Initiative communiste propose une réflexion personnelle stimulante d’Adrien Delaplace qui, après avoir analysé les liens entre “la crise du coronavirus et la sénescence du capitalisme”, démontre que le cuisant échec du capitalisme “libéral-libertaire” ouvre la voie au retour des nations ET de la classe ouvrière, dont le rôle est central pour la reconquête de l’hégémonie culturelle sur un plan politique ET sociétal, en particulier pour aborder l’urgence écologique dans une perspective de classe.
On sait que Lénine caractérisa la révolution de 1905 comme la répétition générale de la grande révolution bolchevique de 1917. Bien qu’il s’agisse d’un événement d’une tout autre nature, nous défendons ici que l’actuelle crise sanitaire constitue également une répétition générale, sans qu’il soit aisé de dire exactement de quoi.
Ni prétexte insignifiant, ni début de l’apocalypse, la crise du covid19 est une répétition générale
Certains commentateurs, y compris à l’« extrême gauche » (rejoignant en cela l’extrême droite « libertarienne »), ont lourdement minimisé la crise sanitaire, assimilée à un simple prétexte pour imposer des mesures liberticides ou anti-ouvrières qui auraient de toutes façons été prises sous une forme ou une autre. À l’inverse, des personnes, notamment dans la mouvance de l’écologie radicale (parfois mâtinée d’un marxisme superficiel), ont cru déceler dans la crise sanitaire le début d’un effondrement cataclysmique imposant de revoir tous les paradigmes politiques. Le marxisme commande pour sa part une attitude matérialiste et rationnelle, commençant par l’observation objective des faits : la pandémie causée par le nouveau coronavirus est bien trop sérieuse et lourde d’imprévus pour qu’on puisse l’assimiler à un simple prétexte à mettre en œuvre une stratégie du choc (même s’il est évident que les capitalistes tentent aussi de s’en servir en cette direction) ; son taux de mortalité et sa contagiosité, pour sérieux qu’ils soient, ne suffiront manifestement pas à susciter l’apocalypse.
En revanche, il est manifeste que la crise actuelle déborde le cadre sanitaire, ne serait-ce que par ses conséquences socio-économiques majeures dont la classe ouvrière paye déjà lourdement le tribut. Que cette crise s’inscrive pleinement comme un « point chaud » dans la crise systémique de plus en plus profonde du capitalisme ne lui ôte pas sa singularité. Elle prend également la forme d’une menace sur l’avenir dont l’anticipation peut conquérir une force considérable, tant de la part du grand capital que de la classe ouvrière. Quelque part, c’est presque le fait que le nombre de morts n’ait pas été encore supérieur, que les conséquences diverses n’aient pas été encore plus terribles pour l’instant qui constitue l’événement de l’« immédiat-après » de la première vague : au-delà de la question du caractère ou non proportionné de telle ou telle réaction, c’est bien l’émergence de la crise sanitaire comme répétition générale qui fait sens politiquement.
Agonie des formes libre-échangistes et libérales libertaires du capitalisme, et fascisation
Comme nous l’avons analysé dans un précédent article, la crise du coronavirus a consacré la chute mortelle de la forme sociologique de séduction, libérale libertaire, du capitalisme prise depuis l’après-guerre et analysée par le penseur marxiste Michel Clouscard. Cette forme sociologique reposant sur une forte permissivité apparente, préparant en réalité le néo-fascisme, est consubstantielle de la forme purement économique du libre-échangisme poussé à l’extrême, facilitatrice et accélératrice majeure de la propagation des épidémies.
