L’engouement énorme qu’a suscité la coupe du monde de football a démontré une fois encore l’importance sociale de ce sport en France et dans le monde. Comment le comprendre ? Comment l’analyser ? Qu’en faire politiquement ?
1) Le foot, une force imposante :
Le foot est de loin le sport n°1 sur la planète. Plus de 3 milliards de personnes se disent intéressées ou passionnées par ce sport. Près de 30 milliards de téléspectateurs ont suivis les matchs de la coupe du monde, autant que les J.O qui regroupent tous les sports avec une durée de retransmission plus importante. Il compte, et de loin, le plus grand nombre de licenciés : plus de 300 millions ! La FIFA avec plus de pays affiliés que l’ONU, est une véritable force géo-politique. En France il est largement en tête avec 2,2 millions de licenciés + 400000 bénévoles non-licenciés, (le 2é, le tennis, est loin derrière avec 1 million de licenciés essentiellement en « sport-loisir »). Le dernier championnat de Ligue 1 a été suivi par près de 9 millions de spectateurs. Encore davantage suivent toutes les divisions inférieures. Il y a 15 000 clubs de football (pour comparaison basket 4000, rugby 1700 clubs). Le football est donc une activité sociale majeure, notamment dans les milieux populaires. C’est un fait et il faut faire avec.
2) Différencier le foot amateur et le foot professionnel :
Trop souvent l’on assimile le foot au foot professionnel. Or foot amateur (qui constitue la masse) et foot professionnel (seulement 1500 joueurs pros) sont deux mondes bien différents. Si nombre d’acteurs du foot amateur singent le foot pro, le foot amateur c’est avant tout des centaines de milliers de bénévoles ( joueurs, dirigeants, arbitres, éducateurs) qui se dévouent et se débattent dans des conditions financières et sociétales de plus en plus difficiles, d’autant que les instances nationales privilégient souvent le sommet au détriment de la base. Pourtant le foot pro ce n’est pas le conte de fée que l’on croit…
3) La réalité du foot pro : souvent la misère et l’exploitation :
L’enquête réalisée en 2016 par le syndicat mondial des joueurs est édifiante : 45% des joueurs gagnent moins de 945 euros par mois. L’enquête montre l’extrême inégalité des salaires dans le football. Les joueurs gagnant au moins 700 000 € net par an ne représentnte que 2% du total. Ils évoluent surtout dans les cinq grands Championnats européens, les ligues émergentes (MLS, Chine, certains pays du moyen-orient) et les grands clubs sud-américains.
Le «deuxième étage» rassemble un grand nombre de pros évoluant dans des clubs offrant des salaires modérés. La troisième catégorie identifiée par l’enquête peut s’assimiler au prolétariat de la profession. Elle représente les 45% de joueurs qui gagnent moins de 1000 dollars (environ 945 euros) par mois. Ils évoluent notamment en Europe de l’Est, en Amérique latine ou en Afrique. C’est le cas par exemple de 83% des joueurs brésiliens. En plus beaucoup de joueurs sont exposés à des retards de paiement de leur salaire. Le phénomène touche les footballeurs évoluant dans les pays où le droit du travail est le moins réglementé et surtout, comme une double peine, ceux qui touchent les salaires les moins élevés. Plus de 2 joueurs sur 5 (41%) ont ainsi été payés en retard ces deux dernières saisons, le retard dépassant souvent trois mois.
La France apparaît comme un havre privilégié. « Les joueurs en France ont parmi les meilleurs conditions avec des salaires élevés, de longs contrats et le plus faible pourcentage de retards de salaire de l’étude ». Mais là aussi les inégalités sont criantes. Si les joueurs de Ligue 1 qui gagnent 700 000 € net mensuels ( immoral évidemment, NDLR) sont plus de 10% , 35% des joueurs de ligue 2 gagnent moins de 3800 euros nets. De plus la carrière moyenne d’un footballeur pro n’est que de 6 ans. Beaucoup qui ne réussissent pas leur reconversion se retrouvent rapidement en grande difficulté quelques années après la fin de leur carrière.
4) Le foot, un exutoire ? Oui et non.
Les foules immenses et enthousiastes qui ont accompagné la victoire française expriment un besoin de rassemblement, d’unité, de fraternité, de faire la fête ensemble Les gens décrivent ces moments comme des « parenthèses enchantées ». Pourtant personne n’est dupe, cela ne dure qu’un temps et cela ne changera rien à la réalité sociale et politique (Macron s’en apercevra bien vite), mais ces mouvements sont riches de sens : l’individualisme n’a pas gagné, le besoin de solidarité et de collectif reste puissant. C’est en soi en opposition avec la société que veulent les libéraux. Ces manifestations sont aussi l’occasion de transgresser les règles, de s’échapper de cette société corsetée par l’esprit sécuritaire, par le flicage, par la peur des autres, par le moralisme bourgeois qui nous étouffent. Dans le même temps, bien sûr, elles constituent des soupapes permettant d’évacuer l’énergie positive des masses hors des luttes sociales et politiques. À nous de transformer cette énergie en lutte de classes.
5) Quelle attitude face au phénomène football ?
Les communistes révolutionnaires ne peuvent pas passer à côté de ce phénomène et adopter l’attitude méprisante et hautaine vis-à-vis de l’engouement que suscite le football. Un mépris souvent de classe ou d’intellectuels déconnectés des réalités. Comment trouver la juste mesure entre le dédain et les excès ? On peut la fois combattre la démagogie, la récupération, l’argent roi, le capitalisme et aimer le football.
