par Bruno Guigue
I – L’éloge passéiste de la cité antique
Omniprésente dans les manuels scolaires, Hannah Arendt passe pour une grande philosophe, et on ne compte plus les livres, articles et documentaires qui chantent ses louanges. Phare de la pensée politique moderne, elle aurait tout compris : la démocratie et le totalitarisme, la cité antique et la société moderne, le mensonge et la violence, la Révolution et les droits de l’homme. Portée aux nues par la doxa universitaire, elle figure au panthéon philosophique de l’Occident démocratique. Elle passe pour une référence obligée, un point de passage incontournable destiné à tous ceux qui veulent comprendre le monde contemporain, ses contradictions et ses impasses. Le problème, c’est qu’Hannah Arendt représente elle-même une impasse théorique et politique. Il suffit d’ailleurs de la lire avec un peu d’attention pour s’en apercevoir : non seulement sa lecture de l’histoire moderne est erratique, mais sa vision de la démocratie est passéiste et réactionnaire.
Des preuves ? Elles sont légion. Ne pouvant tout examiner en une fois, on s’intéressera à sa conception de la démocratie. Dans Condition de l’homme moderne (1951), Hannah Arendt explique que la seule égalité légitime est celle qui règne entre les citoyens, et non entre les hommes. L’égalité dans la cité antique, à ses yeux, est sans commune mesure avec l’égalité qui prévaut dans les sociétés modernes. Tandis que la cité grecque est une remarquable aristocratie politique, la démocratie moderne est le théâtre d’un conformisme généralisé, où l’esprit de compétition s’est dilué dans l’égalitarisme et la médiocrité ambiante.
Cet éloge passéiste de la cité antique s’articule à une analyse particulière de l’agir humain. Si Arendt distingue le travail et l’action comme modalités de l’activité humaine, c’est pour dévaloriser le premier, qu’elle attribue à « l’homme-animal social ». Le travail est soumission à la nécessité naturelle, tandis que l’action, à l’autre extrémité, représente la noble dimension de l’activité politique. C’est pourquoi il faut parler d’un « animal laborans » pour désigner le travailleur, lequel « n’est jamais qu’une espèce, la plus haute si l’on veut, parmi les espèces animales qui peuplent la terre ».
La politique visant à l’émancipation des travailleurs, poursuit Arendt, n’a donc abouti qu’à « courber toute l’humanité, pour la première fois, sous le joug de la nécessité ». Le travail productif n’étant que l’asservissement à la nécessité, « les hommes ne pouvaient se libérer qu’en dominant ceux qu’ils soumettaient à la nécessité ». Pour que les citoyens puissent s’adonner à l’exercice du pouvoir, il fallait que la production de leurs conditions d’existence fût assurée par une classe subalterne. Mais pour Arendt, cet état de fait est intangible, et vouloir transformer la condition des travailleurs n’a aucun sens. La sublimation du citoyen appelé à incarner les vertus nécessite, de tout temps, le travail manuel de l’animal laborans.
Cette idée-force, elle ne cessera de la marteler. Se demandant, dans son Essai sur l’insurrection hongroise publié en 1956, s’il est possible de faire marcher des usines dont les ouvriers seraient les propriétaires, la philosophe répond sans détour : « En réalité, il n’est pas sûr du tout que les principes politiques d’égalité et d’autonomie puissent s’appliquer à la sphère de la vie économique. Après tout, la théorie politique des Anciens n’avait peut-être pas tort lorsqu’elle affirmait que l’économie, liée aux nécessités de la vie, requérait pour fonctionner la domination des maîtres ».
La lutte contre la pauvreté ? Inutile d’y penser. Ignorant superbement la lutte des classes, Arendt estime que « la vie humaine s’est trouvée en proie à la pauvreté depuis des temps immémoriaux » et qu’« une révolution n’a jamais résolu la question sociale ni libéré des hommes du fléau du besoin ». Alors que les démocraties modernes, par leur obsession du social, ruinent les chances d’une véritable aristocratie des égaux, la cité antique avait compris que l’esclavage était le prix à payer pour l’exercice héroïque des vertus civiques. « Toute souveraineté tient sa source première, la plus légitime, du désir qu’a l’homme de s’émanciper de la nécessité vitale, et les hommes parvinrent à cette libération par la violence, en forçant d’autres à porter à leur place le fardeau de la vie ». on ne saurait être plus clair, et la conclusion s’impose : « Rien, pourrions-nous dire aujourd’hui, ne saurait être plus obsolète que d’essayer de libérer le genre humain de la pauvreté par des voies publiques ; rien ne saurait être plus futile ni plus dangereux », écrit-elle dans son essai De la Révolution publié en 1963.