Les déclarations martiales du président Macron à la mi-mars offrent une deuxième facette à la convocation structurelle de la guerre par le capitalisme (qui, selon la très juste expression de Jean Jaurès, porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage), dominée depuis le début du 21ème siècle par les discours sur la lutte contre le terrorisme. Encore les faits terroristes constituent-ils des actes humains volontaires et hostiles, même s’ils donnent lieu de la part de l’impérialisme à des répliques souvent disproportionnées et surtout toujours dirigées contre des cibles autres que celles revendiquées (guerre de 2003 contre l’Irak n’ayant rien à voir avec les attentats du 11 septembre 2001, atteintes au droit de manifester en France en 2015 à la suite des attentats…). Mais affirmer de façon répétitive « nous sommes en guerre » contre un virus dont on minimisait de façon irresponsable, seulement quelques jours plus tôt, la menace constitue un symptôme politique des plus significatifs, parfaitement symétrique du laisser-faire macabre de dirigeants d’extrême droite tels Trump ou Bolsonaro, qui dans cette crise sanitaire ont échangé, si l’on peut dire, leurs atours de nationalistes classiques avec ceux d’un Macron aux formes libérales libertaires dans tout le début de son mandat, faisant encore davantage éclater au grand jour la coïncidence du contenu de classe de ces deux postures « opposées » qui s’attirent irrésistiblement telles les deux polarités d’un aimant. Quelle que soit la forme, l’évolution du capitalisme que traduisent ces attitudes est une fascisation de plus en plus avancée. Malgré son accélération inquiétante, le processus n’est pas achevé : pris aux contradictions de leur propre inconscience (l’exterminisme ne peut pas exister sans se mentir au moins un peu, sauf à parvenir à son terme), nos dirigeants n’ont pas utilisé tout à fait la crise sanitaire comme un prétexte à la course finale au fascisme, mais en ont saisi les potentialités. Le bobard du « gel des réformes » en témoigne : insuffisamment préparés dans leur feuille de route patronale et technocratique écrite par la Commission de Bruxelles à l’adaptation à un l’imprévu sanitaire (que ladite feuille de route tend à refouler puisqu’il s’oppose au déroulement des opérations de destruction de tout ce qui contrevient à l’accumulation immédiate du profit et à la religion libre-échangiste), ils auront dû apprendre de celui-ci, en faire une répétition générale pour modifier et accélérer en même temps leur voie d’accès à la dictature ouverte, brutale, complète, du grand capital, c’est-à-dire le fascisme.
Le grand retour de la nation ?
Ainsi, le paradigme de la désindustrialisation et des délocalisations à tout va pourrait signer un retour de ce que les capitalistes ont parfois adoré ou feint d’adorer, avant que de le honnir jusqu’à l’indécent, l’État-nation. Il importe toutefois de prendre au sérieux la situation de blocage très instable qui agite l’Union Européenne à ce sujet, qui pourrait être tentée par une accélération brutale de l’« intégration » communautaire, c’est-à-dire de la désintégration des nations européennes et de ce qui y subsiste de conquêtes ouvrières, populaires et démocratiques, afin de poursuivre son projet politique de classe objectivement fascisant, tout en prenant en compte à sa manière la réalité matérielle liée aux désastres consécutifs à la destruction massive des forces productives du continent. Un tel projet, que Macron a encouragé depuis le début en promouvant une délétère armée européenne, doit être examiné à l’aune de son immense nocivité intrinsèque mais aussi de sa grande fragilité, dont nous marxistes devons tenter de tirer parti pour faire exploser cette construction effroyable du grand capital qu’est l’U.E.. Le Brexit de droite, s’il a montré les dangers de l’illusion d’une sortie sans contenu de classe progressiste (avec une gestion de crise sanitaire aussi calamiteuse par le Royaume-Uni que par les pays de l’U.E.), illustre aussi les tensions considérables qui agitent l’U.E. ; la contradiction entre la volonté d’un retour à une forme (fût-elle capitaliste) de souveraineté nationale et la lutte désespérée du capital en grande crise systémique pour lutter contre la baisse tendancielle et structurelle du taux de profit, qui conduit toujours à davantage de délocalisations, éclate au grand jour. Et pas seulement en Europe : les États-Unis trumpiens sont bien sûr concernés, par exemple.
L’exacerbation des tensions entre les « démocraties » auto-proclamées et la Chine à l’occasion de cette crise sanitaire peut légitimement faire craindre que celle-ci ne soit la répétition générale d’un conflit mondial. Pas pour l’immédiat : les pays impérialistes dépendent trop de la Chine, notamment, pour se lancer dans une guerre ouverte contre elle. Mais la prise de conscience de l’irresponsabilité de cette dépendance peut conduire à y remédier partiellement pour rendre « jouable » une telle option militaire pour les États-Unis, qui ont tout récemment relancé leur production des cruciales terres rares, bénéficient de ressources énergétiques significatives sur leur territoire, et n’ont cessé ces dernières années de resserrer l’étau fascisant sur l’Amérique latine qui constitue leur arrière-cour riche en ressources. Dans un tel conflit, l’U.E. se trouverait à la remorque des États-Unis, les enjeux des néo-colonies fournissant une contradiction secondaire avec l’impérialisme dominant.
