initiative-communiste.fr s’est penché sur les résultats catastrophiques obtenus par les petits Français en mathématiques. Voici le troisième et dernier de l’enquête qui en compte trois au total. L’intégralité de l’article est à retrouver dans la revue Étincelles.
L’épisode précédent déjà paru expliquait la stratégie systèmique qui a conduit au délitement de l’enseignement des mathématiques. Ce troisième et dernier épisode revient sur:
Les facteurs matériels et organisationnels qui ont permis l’avilissement de l’enseignement des mathématiques
Après être revenu sur les choix politiques de long terme qui sous-tendent cet effondrement, il faut néanmoins revenir sur les facteurs matériels et organisationnels qui ont permis cet avilissement d’un enseignement qui faisait l’admiration du monde entier. Ces causes sont nombreuses et ne doivent surtout pas être ignorées tant dans leur diversité que dans leur mesquinerie pour bon nombre d’entre-elles.
Un management par la peur et la division.
En effet, toutes ces politiques anti-éducatives n’ont pu être mises en place sans une campagne de terreur et de mépris qui a visé l’ensemble de la profession enseignante et en particulier ceux de la discipline par nature la plus réfractaire à ce basculement obscurantiste : les mathématiques, par nature. L’enseignement des mathématiques est consubstantiel de celui de la Raison et au-delà de celui de la Démocratie, il devait être attaqué.
À la suite de ses ministres, des hiérarchies serviles sont comptables de cet effondrement. Ce sont elles qui ont littéralement tordu le bras de l’institution rendant de fait la tâche impossible aux enseignants de mathématiques. Dans un bel ordonnancement descendant, recteurs, directeurs académiques des services de l’éducation nationale, inspecteurs du primaire et du secondaire, personnels de direction, tous ont porté le fer contre un enseignement qui réussissait et qui avait permis la mise en place réelle de la méritocratie républicaine. À coup de menaces, d’humiliations, de sanctions, de divisions des équipes professionnelles, ils ont imposé dans les salles de classe de nouvelles pratiques qui ont conduit à remplacer l’enseignement rigoureux des mathématiques par des activités occupationnelles pseudo-ludiques et débilitantes tout en clamant que ces nouvelles pratiques réduiraient inégalités et échecs scolaires.
- L’apprentissage rigoureux du calcul et particulièrement du calcul mental a été découragé en primaire.
- L’apprentissage procédural et conceptuel a été remplacé par une approche par compétences mettant en avant une visée utilitariste et contextualisée : les compétences.
- La différenciation pédagogique a institué le renoncement à instruire tous les élèves.
- Au collège, l’enseignement de la démonstration et des procédures algébriques (calcul littéral et résolution d’équations) a été fortement réduit et réservé aux meilleurs élèves tandis qu’un enseignement simpliste et inutile du langage informatique venant en complément de l’invasion irréfléchie de l’outil informatique.
- L’évaluation honnête des élèves a été remplacée par le passage systématique de classe en classe et la réussite pour tout le monde au diplôme quel que soit le niveau réel de l’élève.
Le niveau s’est effondré y compris chez les meilleurs. Dans l’enquête TIMSS 2019, seuls 3% des élèves de CM1 sont très bons en mathématiques contre 7% en moyenne dans l’OCDE. A contrario 12% des petits Français sont en très grande difficulté contre 8% des élèves de l’OCDE. En toute logique, les résultats des collégiens de Quatrième sont du même acabit accablants. Ces résultats corroborent ceux de l’enquête Cedre 2014 qui montrait une maîtrise du calcul littéral très insuffisante en Troisième.
Ce sont ces chaînes hiérarchiques serviles qui sont responsables d’une école primaire qui envoie 40% de ses élèves au collège alors qu’ils sont, selon l’enquête officielle Cedre, incapables de suivre au collège. Ce sont eux qui ont décidé de « réformer » et changer les programmes à un rythme effréné, allant même pour Vallaud-Belkacem jusqu’à imposer sa réforme à quatre niveaux en même temps et pour Blanquer à imposer sa destruction du lycée public et du baccalauréat national qui rend l’enseignement des mathématiques optionnel à partir de la première à coup de matraques et de LBD contre la Jeunesse et de conseils de discipline pour le corps enseignant.
Ils devraient être virés, ils ont tous été promus touchant des salaires à cinq voire six chiffres et des primes indécentes, tandis que les salaires enseignants touchent le fond.
