coup dur si lui aussi était annulé.
Au-delà, c’est l’ensemble du monde du spectacle, déjà malmené par tant de mépris, d’euro-austérité et de néolibéralisme macronien, qui est frappé : pouvez-vous nous en dire plus sur la situation des intermittents et comédiens ? Y a-t-il des mesures spécifiques prises par le gouvernement ? Doit-on s’inquiéter de ce que la crise sanitaire ne soit aussi un choc économique accroissant encore la domination des multinationales de l’industrie « culturelle », du type Netflix, Bolloré et Cie ?
Oui, le secteur du spectacle a été très malmené par les diminutions de dotations aux collectivités locales. Le désengagement de l’État dans de nombreux secteurs a appauvri les villes et départements… qui ont coupé sévèrement dans les budgets culturels… principales ressources des compagnies indépendantes, des petits festivals. Cela a non seulement appauvri l’activité culturelle qui en découlait mais aussi l’emploi qui en dépendait. Cela fait plusieurs années que nous en souffrons tous.
Quelques gros producteurs s’organisent pour proposer une culture plus consensuelle, bien managée et rentable. La culture très subventionnée par le ministère de La Culture ne semble pas touchée, ce qui permet aux gouvernants de dire qu’ils soutiennent les arts. Mais le vivier des productions indépendantes, des compagnies, des festivals locaux est asséché petit à petit.
La crise issue du coronavirus vient comme un couperet. L’inquiétude est immense, pour nos santés et pour nos proches bien sûr, comme tout le monde, mais aussi pour nos avenirs professionnels. Les ministres du Travail et de la Culture ont annoncé que durant la période de confinement, personne ne perdrait ses droits à l’intermittence, que notre ouverture de droits serait prolongée d’aussi longtemps que la crise durerait… mais quelle crise ? Le confinement ? L’interdiction des grands rassemblements ? la crise économique qui l’accompagne ? Car il est peu probable que le soleil se lève un matin dans quelques semaines et que tout reprenne comme si…
Nous demandons donc, au vu de l’ampleur de la crise, à ce que tous les intermittents voient leurs droits systématiquement renouvelés pour une année entière. Et dans un an on fait le bilan. Nous nous battons aussi en ce moment pour faire reconnaître les droits de ceux qui auraient dû acquérir leur intermittence ce printemps et ne le peuvent évidemment pas faute des contrats qui leur manquent ces jours-ci.
Mais au-delà de la seule assurance chômage, c’est de salaires dont nous avons besoin. Il faut donc que les gros employeurs qui avaient provisionné l’achat des spectacles et l’embauche des intermittents les payent normalement, même si les spectacles ne peuvent avoir lieu. Il faut que les dispositifs d’activité partielle qui sont proposés aux entreprises, soient ouverts à nos structures et que ces heures d’activité partielle soient prises en compte pour l’ouverture de nos droits prochains. Mais dans notre secteur, le contrat ne se signe souvent que le jour même avec l’employeur, aussi faut-il prévoir un fonds abondé par l’État pour ceux dont les salaires ne seront pas honorés et une aide particulière aux petites structures qui n’ont pas la trésorerie par exemple.
La pression que nous devons exercer doit donc se diriger sur l’État, sur les gros employeurs et sur Pôle Emploi, tout cela à la fois. Et tout cela en étant confinés, privés des possibilités de manifestation, d’action qui nous ont permis souvent de nous faire entendre.
Ça ne va pas être facile mais nous comptons sur notre capacité collective à faire circuler une information claire et des revendications solides. Nous comptons aussi sur la solidarité des publics et des autres travailleurs. À ce titre les chômeurs du régime général, les intérimaires, les saisonniers ou les intermittents de la restauration n’ont pas cette chance d’être aussi soutenus… aussi devons-nous faire le travail pour nous et pour eux, avec eux, afin qu’ils ne soient pas les oubliés de la crise.
Si nous ne parvenons pas à obtenir cette mobilisation et à exercer les pressions nécessaires à notre survie, il est clair que nous devrons probablement vous laisser seuls avec TF1 et Netflix. C’est un choix de société qui en découle.
Face à cette situation, quelles actions comptez-vous mener afin de remédier au maximum aux difficultés financières ?
Nous allons vous faire les poches !
D’abord les poches de proximité, ce sont les plus fiables, celles de nos amis et spectateurs solidaires, des adhérents de la compagnie Jolie Môme. Nous avons ouvert une page « pour nous soutenir » sur notre site internet http://cie-joliemome.org Dès que nous le pourrons, nous proposerons des spectacles auxquels vous vous presserez, afin que nous nous retrouvions ensemble pour s’émouvoir et pour réfléchir agréablement.
Puis les poches des travailleurs en général, car l’intermittence c’est l’assurance chômage et la solidarité interprofessionnelle, ce sont nos cotisations à tous. Vous savez ? ce salaire différé dont on voudrait nous faire croire qu’il est une charge pour la société…
Faire les poches des contribuables car nous estimons que l’argent de l’État sera mieux utilisé dans l’éducation, la santé, les cultures et les services publics que dans le CICE ou l’armement.
Enfin les poches des actionnaires, des détenteurs du capital car c’est leur logique qui nous a menés à ces crises et nous comptons bien réquisitionner un jour les richesses et les outils de travail pour en faire le bonheur de tous plutôt que celui de quelques-uns.