C’est une loi universelle du capitalisme : la guerre devient régulièrement nécessaire au grand patronat pour apurer provisoirement ses contradictions, pallier sa crise de surproduction. La pandémie de coronavirus rend cette sinistre échappatoire provisoire plus pressante, nous devons nous y préparer. L’« Occident » capitaliste sombre peu à peu, comme le montre la terrible comparaison du bilan de mortalité de l’actuelle épidémie, rapportée à la population totale, avec la Chine, pourtant foyer initial. Menacé d’un déclassement complet (qu’il a organisé lui-même) en termes de forces productives, mais aussi scientifique et culturel, le vieux monde impérialiste reste un géant dans le domaine militaire. Une situation lourde de danger, où l’étude dialectique de la question nationale et de ses interactions avec les luttes de classes s’avère particulièrement indispensable. Les contradictions intrinsèques au socialisme de marché prôné par la Chine mériteront également une analyse approfondie des communistes du monde entier ; une grande part de l’avenir de l’humanité dépend sans doute de la capacité des dirigeants de la Chine populaire à s’émanciper progressivement mais fermement d’une immersion, menée sur des bases nationales et indépendantes, dans le capitalisme international, dont les maîtres actuels ne toléreront pas très longtemps leur hégémonie condamnée.
Le grand retour de la classe ouvrière ?
La crise sanitaire a aussi illustré de façon spectaculaire l’ineptie des contes sur la disparition de la classe ouvrière, les « usines sans ouvriers » et autres extrapolations des plus hasardeuses des possibilités offertes par la généralisation des communications à grande distance quasi instantanées et la suraccumulation du capital. Elle illustre la fragilité extrême, non seulement objective (conditions matérielles de production nous rendant très vulnérables au moindre imprévu sérieux), mais aussi subjective, de l’impérialisme pourrissant : en réduisant considérablement les forces ouvrières organisées dans notre pays et en les déclassant massivement, la bourgeoisie a certes pu remporter des victoires provisoires majeures, mais elle se rend particulièrement dépendante de celles qui subsistent, au moins dans certains secteurs (notamment ceux nécessitant une qualification spécifique qui ne s’acquiert pas du jour au lendemain), et se rend aussi très dépendante des classes ouvrières montantes d’autres régions du monde. Les premiers de corvée sont revenus en partie sur le devant de la scène, et l’ampleur des sacrifices et risques que les capitalistes ont exigés d’eux au nom de la lutte contre l’épidémie pourront les aider à sortir de la torpeur relative où les ont plongés la défaite de la majeure partie du camp socialiste de la fin du 20ème siècle et la dégénérescence opportuniste d’une très large portion du mouvement ouvrier qui l’a accompagnée. Un aiguisement mondial des luttes de classes est inéluctable : à nous d’œuvrer pour que la fin de la relative invisibilité de la classe ouvrière serve de répétition générale au retour de sa centralité objective et subjective, indispensable à la renaissance d’un parti communiste révolutionnaire et puissant, apte à diriger la future révolution socialiste.
Les questions écologiques dans la lutte de classes
La reconquête de la centralité ouvrière est inséparable de la bataille pour l’hégémonie culturelle, dans la double acception du terme – accession et maintien au pouvoir politique (dictature du prolétariat), mais aussi primat prolétarien dans les questions « sociétales » qui rythment aussi la vie politique nationale et les luttes de classes. L’ampleur du travail à accomplir en la matière ne doit pas être sous-estimée : la façon largement piégée dont ont été menées des controverses de nature médicale et scientifique dans cette crise (où l’opposition la plus en vue aux idéologues faillis de la macronie est venue d’une mouvance aussi réactionnaire, tant en politique qu’en science) l’illustre, tout comme la manière biaisée dont les médias dominants ont dû reconnaître le rôle essentiel du prolétariat pour faire face à la crise, mettant à la rigueur en avant aides-soignantes, chauffeurs-livreurs, caissières ou éboueurs, mais presque jamais la classe ouvrière des usines qui demeure, même dans notre France gravement désindustrialisée, l’un des maillons les plus essentiels de la survie à court, moyen et long terme du pays.