Il faut ici saluer les courageux enseignants qui résistent pied-à-pied pour continuer à enseigner les mathématiques avec rigueur et passion car à la suite de Socrate enseignant à l’Esclave Ménon, ils ont compris la vertu profondément émancipatrice de la rigueur mathématique et son rôle indispensable contre l’obscurantisme, quel qu’en soit l’origine et la hauteur dans la hiérarchie sociale. Cela se paye par des avancements ralentis et des mesures vexatoires. Cela se paye aussi par un isolement professionnel de plus en plus grand, car il ne faut pas cacher que les salles de professeurs possèdent aussi leur lot de manœuvriers habiles, avides d’appliquer les dernières consignes à la mode, fût-ce au détriment de leurs élèves, de leurs collègues et de leur Nation, si cela est payé de quelques compliments, de quelques primes rachitiques voire, espoir ultime, d’un petit pouvoir local. Combien « d’Avenir professeurs » en gestation ? Et puis il y a la masse immense de ceux qui ont renoncé par manque de courage ou épuisement, baissant la tête et suivant les consignes à contrecœur, tout en grommelant contre « les syndicats » et en renonçant tout autant à lutter qu’à enseigner pendant que l’État fait semblant de les reconnaître et de les payer.
Des campagnes médiatiques haineuses.
Afin de faire passer ces politiques de destruction, les hiérarques zélés ont pu compter sur le soutien indéfectible des éditocrates haineux qui à longueur de tribunes n’ont cessé d’accuser les enseignants – d’abord coupables d’être fonctionnaires – de tous les maux. Successivement trop nombreux, fainéants, pédophiles, harceleurs, malveillants, malcomprenants, puis décrocheurs et apeurés du COVID, ils n’eurent droit qu’à quelques fugaces et hypocrites instants de commisération lorsque Samuel Paty fut décapité en pleine rue au sortir de son collège par un fanatique religieux à qui il avait été désigné par ses propres élèves. Quelques jours auparavant il avait été soutenu comme la corde soutient le pendu par un inspecteur pédagogique régional venu pointer ses « maladresses ». Las, depuis la machine à casser du « prof » a repris son rythme de la haine et les enseignants sont devenus dans la bouche du ministre Blanquer (qui annula l’hommage au professeur républicain assassiné) des « islamo-gauchistes » et dans le porte-voix fielleux de ses éditocrates affidés des géniteurs de black blocks.
La dernière insulte à la mode sur BFN-TV est devenue « fils de profs » !
Comment s’étonner dans ces conditions que l’opinion publique et donc les parents d’élèves se montrent de moins en moins solidaires et de plus en plus agressifs envers les enseignants, accroissant ainsi le climat de violence envers des professeurs désarmés et rendus incapables de faire fonctionner l’ascenseur républicain auxquels nombres de parents croient et aspirent encore ?
Comment s’étonner, alors que les conditions de travail sont épouvantables à tous points de vue et que les salaires enseignants tutoient le salaire minimum, que les concours de recrutement de professeurs de mathématiques et de professeurs des écoles n’arrivent plus à recruter des étudiants compétents, nourrissant ainsi le cercle vicieux du déclassement pour la profession et du sous-développement pour le pays.
Qu’est-ce qu’une puissance nucléaire et spatiale qui n’arrive plus à former et recruter 1 000 professeurs de mathématiques par an ? Car oui, il faut le dire et le redire, nous en sommes là !
Les viviers de recrutement ont été volontairement taris.
Là aussi d’ailleurs il faut revenir sur les causes et les renoncements qui expliquent cet effondrement. Alors même que le gouvernement Sarkozy (actuellement multi-poursuivi) fermait à double tour les robinets de recrutement des professeurs de mathématiques: le nombre de places au concours fut diminué de plus de 60%; la formation des enseignants fut profondément abîmée avec la disparition de la formation professionnelle et le recrutement au niveau du master dans des pseudo-Masters enseignement dont le contenu disciplinaire complètement vide et l’organisation n’ont cessé de varier jusqu’à aujourd’hui, démontrant, s’il le faut, l’inanité de cette contre-réforme. Le but :
- en finir avec le recrutement par la voie du concours et du statut pour le remplacer par celui de contractuels (recrutés parfois jusqu’à Pôle Emploi comme l’a montré la récente annonce visant à recruter un enseignant d’Histoire-Géographie dans le collège de S. Paty !) ;
- dans le même temps, satisfaire des directions syndicales euro-compatibles (FSU en tête) avides de gloriole et de diplômes ronflants, et préférant surtout se payer de mots et de groupes de travail plutôt que d’organiser et soutenir la lutte pour la défense du statut de la fonction publique hérité de Thorez et des concours hérités de Monge. C’est qu’une lutte conséquente obligerait à aborder la question fâcheuse de la rupture nécessaire avec l’Union Européenne, et plus près avec la profitable Confédération Européenne des Syndicats.