Mais ce n’est pas tout. Cette conception aristocratique de la vie politique conduit Hannah Arendt à nier l’universalité humaine, quitte à pulvériser un concept-clé hérité de la philosophie des Lumières : « La distinction entre l’homme et l’animal recoupe le genre humain lui-même : seuls les meilleurs, aristoi, qui constamment s’affirment les meilleurs et préfèrent l’immortelle renommée aux choses mortelles, sont réellement humains ». Reprenant explicitement la critique réactionnaire des droits de l’homme formulée par Edmund Burke, Arendt récuse l’universalité des droits humains. À ses yeux, c’est un principe funeste qui aurait pour effet de « réduire les nations civilisées au rang des sauvages », de « ces gens sans-droits, qui apparaissent comme les premiers signes d’une possible régression par rapport à la civilisation ».
Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’Arendt voue une admiration sans bornes à la Révolution américaine, menée par des propriétaires d’esclaves, et qu’elle rejette la Révolution française, qui abolit l’esclavage colonial. De même que, dans les années 1960, elle refuse toute portée politique aux revendications des Afro-Américains pour les droits civiques et relègue au second plan ce qu’elle appelle dédaigneusement la Negro question. Toute philosophie est sous-tendue par une certaine idée de l’homme et de la société. Celle que défend Hannah Arendt participe d’une idéologie qui habille son conservatisme des oripeaux de la cité antique, justifie rétrospectivement l’esclavage et congédie le progrès social comme une dangereuse utopie. Ses détracteurs lui reprochent ses équivoques, l’indétermination de ses concepts, le mouvement erratique de sa pensée. Ce qui pose problème, c’est plutôt l’obscure clarté de ses anathèmes contre les idées progressistes et le compendium avarié de ses présupposés anti-humanistes. Exit Hannah Arendt.
II – La mystification du système totalitaire
Absorbant toutes les activités humaines pour leur donner une signification univoque, le totalitarisme, pour Hannah Arendt, est un système qui transcende ses incarnations particulières. Peu importent alors les différences concrètes entre communisme et nazisme. L’abstraction du concept de totalitarisme, chez la philosophe, l’exonère d’une analyse proprement historique du phénomène. Appareil destructeur livré à sa propre démesure, le totalitarisme y revêt les traits d’une entité abstraite et homogène. Déconnectée de l’histoire réelle, l’idéologie paraît se suffire à elle-même, exercer ses effets en toute autonomie, modeler le cours des événements à son image : c’est la « logique d’une idée ».
Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le spectre du totalitarisme, chez Arendt, plane au-dessus de l’histoire réelle et de ses affrontements de classe. Occultant la genèse historique des deux mouvements, cette théorisation ignore l’opposition irréductible entre communisme et nazisme. Elle fait comme si la mystique de la race et l’idéal prolétarien étaient de même nature. Elle passe résolument sous silence la relation structurelle entre nazisme et capitalisme. Mais il y a pire : en élevant le concept de totalitarisme à la dignité d’un principe explicatif, elle occulte la visée exterminatrice qui caractérise l’entreprise nazie, le racisme structurel qui organise sa vision du monde, son acharnement meurtrier contre les populations civiles.
L’inexactitude des analyses de Hannah Arendt, cependant, ne porte pas seulement sur l’idéologie respective des deux régimes. Sa théorie du système concentrationnaire se déploie en dehors de toute description factuelle. Elle soumet aux mêmes catégories apparemment rationnelles deux institutions radicalement différentes. Contrairement aux camps nazis, le système carcéral soviétique n’obéissait pas à une logique d’extermination, mais de punition et de rééducation. Le nombre des victimes du régime nazi est incommensurable à celui d’un système répressif soviétique dont 90 % des détenus étaient de droit commun, et dont la plupart sont revenus vivants.
L’impuissance du modèle à rendre compte du réel est aussi flagrante lorsque la philosophe attribue au système totalitaire une politique étrangère agressive, ouvertement vouée à la conquête du monde. « Comme un conquérant étranger, le dictateur totalitaire considère les richesses naturelles et industrielles de chaque pays, y compris le sien, comme une source de pillage et un moyen de préparer la prochaine étape de l’expansion agressive », écrit-elle dans Le système totalitaire (1949). En décrivant comme une propriété intrinsèque du totalitarisme ce qui constitue la pratique constante des puissances occidentales, Hannah Arendt se livre à une singulière manipulation. Si la conquête et le pillage sont des pratiques totalitaires, pourquoi ne pas en déduire le caractère totalitaire de ces démocraties qui possèdent un empire colonial ?