Nous ne devons pas non plus oublier, pour conquérir l’hégémonie culturelle propre à montrer notre capacité à diriger une nation et le monde sur des bases collectivistes, le rôle de la crise environnementale globale, majeure et très inquiétante, que connaît l’humanité. Il est évident que le grand capital cherche à détourner le regard du peuple des questions de classes en se focalisant sur les questions écologiques (le rôle nocif d’EELV ne saurait être trop dénoncé, à ce titre, parmi d’autres), mais en prendre prétexte, comme certains révolutionnaires de parade qui s’imaginent préserver ainsi leur pureté prolétarienne, pour en sous-estimer l’importance reviendrait au contraire à céder la place à notre adversaire de classe, à renoncer complètement à l’hégémonie culturelle sur question majeure pour l’avenir de l’humanité, y compris pour l’organisation des forces productives, bref, à se cantonner, derrière un discours gauchiste, à la vieille posture économiste réformiste. La crise environnementale globale (climat, biodiversité, pollutions, épidémies…) n’en est même plus à sa répétition générale : elle est devenue une réalité de plus en plus pressante. La bourgeoisie cherche-t-elle à faire de la crise sanitaire la répétition générale du basculement dans un « capitalisme vert » de catastrophe, complètement illusoire, qui ne pourra qu’accélérer les contradictions, y compris sur le plan écologique (avec la ruée sur les « terres rares » nécessaires en masse à la voiture électrique, présentée mensongèrement comme vertueuse pour l’environnement, par exemple) ? Cherche-t-elle à faire du confinement, rendu nécessaire par l’impréparation et la situation du système de santé français, le prélude à des restrictions de plus en plus fréquentes dans la consommation courante des travailleurs, pendant que les grands bourgeois continueront à gaspiller, polluer, détruire en masse ? Tous ces dangers doivent nous convaincre d’urgence d’occuper le terrain environnemental, en commençant par caractériser lucidement la composante écologique de l’exterminisme capitaliste comme majeure et indissociable des autres (militaire, linguistique, culturelle…). Faisons de la crise sanitaire la répétition générale de la convergence effective, théorique et pratique, des luttes de classes, des luttes écologiques, mais aussi féministes ou anti-racistes, dont la seule teneur durable du lien tiendra à l’hégémonie ouvrière, éclairée des lumières du matérialisme dialectique, de la science, dont la mise à mal participe également de l’exterminisme. Préparons des mesures d’urgence écologique de classe unissant le prolétariat des villes, des banlieues et des campagnes (et donc le monde paysan, massivement paupérisé et prolétarisé), français et immigré, femmes et hommes… Parmi les lignes directrices (non exclusives) qu’un tel programme pourra comprendre, citons-en deux particulièrement importantes :
- le développement massif du transport ferroviaire, massacré par les directives européennes transposées avec zèle et acharnement anti-cheminot par Macron, qui pousse la manipulation jusqu’à prétendre aujourd’hui, depuis son discours du 14 juillet 2020, vouloir faire du train un outil de la relance, mais sans rien de réellement concret (sinon la poursuite dans la voie du démantèlement de la SNCF imposé au forceps juste avant la crise sanitaire…), alors que le délétère rapport Philizot sur les « petites lignes » ferroviaire, paru juste avant le confinement, préconise de fait un élagage drastique du réseau ferré (tout en prétendant le sauver, comme d’habitude) ;
- la remise en cause complète du modèle agricole délétère imposé depuis la fin de la seconde guerre mondiale sous impulsion états-unienne via l’U.E.. Il s’agit à la fois de sortir de l’emploi de masse des produits dits phyto-sanitaires, en réalité écocidaires, mais aussi de sortir de la consommation de masse d’aliments d’origine animale, dont les conséquences écologiques et sanitaires sont dramatiques (les trois coronavirus dangereux pour l’homme ayant émergé au 21ème siècle – le SRAS, le MERS puis le Covid-19 sont d’origine animale, comme la majorité des pathogènes émergents : l’élevage de masse constitue une bombe microbienne dont le potentiel se rappelle de plus en plus souvent à nous). Cela suppose bien sûr de développer et réorienter la recherche agronomique (largement dépendante des groupes de pression des pesticides).
Dans les deux cas, ces mesures (qui nécessiteront de nombreux développements dépassant le cadre de cet article) sont inséparables de la restauration de la souveraineté nationale et industrielle de la France : un fret ferroviaire massif et performant est indispensable à la relocalisation de l’industrie lourde et aux acheminements de masse parfois imprévus (masques, gels hydroalcooliques, par exemple) ; la consommation de viande à un niveau aussi élevé qu’aujourd’hui, en France, n’est possible qu’à cause de l’importation massive de soja transgénique (d’Amérique latine, en général), entre autres, et le retour à la souveraineté alimentaire est impossible en maintenant ce niveau très élevé. La pleine sortie progressiste des paradigmes euro-impérialistes en matière de politique de transports ou agricole suppose la sortie de l’U.E., la mobilisation des ouvriers et paysans, la fin de la mainmise oppressante des multinationales sur la recherche scientifique, et la coopération avec les États socialistes (les succès de Cuba en matière d’agro-écologie, même si la situation agricole de l’île est très différente de celle de la France, devraient constituer une source d’inspiration et d’échanges importants) ou conservant un potentiel d’orientation socialiste (le savoir-faire industriel de la Chine, acteur majeur du développement du chemin de fer dans le monde, constitue un atout face aux saignées effroyables qu’ont connues la SNCF et Alstom, jadis à la pointe de la technologie ferroviaire).
Adrien Delaplace pour www.initiative-communiste.fr