- Passer sur les fonds baptismaux du système européen LMD et de ses crédits d’enseignement, tout en donnant un os à ronger aux élites universitaires qui depuis leur mise en concurrence par la loi LRU font feu de tout bois pour enfler par tous les moyens possibles (et s’en prendre au passage aux classes préparatoires aux grandes écoles dont l’efficacité n’est plus à prouver notamment pour la promotion des enfants de la classe ouvrière, tout en créant des filières sélectives de plus en plus onéreuses).
Las, le lien entre les parcours de recherche et d’enseignement a été rompu avec pour première conséquence, la baisse catastrophique du niveau réel de recrutement des enseignants de mathématiques (nombre de capésiens étaient titulaires d’une maîtrise en mathématiques pures, d’un DEA ou avaient préparé l’Agrégation). Seconde conséquence encore plus pernicieuse, la sélection par l’argent des étudiants recrutés du fait de l’augmentation du nombre d’années d’études à payer conduisant en sus à creuser le fossé sociologique entre enseignants et élèves. Troisième conséquence, une attaque sans précédent contre l’Agrégation, clef de voûte du système éducatif et garantie du haut niveau de compétence des enseignants tout comme du lien entre le second degré et l’enseignement supérieur.
Au vu des conditions de travail et de salaire, il n’est pas étonnant que les meilleurs étudiants, qui sont par ailleurs de moins en moins nombreux, se détournent des carrières de l’enseignement, le phénomène étant dramatique dans le premier degré où nombre de néo-titulaires ont un niveau en mathématiques équivalent à celui du collège !
L’abandon par les milieux universitaires.
Il faut alors regretter le silence assourdissant des milieux universitaires mathématiques qui, en dehors de quelques voix courageuses mais isolées, ont laissé faire, ont laissé passer et même ont soutenu ou mis en place ces contre-réformes mortifères, laissant le champ libre, ou participant aux attaques contre leur propre champ disciplinaire en échange d’un quelconque hochet vite repris.
Comment accepter que l’école du socle de compétences utilitariste et réactionnaire de Fillon ait pu être mise en place, rayant du même coup tous les acquis universalistes hérités de Descartes, de Galois et de Bourbaki, sans que les milieux universitaires s’insurgent ? Comment comprendre que la mise à sac de l’enseignement des mathématiques par Vallaud-Belkacem avec une diminution équivalente à cinq semaines de cours en troisième et le remplacement de pans entiers du programme par un pseudo-enseignement informatique n’aient pas fait lever le petit doigt à nombre d’universitaires? Comme ne pas pleurer de rage quand une médaille Fields, issue du creuset républicain et nourrie de l’excellence de l’enseignement des mathématiques en France, s’est précipitée pour mettre son nom sur une contre-réforme du lycée et du baccalauréat qui ferme l’accès à l’enseignement des mathématiques à 40% des bacheliers, au premier rang desquels les jeunes filles, tout en transformant cet enseignement devenu optionnel en un tri social ignoble et insupportable tant pour les élèves que pour les professeurs ?
Pourtant, alors que l’École mathématique française vit sur ses derniers acquis, la destruction de l’enseignement de la discipline dans le primaire et dans le secondaire se paye déjà de la difficulté à recruter des enseignants compétents dans la discipline. Les viviers sont taris, qui seront les médailles Fields de demain ? D’autant plus que la Recherche et l’Université sont désormais attaquées de front et se trouvent esseulées maintenant que le « mammouth » est à terre…
Les jeux dangereux de parents complices et d’élèves paresseux.
Enfin, il serait injuste de ne pas évoquer la démagogie et le jeu dangereux des associations de parents d’élèves et la démission de nombreux élèves eux-mêmes.
