Les sanglants événements survenus en Indonésie à l’automne 1965 restent encore aujourd’hui largement méconnus du grand public et sont peu évoqués par les médias. Début octobre 1965 débute l’un des pires massacres de masse du xxe siècle, de communistes ou supposés, avec l’appui des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Australie. Les estimations varient de 500 000 à plus d’un million de personnes, sans compter les interpellés, les déportés, les torturés et les victimes de viols de masse.
L’influence du Parti communiste indonésien (PKI), l’un des plus puissants au monde avec environ un million d’adhérents, inquiète Washington dans le contexte de la guerre du Vietnam. La violente campagne anticommuniste prend la forme d’une sanglante chasse à l’homme.
L’initiative du « Tribunal populaire Indonésie 1965 », présentée dans l’article qui suit par Mulyandari Alisyah Coetmeur, présidente du Réseau Indonésie, s’inscrit dans la lignée du « Tribunal international des crimes de guerre », initié par Bertrand Russell et Jean-Paul Sartre en 1966 pour évaluer l’intervention militaire des États-Unis au Vietnam, et d’autres initiatives ultérieures du « Tribunal permanent des peuples » initié par la fondation Lelio Basso.
Elle a pour principal objectif de rétablir les faits et d’avancer un argumentaire juridique à partir de rapports et de témoignages. Cette campagne repose sur une mobilisation populaire et médiatique pour qu’enfin, un demi-siècle après, ce sombre épisode et ses responsables soient connus. Elle a besoin d’appuis, qu’ils soient financiers, médiatiques ou politiques.
- Vendredi 6 novembre 2015, réunion-débat avec différents spécialistes (modalités à préciser ultérieurement).
Retrouvez le dossier spécial consacré le 30 septembre 2015 par Initiative Communiste site web du PRCF pour briser le mur du silence, dénoncer les crimes anticommunistes
Ci-après, www.initiative-communiste.fr publie l’article publié par Didier Monciaud et Mulyandari Alisyah Coetmeur dans la revue Histoire Critique.
Massacres de 1965 en Indonésie : dévoiler la vérité, demander justice
L’année 2015 est marquante pour l’Indonésie, car on y commémore trois événements fondateurs : le 50e anniversaire du massacre de 1965, le 60e anniversaire de la conférence de Bandung et le 70e anniversaire de l’indépendance.
Le rêve d’indépendance et de décolonisation a été réalisé par la lutte armée, ainsi que par la diplomatie. En août 1945, l’Indonésie était déclarée indépendante de son colonisateur japonais, qui l’avait occupée pendant trois ans et demi. Mais l’ancien colonisateur hollandais considérait cette déclaration comme une invitation à rétablir son pouvoir en Indonésie. En défendant leur indépendance, les leaders indonésiens ont compris qu’il ne suffisait pas de gagner son indépendance, mais qu’il fallait aussi lutter contre la colonisation. Cette idée a été inscrite dans la politique du gouvernement indonésien de Soekarno. Dans cette logique, la conférence de Bandung a été organisée afin de former alliance avec des pays nouvellement indépendants, pour sortir de l’influence des pays colonisateurs et de la guerre froide. Tout a basculé après l’événement tragique qu’on connaît aujourd’hui sous le nom de « G30S ». Depuis, l’Indonésie est devenue le « bon élève » du capitalisme.
Qu’est-ce que le G30S ?
Après l’enlèvement et l’exécution de la haute hiérarchie de l’armée indonésienne par des colonels de l’armée de terre dans la nuit du 30 septembre 1965, le général Soeharto, le seul général de haut rang qui n’avait pas été enlevé, a accusé le Parti communiste indonésien d’être l’auteur de cet événement. Il a ensuite planifié une exécution des membres des organisations de gauche. On estime à environ un million le nombre de personnes assassinées entre 1965 et 1966.
Des centaines de milliers de personnes ont été pourchassées et détenues sans procès. Beaucoup ont été assassinées. Des dizaines de milliers ont étés envoyées en camp de travail forcé dès 1966 et jusqu’à la fin de 1979. L’armée a construit un mythe selon lequel des jeunes filles communistes auraient séduit et castré les généraux enlevés et les auraient assassinés. Ce mensonge a enflammé les milices de jeunes, qui ont commis la plupart des assassinats, sous la coordination de l’armée. Le communisme et le socialisme ont été présentés comme une forme d’athéisme et de perversion. Ayant perdu le pilier majeur de sa puissance, le président Soekarno a été balayé par Soeharto l’année suivante. Des centaines de personnes ayant refusé de soutenir le « Nouvel Ordre » de Soeharto ont été confrontées au harcèlement et ont perdu leur passeport indonésien.