Le mythe des « jumeaux totalitaires » accrédité par Hannah Arendt a beau défier le bon sens, il n’en a pas moins procuré un répertoire inépuisable à la réécriture de l’histoire. Il a permis à l’idéologie dominante de tirer un trait sur la réalité d’un conflit où l’Armée rouge a payé le prix fort pour liquider la machine de guerre hitlérienne. Une interprétation fallacieuse des événements qui est illustrée, à nouveau, lorsque la philosophe écrit en 1966, dans une note ajoutée au même ouvrage, que « contrairement à certaines légendes de l’après-guerre, Hitler n’eut jamais l’intention de défendre l’Occident contre le bolchevisme, mais resta toujours prêt à s’allier aux Rouges pour la destruction de l’Occident, même au plus fort de la lutte contre l’Union soviétique ».
Affirmation totalement absurde, mais peu importe : la matérialité des faits a l’obligeance de s’effacer devant les exigences d’une démonstration dont les prémisses sont erronées. Nazisme et stalinisme représentant deux variantes d’un même modèle, ils ne pouvaient pas s’engager dans une lutte à mort. Ainsi Hitler est-il censé être l’allié naturel de Staline. Mais si Hitler envisageait de s’allier aux Rouges, comment expliquer l’extrême brutalité de la guerre menée par les nazis contre l’URSS, laquelle tranche avec leur attitude, beaucoup plus respectueuse des usages de la guerre, sur le front de l’Ouest ?
« Idéologie et terreur », selon Hannah Arendt, sont les deux caractéristiques du régime totalitaire. Le problème, c’est qu’elles définissent parfaitement la domination impitoyable infligée par les puissances européennes aux peuples colonisés. Si l’on fonde la thèse de la gémellité des régimes totalitaires sur l’usage de la terreur, que faut-il déduire de son usage massif sous le régime colonial ? Comment ignorer la relation entre une idéologie justifiant la déshumanisation des « races inférieures » et la violence meurtrière qui est l’essence même du colonialisme ? En exemptant les puissances démocratiques des abominations qu’elles commettent, Arendt exclut subrepticement le génocide colonial de la dignité du concept de totalitarisme.
Si un tel concept désigne une réalité, il faut donc admettre qu’elle n’est ni une nouveauté ni une exception. L’inconvénient de la pensée de Hannah Arendt, c’est qu’après avoir éliminé les faits qui démentent son interprétation, elle enfile les abstractions comme on enfile des perles. Mais ces prouesses conceptuelles laissent la pensée orpheline d’une matière historique qu’elle a décidé d’ignorer. À l’évidence, le succès de sa doctrine ne tient pas à sa valeur heuristique, mais à l’idéologie de guerre froide adoptée par la philosophe au lendemain de son exil américain. Cet opportunisme lui a valu une consécration académique et une promotion médiatique dont l’inscription au fronton de l’institution scolaire, en France même, est l’illustration saisissante. Aussi demeurons-nous comme ligaturés par les biais cognitifs d’une pensée que nous devrions plutôt abandonner, comme dirait Marx, à la critique rongeuse des souris.
il apparait ds cette article critique la proximité de la pensée d’Hanna arends d’avec le philosophe allemand NIETSCHE qui défend lui aussi contre l’abatardissement des hommes par lla juiverie assimilée aux évolutions démocratiques et au socialisme d’alors. Seuls les vrais hommes forts et l’aristocratie peut gouverner poour revenir aux principes de la démocratie athénienne. Tout ceci est trrè-s prè-s des théories nazies .
Ds l’idée de totalitarisme elle retrouve, en niant l’historicité réelle du nazisme et du communisme, le lien caché du nazisme d’avec la « démocratie parlementaire » capitaliste, les classes de maitres capitalistes, elle retrouve la nécessité de l’esclavage pour les travailleurs d’aujourd’hui jusqu’à l’anéantissement , retrouvant et justifiant la pratique nazie d’anéantissement des ous hommes pour remplacer ces travailleurs par les hommes allemnds dominés par le capital et ses maitres. La théorie ARENDT est finalement un retour au nazisme par son refus de l’égalité des hommes en droit comme en fait. Le totalitarisme c’est le refus d ela lutte des classes et le retour aux maitres et aux esclaves. Hanah ARENDT est évidemment anti républicaineet pour la FRANCE il n’est pas sa,ns raison que l’université de BLANQUER etVIDAL( une crétine historique) la mette en avant. Ces personnage sst le moteur d’un fascisme réel des esprits avec une université ayant voté à 40% pour MACRON, 25 % pour RN LR donc manifestement trè-s à droite, des élites faut-èil le dire totalement corrompue. Le travail de philosophe comme Monsieur GUIGUEet de plus jeunes c’est d’écrire pour démonter cette supercherie pro nazie dévrloppée ds ts les états capitalistes et visant à créer une élite homogè-ne par la diffusion sans critique au coeur de l’université ayant voté à 65% pour LREM LR RN. C’est dire sa droitisation. La soidisant islamo gauchisation( où st les gauchistes ds cette univzersité fasciste?) est le moyen de détruire les bases rationnelles de la pensée déjà bien mises en cause pour fanatiser tout un peuple.