Mettre en opposition comme l’a fait Philippe Poutou les mobilisations de rue pour le foot et l’insuffisance des manifestations sociales n’est pas juste. Je connais nombre de personnes qui étaient dans les manifestations sociales et qui ont vibré pour le foot. Les amateurs de foot sont à l’image de la société, très divers humainement et politiquement. Et ils sont souvent issus des milieux populaires et de l’immigration. Les rejeter, les mépriser est donc une aberration politique.
6) Le rôle éducatif du foot.
Ceux qui regardent de loin ou de haut le football ne peuvent imaginer à quel point un travail éducatif intense se fait dans ce sport. Et il est de plus en plus important car il devenu une nécessité face à la déliquescence de la société capitaliste. La pratique en elle-même incite à la solidarité, à l’effort, au vivre ensemble. Inculquer les valeurs de respect de l’autre, de convivialité, d’amitié sont de plus en plus la base du travail des éducateurs. Il en va de même pour l’hygiène et l’alimentation. Dans certains clubs l’on donne des cours de soutien scolaire. Pour beaucoup de jeunes socialement et scolairement en difficulté le foot constitue un recours ultime, un lien social et éducatif unique.
7) Le foot, un milieu où l’on peut militer
Le football peut être un moyen de la prise de conscience politique si on en comprend les leviers psychologiques et sociologiques. De mon expérience personnelle je peux tirer le constat qu’au contact direct avec les sociétaires il est possible de faire avancer les idées progressistes, souvent plus efficacement que l’activité militante « traditionnelle », en ne mettant pas évidemment les « gros sabots » du communiste qui a tout compris et qui donne la leçon. Nombre d’amateurs de foot ont beaucoup plus de recul que l’on croit face à leur propre sport, au professionnalisme, à l’argent, à la manipulation idéologique, aux excès médiatiques. Bien sûr il y a des inconditionnels quasi-fanatiques pour lesquels le foot est tout mais ils sont très minoritaires. J’ajouterai que dans les gens qui suivent le foot il y a beaucoup de militants, de gens qui partagent les valeurs progressistes, rassemblons-les pour mener le combat idéologique et ne pas laisser le foot et le sport à l’idéologie bourgeoise.
8) Un formidable moyen de lutte contre le racisme.
Dans les clubs on apprend à côtoyer des partenaires de toutes origines. Même si tout n’est pas gagné (notamment les phénomènes de communautarisme), bien des préjugés tombent, des solidarités naissent. Dans mon club par exemple il y a depuis deux ans des jeunes migrants, il serait impossible de les expulser sans qu’il y ait réaction des membres du club.
À partir de la composition de l’équipe de France, une opposition fondamentale se manifeste entre racistes et partisans de la solidarité internationale. Ainsi le camarade Maduro a déclaré : « L’équipe de France ressemblait à l’équipe d’Afrique. Avec elle, c’est l’Afrique qui a gagné, les immigrants africains qui sont arrivés en France. L’Afrique a tellement été méprisée et dans ce Mondial, la France gagne grâce aux joueurs africains ou fils d’Africains. L’équipe de France joue merveilleusement bien » . A l’opposé le racisme se déchaîne dans l’Italie de Salvini. : « C’est l’Afrique qui a gagné, et non la France» écrit La Republicca. Dans les réseaux sociaux il est question de « singes avec un ballon » ou de « champions du tiers monde ». « Pour la première fois, une équipe africaine remporte la Coupe du monde « , a écrit un conseiller municipal du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia. Un journaliste télé de Mediaset, a déclaré ainsi son soutien à la Croatie : « Une nation complètement autochtone, un peuple de 4 millions d’habitants, identitaire, fier et souverain: la Croatie, contre un melting pot de races et de religions, où le concept de nation et de Patrie est plutôt relatif: la France ».
9) De nombreuses autres possibilités d’intervention idéologiques :
Un exemple : j’ai été surpris (et réjoui) du dégoût provoqué par le montant indécent du transfert de Neymar au PSG. Les grandes vedettes du foot sont admirées pour leur niveau sportif mais dans le même temps l’argent fou choque beaucoup dans le milieu du foot. Voilà un exemple de levier idéologique sur lequel on peut agir. L’on peut s’appuyer sur ce sentiment pour dénoncer les salaires des dirigeants du CAC 40, les licenciements économiques, les différences de salaires, l’exploitation sociale. En s’appuyant sur le rejet des tricheries, de l’affairisme, de la corruption, du dopage, de gaspillage, de trafics d’influence (l’attribution de la coupe du monde au Qatar a beaucoup choqué) dans le sport on peut dénoncer les tares du capitalisme et proposer une autre société.
Il faut aussi dénoncer les manipulations politiques et médiatiques. Depuis l’Italie de Mussolini, les J.O de Berlin 1936, en passant par l’Argentine de Videla ou les provocations fascistes de joueurs croates en 2018, sans oublier le théâtre récupérateur de Chirac ou Macron (et de biens d’autres !), on sait combien le football est utilisé.
10) Lutter pour une autre conception du sport
Nous communistes, luttons pour un sport amateur accessible à tous, porteur de valeurs de respect et d’intelligence, d’antiracisme et de solidarité ce qui n’exclut pas l’esprit de compétition amical. Dans ce combat nous ne sommes pas seuls, nous pouvons nous appuyer sur les centaines de milliers de bénévoles dont le quotidien est à mille lieux du sport professionnel. Il ne faut pas que ces sportifs-là se tournent vers les fausses paillettes du sport spectacle, sources d’illusions et d’intégration idéologique. Investissons donc davantage le débat de fond sur le sport lié au débat sur la société capitaliste.
Laurent NARDI
Notre camarade Laurent Nardi est Conseiller Municipal de Passy (74). Fin connaisseur du ballon rond, il a été Président d’un club de football de la Ligue Rhône-Alpes de 2007 à 2015