Pendant les 32 ans de règne de Soeharto, l’évocation de ce massacre et d’autres crimes contre l’humanité n’a pas été possible. Même aujourd’hui, les groupes d’extrême droite (ultra nationalistes, religieux) empêchent la recherche de la vérité et de la justice. La société indonésienne, y compris les jeunes, est encore mal informée à propos de ce moment crucial de son histoire. Les auteurs des massacres jouissent toujours d’une totale impunité.
Situation actuelle
Le déclin de Soeharto a permis d’établir une Commission nationale des droits de l’homme en Indonésie. En juillet 2012, cette commission a publié un rapport sur les crimes contre l’humanité en 1965 et 1966. Des preuves incontestables amènent à la conclusion qu’il y avait un massacre « généralisé et systématique ». La Commission reconnaît que les victimes ont été ciblées pour leurs liens présumés avec le Parti communiste indonésien (PKI) et reconnaît l’État indonésien comme l’instigateur des crimes, soulignant que « ces événements sont le résultat de la politique étatique visant à exterminer les membres et sympathisants du PKI, qui étaient accusés d’avoir mené un coup d’État ». La Commission a recommandé :
- une enquête par le procureur général ;
- la création d’un tribunal « ad hoc » des droits de l’homme pour juger les auteurs présumés ;
- l’établissement par le gouvernement d’une « commission de vérité et de réconciliation ».
Malgré ces recommandations, le gouvernement indonésien ne fait rien, hormis une proposition de loi sur une « Commission de vérité et de réconciliation », qui malheureusement ne mentionne pas la responsabilité de l’auteur des violations.
Que faire ?
La responsabilité première incombe à l’État indonésien, à la fois pour ses actions et pour son incapacité ces cinquante dernières années à poursuivre les auteurs de tous rangs, à s’excuser officiellement, et à accorder des réparations et d’autres voies de recours utiles aux victimes et à leurs familles. Cet échec et le manque de volonté d’agir ont persisté malgré des demandes répétées de survivants, de chercheurs et d’associations du mouvement social. Pendant ce temps, les politiques discriminatoires et la poursuite des violences par les groupes anticommunistes contre les familles des victimes du massacre de 1965-1966 ont été omniprésentes jusqu’à aujourd’hui. L’épuisement des procédures juridiques nationales oblige et donne le droit au peuple de chercher la justice devant les instances juridiques internationales.
Le « Tribunal international du peuple pour les crimes contre l’humanité de 1965 » est urgent à établir, pour que les défaillances de l’État indonésien ne fassent pas taire les voix des survivants, ni ne permettent au gouvernement d’échapper à ses responsabilités pour ces crimes contre l’humanité. Il est urgent de remédier à la tendance historique à banaliser, excuser, marginaliser et masquer les crimes contre l’humanité. La reconnaissance et l’attribution de la responsabilité de ces crimes aideront la société indonésienne à vivre en paix et en sécurité.
Qui va le faire ?
Une association basée aux Pays-Bas, constituée d’Indonésiens, d’Européens, de chercheurs, de militants des droits de l’homme et de survivants, a été établie pour organiser ce tribunal. Une commission de juges est composée de personnes compétentes dans divers tribunaux du peuple et tribunaux criminels internationaux. Des Indonésiens vivant dans différent pays européens ont soutenu cette initiative en faisant campagne dans leur pays de résidence afin d’élargir le soutien à ce tribunal. En France, cette campagne a été menée par le « Réseau Indonésie » dès sa création. Le comité consultatif est constitué de militants des droits de l’homme, indonésiens pour la plupart, et de personnes influentes au niveau international. Des réalisateurs de cinéma contribuent à ce que les témoignages soient suffisants et représentatifs pour chaque accusation. Il y a au moins neuf chefs d’accusation définis.
Ce tribunal siègera à La Haye, du 10 au 13 novembre 2015. Le jugement sera présenté devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU à Genève, qui va poser des questions au rapporteur du gouvernement indonésien pendant la session de « questions au gouvernement » programmée en 2016.
Pour réussir cet important travail, tant historique que juridique, nous avons besoin du soutien politique et financier des décideurs politiques, de toutes les organisations de défense des droits de l’homme et des représentants du mouvement social et de la société civile.
Didier Monciaud et Mulyandari Alisyah Coetmeur
Réseau Indonésie :