Le spectateur pénètre dans la salle obscure désormais imprégné, si non conditionné, par les commentaires, annonces, interviews et autres “tweezer”. Les “sorties de la Semaine” sont précédées d’un tam-tam qui biaise quelque peu la réception du film. Pas facile de se risquer à avouer un mortel ennui devant le film porté aux nues par les prescripteurs d’opinion, ou de faire la moue devant la dernière production du monstre sacré, à moins que la dernière tendance ne convoque au débinage. (1)
Ajoutez y le nombre de sorties hebdomadaires, la brièveté du passage en salle, les horaires souvent dissuasifs dès la deuxième semaine – s’il y en a une -, la marge de manœuvre de l’amateur est étroite, quand de surcroît, le tarif rationne les séances.
L’accueil réservé à deux films de cette rentrée fut à cet égard exemplaire. Vu l’importance de la couverture média autour de la sortie de “Une fille facile”, et après quelques semaines d’exploitation, il était temps d’aller voir le dernier opus de la réalisatrice Rebecca Zlotowski.
« Une fille facile »
Naïma, 16 ans, vit à Cannes avec sa mère, femme de ménage dans un palace. Rejointe par sa cousine le temps des vacances, elle découvre avec elle le monde de l’argent roi et de la vie facile. Pourquoi pas. Mais aguicher le spectateur des lignes de Zahia Dehar – dans une ahurissante référence à Bardot, jusque dans le phrasé – de plongées dans les eaux turquoises des criques, de pénétration concupiscente dans le monde des riches, on a fait mieux en matière de lutte de classes, puisqu’en fin, le film nous est aussi vendu sur cette imparable qualification. Le titre provocateur affiche l’intention de suivre une fille bien roulée qui aguiche à tout va et berne sans vergogne ses proies oisives.
Cette histoire est celle de l’interprète du rôle, escortgirl dans le monde du foot qui fit scandale voici une dizaine d’années. Cooptée dans l’univers du 7eme art, et pas n’importe lequel puisque Zlotowski fait des films d’auteur, voilà qu’elle délivre au spectateur par cousine interposée une leçon de philosophie de la liberté. Et il est bien obligé de s’y plier, au risque de passer pour sexiste, retardé, coincé sans doute. Consulté le baromètre des entrées, et malgré une présence en salle étonnamment prolongée, le niveau des entrées s’effondre dès la deuxième semaine. N’est pas Bardot, ni Vadim, qui veut. Rebecca Zlotowski est la réalisatrice de la série “ Sauvage” diffusée en cette rentrée et qu’il ne faut rater sous aucun prétexte. L’audimat à ses exigences. Il a besoin de rabatteurs.
À côté de ça, une “ Vie scolaire” réalisée par Grand Corps Malade.
« la vie scolaire »
Un collège de Seine Saint Denis , dans une ZEP, éducation prioritaire inconnue dans le 5ème arrondissement. Une peinture de la “communauté éducative”, selon le jargon en vigueur. Arrivée d’Ardèche, Samia, la nouvelle Conseillère Principale d’Education effectue sa première rentrée dans l’établissement. L’humour est convoqué pour cette chronique de la vie ordinaire des élèves, de leurs profs, des surveillants. La gravité et les difficultés sociales affleurent avec l’irruption du monde carcéral et de la délinquance. La prison est en effet le trait d’union entre Samia, dont le compagnon purge une peine pour trafic de drogue et les élèves pour qui elle relève de l’expérience quasi ordinaire, père, pote, voisin, frère, étant passé par là. Pourtant, ces filles et ces garçons – ces derniers surtout – bourrés d’ énergie et de vitalité, sont à mille lieux des images désespérées, complaisantes aussi, d’une jeunesse des banlieues définitivement islamiste, délinquante, sexiste, violente et fainéante, irrécupérable en somme. Grand corps malade et Mehdi Idir prennent le contre pied des visions simplistes et caricaturales. Une galerie de portraits pétris de vérité et de tendresse pour des personnages ordinaires, les surveillants, les enseignants montrés dans leur complexité, leurs fragilités, les dilemmes qui les troublent, les ressources personnelles qu’ils mobilisent face aux situations, la rigolade en étant une composante à part entière. La succession des saynètes souvent comiques et plus rarement hilarantes laissera parfois le spectateur sur sa faim : sans être un chef d’œuvre, le film pourtant emporte l’adhésion. Pour sa cinquième semaine d’exploitation, il est en 9eme place, en 7eme pour Paris et sa périphérie. Une fille facile, sorti en même temps, a disparu des radars. Le public a préféré, dans ses imperfections, l’authenticite et l’humour d’une comédie sociale qui sonnent juste, à un produit culturel transgressif calibré.
Françoise pour www.initiative-communiste.fr
- terme français correspondant au “bashing”, si prisé de la mediasphère.