Ces derniers sont certainement plus victimes que responsables. Leur jeune âge en a fait des proies faciles pour la démagogie et la manipulation. Comme l’a démontré le scandale d’État « Avenir Lycéen », si l’on achève bien les professeurs, on achète aussi très bien les élèves. Et si tous ne sont pas élevés dans la macronie et payés en restaurants étoilés ainsi qu’en matériel high tech, tous sont achetés par une surévaluation chronique les empêchant de pallier leurs lacunes et de progresser dans leurs apprentissages tandis que les diplômes ainsi obtenus sont dévalués et discrédités pour le plus grand profit du patronat. Comment expliquer que les taux de réussite au diplôme national du brevet et au baccalauréat explosent, atteignant quasiment 100%, alors même que toutes les enquêtes internationales démontrent un effondrement catastrophique ?
Dans le même temps, dans une société qui, on l’a vu, se détourne des sciences et de l’industrie au profit du règne brillant des colifichets de la publicité et de la spéculation, comment les élèves de France ne cèderaient-ils pas à l’attrait du business et de l’argent facile qu’il promet ?
Personne n’est dupe, ni les enseignants qui savent trop bien ce qu’ils sont contraints de faire, ni les parents trop heureux de fêter le bac du petit dernier, ni les élèves, qui sont les premiers conscients de leurs difficultés mais qui, baignés dans le monde avilissant des réseaux sociaux et d’Hanouna naviguent entre paresse, consumérisme et peur d’un avenir fait de chômage, de reculs sociaux et de catastrophes écologiques et sanitaires.
Il n’empêche, il ne faut pas oublier que les mauvais résultats des élèves français mesurent d’abord une absence de travail et de de volonté. La comparaison avec les pays réussissant le mieux, dans lesquels les élèves sont particulièrement assidus, attentifs et respectueux de leurs enseignants, est ici édifiante. Il serait bien injuste que les élèves français sur qui repose l’avenir du pays ne prennent pas leur part de cette catastrophe.
Beaucoup plus coupables que responsables sont les parents et leurs associations, qui en dépit de ceux encore nombreux qui luttent pour la défense de l’école publique et de l’intérêt collectif, n’ont, par facilité et démagogie, eu de cesse de marcher dans les pas des gouvernants, qu’ils soient réactionnaires sarkozistes, jospiniens ou les deux en même-temps.
Pour acompte de leur trahison et de leur soutien à ces contre-réformes, les parents se sont vu accorder par l’institution le droit de se livrer à des intrusions plus en plus délétères et violentes dans les établissements scolaires, ouvrant grand la porte des établissements scolaires aux idéologies réactionnaires ainsi qu’à l’obscurantisme. Pour solde de tout compte, ils ont obtenu pour leurs enfants une fausse bienveillance basée sur la disparition hypocrites des mauvaises notes et la distribution en masse de diplômes aussi solides que le pied d’un arc-en-ciel en lieu et place de diplômes nationaux solides, fondations jusqu’à présent des conventions collectives qui garantissaient la défense des salaires de tous.
Oui, on le voit, d’attaques en complicités et de complicités en renoncements, la catastrophe est arrivée avec en bout de ligne des élèves et des enseignants qui paient le prix fort et un Pays qui est en train d’hypothéquer son avenir.
Oui, il n’y a pas d’alternative, il faut choisir les Lumières et non l’obscurantisme, il faut résolument défendre l’indépendance d’Esprit et la Raison. Il faut lutter pour enseigner les mathématiques et il faut enseigner les mathématiques pour lutter.
Pour commencer, il faut que les véritables responsables de ce désastre rendent des comptes et que le ministre Blanquer démissionne suivi de ses affidés noyautant Direction Générale de l’enseignement scolaire et rectorats.
Bravo pour cet article.
Si je ne trompe pas, le dernier mathématicien panthéonisé (Lagrange) est mort fin 18ème siècle. Symptomatique, non ?
Il y a bien longtemps que le collège est le maillon faible en mathématique. Depuis quelques années, le lycée constitue le second maillon faible. Le cours de 1ère et Terminale est totalement délabré, le programme est vide. Plus de rigueur, de raisonnement par analogie, de représentation mentale des concepts, d’intuition, de démonstration, de liens entre les chapitres. La théorie des ensembles est abandonnée tout comme le calcul matriciel et la notion de vecteur. Les nombres complexes sont en option… Donc plus aucune notion « multidimensionnelle »!! J’arrête car il me faudrait un espace bien plus long.