Vous hurliez ? J’en suis fort aise. Eh bien, frissonnez maintenant !
Voilà ce qu’en substance on aimerait rétorquer aux plaintes qui émanent depuis quelques semaines des directions de certaines maisons d’opéra françaises qui supplient l’État de bien vouloir mettre la main à la poche pour les aider à traverser sans (trop) d’encombre leurs difficultés financières actuelles. Elles pointent l’augmentation rapide des coûts de l’énergie.
D’où notre sarcastique paraphrase de la fameuse fable, tant résonne encore à nos oreilles le chœur unanime des frénétiques indignations culturelles contre l’entrée des troupes russes en Ukraine. Une crise des opéras hexagonaux due à la flambée des prix du gaz, donc ?
Ce serait exonérer à bon compte, certains. Radio-France[1] le signale en passant : « L’explosion des coûts de l’énergie a porté le coup de grâce ». Coup de grâce après quoi ?
A BAS LE JACOBINISME VILAIN! VIVENT LES ROITELETS!
Depuis la décentralisation administrative impulsée dans les années 80 et encore davantage depuis les regroupements de Régions décidée sous le ministère Valls, l’État central se défausse petit à petit de la responsabilité culturelle sur les collectivités territoriales (région, département, métropole). Liberté de décision accrue pour ces dernières diront certains. En réalité, le soutien à long-terme de structures permanentes entre de plus en plus en contradiction avec l’appétence de nombre d’élus locaux pour les « appels à projets », qui présentent deux avantages très politiciens : visibilité de chaque donation et auto-alignement des requérants sur les humeurs du payeur …. Laurent Wauquiez, Président de la région Auvergne-Rhône-Alpes s’est particulièrement distingué dans l’exercice !
OPTIMISATION PHILANTHROPIQUE, SALAIRE A LA TACHE
Mais cette instabilité provoquée du financement public de la culture répond aussi à une autre logique : l’incitation au « mécénat », pour promouvoir une vision managériale de l’activité. Le secteur devrait se convertir petit à petit au management culturel importé d’outre-atlantique vivement souhaité par Bruxelles. Un mécénat de moins en moins facile à dénicher, puisqu’avec les baisses d’impôts, la déduction fiscale perd de son intérêt ! Nos riches philanthropes semblent manquer d’empressement. Le Ministère de la Culture a finalement accepté de donner quelques coups de pouce (Opéras de Rouen et Opéra de Lorraine notamment)[2].
Autre signe d’une possible ubérisation, les ensembles et orchestres indépendants (lire : employant des musiciens non mensualisés) connaissent depuis quelque temps un bel essor, avec des saisons parfois très denses et programmant des opéras, essor substantiellement – mais pas intégralement – soutenu par de l’argent public… Si l’entretien de l’ « art (historiquement) bourgeois » est la dernière couche du vernis de respectabilité de la bourgeoisie européenne, certains, bien atteints par la monomanie du tiroir-caisse, semblent tout prêts à appliquer le décapant. Or, fondamentalement, le développement des forces productives devrait permettre à la société dans son ensemble d’y mettre les moyens. La crise de l’opéra n’est qu’une façade de la crise du capital. La musique et l’opéra se portent très bien dans les pays moins soumis au capitalisme
Refusons de fermer les théâtres pour mieux approvisionner les marchands de canons. Exigeons que l’argent public aille aux œuvres de paix et de culture !
En attendant, quand les productions sont annulées, comme un Carmen qui devait être donné cette année à Nancy, le plateau ne reçoit aucun dédommagement. C’est évidemment encore plus dramatique pour les permittents (musiciens, maquilleuses, modistes etc.). Les larmes de crocodiles médiatiques sont un aveu de la faillite du capitalisme, de son incapacité à générer un art de qualité.
« Etincelles », revue du PRCF, publiera prochainement un article consacré à l’Opéra et à la musique insistant notamment sur leur plus large diffusion possible.
[1] https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/reportage/explosion-des-couts-operas-et-orchestres-sont-en-train-de-suffoquer-6478657
[2] https://www.radiofrance.fr/francemusique/operas-en-souffrance-l-etat-annonce-des-coups-de-pouce-8011440